«Au début d’une année que nous voudrions pacifique et qui, au contraire, s’ouvre sur des conflits et des divisions», le Pape François a reçu — dans la matinée du lundi 8 janvier, dans la salle des Bénédictions — le Corps diplomatique accrédité près le Saint-Siège, pour la traditionnelle audience d’échange de vœux. Nous publions ci-dessous le discours prononcé par le Pape, après le salut de l’ambassadeur de Chypre, doyen des ambassadeurs.
Excellences,
Mesdames et Messieurs!
Je suis heureux de vous accueillir ce matin pour vous saluer personnellement et vous présenter mes meilleurs vœux pour la nouvelle année. Je remercie en particulier Son Excellence l’ambassadeur George Poulides, -doyen du Corps diplomatique, pour ses paroles aimables, qui expriment bien les préoccupations de la communauté internationale au début d’une année que nous voudrions pacifique et qui, au contraire, s’ouvre sur des conflits et des divisions.
Je voudrais également profiter de cette occasion pour vous remercier de votre engagement à promouvoir les relations entre le Saint-Siège et vos pays. L’année dernière, notre «famille diplomatique» s’est encore élargie grâce à l’établissement de relations diplomatiques avec le Sultanat d’Oman et à la nomination du premier ambassadeur, ici présent.
En même temps, je voudrais rappeler que le Saint-Siège a procédé à la nomination d’un représentant pontifical résident à Hanoï, après que l’Accord sur le Statut du représentant pontifical a été conclu avec le Vietnam en juillet dernier, afin de poursuivre ensemble le chemin parcouru jusqu’à présent, sous le signe du respect et de la confiance mutuels, grâce aux relations fréquentes au niveau institutionnel et à la coopération de l’Eglise locale.
En 2023, a également eu lieu la ratification de l’Accord complémentaire à l’Accord entre le Saint-Siège et le Kazakhstan sur les relations mutuelles du 24 septembre 1998, qui facilite la présence et l’emploi des agents pastoraux dans le pays. Quatre anniversaires importants ont été célébrés: le 100e anniversaire des relations diplomatiques avec la République du Panama, le 70e anniversaire des relations avec la République islamique d’Iran, le 60e anniversaire des relations avec la République de Corée et le 50e anniversaire des relations avec l’Australie.
Chers ambassadeurs,
un mot résonne d’une manière particulière lors des deux principales fêtes chrétiennes. Nous l’entendons dans le chant des anges annonçant dans la nuit la naissance du Sauveur et nous l’entendons par la voix de Jésus ressuscité: c’est le mot «paix». Celle-ci est avant tout un don de Dieu: c’est Lui qui nous laisse sa paix (cf. Jn 14, 27), mais en même temps elle est notre responsabilité: «Heureux les artisans de paix» (Mt 5, 9). Travailler pour la paix. Ce mot est très fragile et, en même temps, exigeant et plein de sens. Je voudrais lui consacrer notre réflexion présente, en un moment historique où celle-ci est de plus en plus menacée, affaiblie et en partie perdue. D’autre part, il revient au Saint-Siège, au sein de la communauté internationale, d’être une voix prophétique et un appel à la conscience.
La veille de Noël 1944, Pie xii adressa un célèbre Message radiodiffusé aux peuples du monde entier. La Seconde Guerre mondiale touchait à sa fin après plus de cinq années de conflit et l’humanité — disait le Pape — éprouvait «une volonté toujours plus claire et plus ferme: faire de cette guerre mondiale, de ce bouleversement universel, le point de départ d’une ère nouvelle de profond renouveau»1. Quatre-vingts ans plus tard, l’élan de ce «renouveau profond» semble s’être épuisé et le monde est traversé par un nombre croissant de conflits qui transforment peu à peu ce que j’ai appelé à plusieurs reprises la «troisième guerre mondiale par morceaux» en un véritable conflit mondial.
Je ne peux pas ne pas renouveler ici mon inquiétude sur ce qui se passe en Palestine et en Israël. Nous avons tous été choqués par l’attaque terroriste contre la population en Israël du 7 octobre dernier, où un grand nombre d’innocents ont été blessés, torturés et tués d’une manière atroce et où de nombreuses personnes ont été prises en otage. Je réitère ma condamnation de cet acte et de toutes les formes de terrorisme et d’extrémisme: les problèmes ne sont pas résolus de cette manière entre les peuples, mais ils deviennent au contraire plus difficiles, causant des souffrances pour tout le monde. En fait, cela a provoqué une forte réponse militaire israélienne à Gaza qui a entraîné la mort de dizaines de milliers de Palestiniens, en majorité des civils parmi lesquels des enfants et des jeunes, et a entrainé une situation humanitaire très grave avec des souffrances inimaginables.
Je réitère mon appel à toutes les parties concernées à un cessez-le-feu sur tous les fronts, y compris au Liban, et pour la libération immédiate de tous les otages à Gaza. Je demande que la population palestinienne reçoive une aide humanitaire et que les hôpitaux, les écoles et les lieux de culte bénéficient de toute la protection nécessaire.
J’espère que la Communauté internationale poursuivra résolument la solution à deux Etats, l’un israélien et l’autre palestinien, avec un statut spécial internationalement garanti pour la ville de Jérusalem, afin qu’Israéliens et Palestiniens puissent enfin vivre dans la paix et la sécurité.
Le conflit en cours à Gaza déstabilise encore davantage une région fragile et tendue. En particulier, il ne faut pas oublier le peuple syrien, qui vit dans une instabilité économique et politique, aggravée par le tremblement de terre de février dernier. La communauté internationale se doit d’encourager les parties concernées à engager un dialogue constructif et sérieux et à rechercher de nouvelles solutions afin que le peuple syrien n’ait plus à souffrir des sanctions internationales. Par ailleurs, j’exprime ma tristesse pour les millions de réfugiés syriens qui se trouvent toujours dans les pays voisins, tels que la Jordanie et le Liban.
J’adresse une pensée particulière à ce dernier, en exprimant ma préoccupation pour la situation sociale et économique dans laquelle se trouve le cher peuple libanais, et j’espère que l’impasse institutionnelle qui le met de plus en plus à genoux sera résolue et que le Pays du Cèdre aura bientôt un président.
En restant sur le continent asiatique, je voudrais également attirer l’attention de la Communauté internationale sur la Birmanie, en demandant que tous les efforts soient faits pour redonner de l’espoir à cette terre et un avenir digne aux jeunes générations, sans oublier l’urgence humanitaire qui affecte encore les -Rohingyas.
A côté de ces situations com-plexes, les signes d’espérance ne manquent pas non plus, comme j’ai pu le constater lors de mon voyage en Mongolie, dont je renouvelle ma gratitude aux autorités pour l’accueil qu’elles m’ont réservé. De même, je tiens à remercier les autorités hongroises pour leur hospitalité lors de ma visite dans le pays en avril dernier. Ce fut un voyage au cœur de l’Europe, où l’on respire l’histoire et la culture et où j’ai ressenti la chaleur de nombreuses personnes, mais aussi la proximité d’un conflit que l’on n’aurait pas cru possible dans l’Europe du xxie siècle.
Malheureusement, après presque deux années de guerre à grande échelle menée par la Fédération de Russie contre l’Ukraine, la paix tant désirée n’a toujours pas trouvé sa place dans les esprits et les cœurs, malgré les nombreuses victimes et les énormes destructions. Un conflit qui s’enracine de plus en plus, au détriment de millions de personnes, ne peut être autorisé à se poursuivre, mais doit prendre fin par la négociation, dans le respect du droit international.
J’exprime également ma préoccupation quant à la situation tendue dans le Caucase du Sud entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, et j’exhorte les parties à parvenir à la signature d’un Traité de paix. Il est urgent de trouver une solution à la situation humanitaire dramatique des habitants de cette région, de faciliter le retour des personnes déplacées dans leurs foyers en toute légalité et sécurité, et de respecter les lieux de culte des différentes confessions religieuses présentes. De telles mesures pourraient contribuer à la création d’un climat de confiance entre les deux pays en vue de la paix tant désirée.
Si nous tournons maintenant notre regard vers l’Afrique, nous avons sous les yeux la souffrance de millions de personnes due aux multiples crises humanitaires dans lesquelles se trouvent divers pays subsahariens, en raison du terrorisme international, de problèmes sociopolitiques complexes et des effets dévastateurs provoqués par le changement climatique, auxquels s’ajoutent les conséquences des coups d’Etat militaires dans certains pays et de certains processus électoraux caractérisés par la corruption, l’intimidation et la violence.
En même temps, je renouvelle un appel à un engagement sérieux de la part de tous les acteurs impliqués dans la mise en œuvre de l’Accord de Pretoria de novembre 2022, qui a mis fin aux combats dans le Tigré, et dans la recherche de solutions pacifiques aux tensions et aux violences qui affectent l’Ethiopie, ainsi que pour le dialogue, la paix et la stabilité entre les pays de la Corne de l’Afrique.
Je voudrais également mentionner les événements dramatiques au Soudan où, malheureusement, après des mois de guerre civile, aucune issue n’est encore en vue, ainsi que les situations des personnes déplacées au Cameroun, au Mozambique, en République démocratique du Congo et au Soudan du Sud. C’est précisément dans ces deux derniers pays que j’ai eu la joie de me rendre au début de l’année dernière, afin d’apporter un signe de proximité à leurs populations souffrantes, bien que dans des contextes et des situations différentes. Je remercie chaleureusement les autorités de ces deux pays pour leurs efforts d’organisation et pour l’accueil qu’elles m’ont réservé. Le voyage au Soudan du Sud avait également un caractère œcuménique, puisque j’étais accompagné par l’archevêque de Canterbury et le Modérateur de l’assemblée générale de l’Eglise d’Ecosse, témoignant ainsi de l’engagement commun de nos Communautés ecclésiales en faveur de la paix et de la réconciliation.
Bien qu’il n’y ait pas de guerre ouverte aux Amériques, il existe de fortes tensions entre certains pays, par exemple entre le Vénézuéla et le -Guyana, alors que dans d’autres, comme le Pérou, on observe des phénomènes de polarisation qui compromettent l’harmonie sociale et affaiblissent les institutions démocratiques.
La situation au Nicaragua reste préoccupante: une crise qui perdure et aux conséquences douloureuses pour l’ensemble de la société nicaraguayenne, en particulier pour l’Eglise catholique. Le Saint-Siège ne cesse d’appeler à un dialogue diplomatique respectueux pour le bien des catholiques et de l’ensemble de la population.
Excellences, Mesdames et Messieurs,
derrière ce tableau que j’ai voulu esquisser brièvement et sans prétention d’exhaustivité, se trouve un monde de plus en plus déchiré, mais surtout se trouvent des millions de personnes — des hommes, des femmes, des pères, des mères, des enfants — dont les visages nous sont pour la plupart inconnus et que nous oublions souvent.
D’autre part, les guerres modernes ne se déroulent plus uniquement sur des champs de bataille délimités, n’impliquent pas uniquement les soldats. Dans un contexte où le discernement entre objectifs militaires et civils semble ne plus être observé, il n’y a pas de conflit qui ne finisse en quelque sorte par frapper aveuglément la population civile. Les événements en Ukraine et à Gaza en sont la preuve évidente. Nous ne devons pas oublier que les violations graves du droit international humanitaire sont des crimes de guerre, et qu’il ne suffit pas de les relever, mais qu’il faut les prévenir. Un engagement accru de la Communauté internationale est nécessaire pour sauvegarder et mettre en œuvre le droit humanitaire qui semble être la seule voie pour la protection de la dignité humaine dans les situations de guerre.
Au début de cette année, l’exhortation du Concile Vatican ii, dans Gaudium et spes, résonne plus que jamais actuelle: «Il existe, pour tout ce qui concerne la guerre, diverses conventions internationales, qu’un assez grand nombre de pays ont signées en vue de rendre moins inhumaines les actions militaires et leurs conséquences. [...] Ces accords doivent être observés; bien plus, tous, particulièrement les autorités publiques ainsi que les personnalités compétentes, doivent s’efforcer autant qu’ils le peuvent de les améliorer et de leur permettre ainsi de mieux contenir, et de façon plus efficace, l’inhumanité des guerres».2
Peut-être nous ne réalisons pas que les victimes civiles ne sont pas des «dommages collatéraux». Ce sont des hommes et des femmes avec des noms et prénoms qui perdent la vie. Ce sont des enfants qui restent orphelins et privés d’avenir. Ce sont des personnes qui souffrent de la faim, de la soif et du froid ou qui restent mutilées à cause de la puissance des engins modernes. Si nous pouvions regarder chacun dans les yeux, l’appeler par son nom et évoquer son histoire personnelle, nous regarderions la guerre pour ce qu’elle est: rien d’autre qu’une immense tragédie et «un massacre inutile»3 qui affecte la dignité de toute personne sur cette terre.
D’autre part, les guerres peuvent se poursuivre grâce à l’énorme disponibilité des armes. Il convient de poursuivre une politique de désarmement, car il est illusoire de penser que les armements ont une valeur dissuasive. C’est plutôt le contraire qui est vrai: la disponibilité des armes encourage leur utilisation et augmente leur production. Les armes créent la méfiance et détournent les ressources. Combien de vies pourraient être sauvées avec les ressources destinées aujourd’hui aux armements? Ne serait-il pas préférable de les investir dans une véritable sécurité mondiale? Les défis de notre temps dépassent les frontières, comme le montrent les différentes crises — alimentaire, environnementale, économique et sanitaire — qui caractérisent le début du siècle. Je réitère ici ma proposition de créer un Fonds mondial pour éradiquer enfin la faim4 et promouvoir un développement durable de la planète entière.
Parmi les menaces causées par ces instruments de mort, je ne peux manquer de mentionner celle provoquée par les arsenaux nucléaires et par le développement d’engins de plus en plus sophistiqués et destructeurs. J’insiste une fois de plus sur l’immoralité de la fabrication et de la détention d’armes nucléaires. A cet égard, j’espère que les négociations sur le redémarrage du Plan d’action global commun, mieux connu sous le nom d’«Accord sur le nucléaire iranien», pourront reprendre le plus rapidement possible, afin de garantir à tous un avenir plus sûr.
Afin de poursuivre la paix, il ne suffit pas toutefois de se contenter de supprimer les instruments belliqueux, il faut encore extirper à la racine les causes des guerres, en premier la faim, une plaie qui frappe encore des régions entières de la terre, alors qu’ailleurs ont lieu des gaspillages alimentaires énormes. Il y a ensuite l’exploitation des ressources naturelles, qui enrichit un petit nombre, laissant dans la misère et dans la pauvreté des populations entières, qui seraient les bénéficiaires naturels de ces ressources. A cela est liée l’exploitation des personnes, contraintes de travailler en étant sous payées, et sans perspectives réelles de croissance professionnelle.
Parmi les causes de conflit, il y a aussi les catastrophes naturelles et environnementales. Certes, il y a des catastrophes que la main de l’homme ne peut pas contrôler. Je pense aux récents tremblements de terre au Maroc et en Chine, qui ont fait des centaines de victimes, ainsi qu’à celui qui a durement frappé la Turquie et une partie de la Syrie et qui a laissé derrière lui une terrible traînée de mort et de destruction. Je pense aussi à l’inondation qui a frappé Derna en Libye, détruisant de fait la ville, entre autres à cause de l’effondrement concomitant de deux barrages.
Il y a cependant des catastrophes qui sont aussi imputables à l’action ou à la négligence de l’homme et qui contribuent gravement à la crise climatique en cours, comme par exemple la déforestation de l’Amazonie, le «poumon vert» de la terre.
La crise climatique et environnementale a fait l’objet de la 28e Conférence des Parties à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (cop28), qui s’est tenue à Dubaï le mois dernier, à laquelle je regrette de ne pas avoir pu participer personnellement. Elle a commencé au moment où l’Organisation météorologique mondiale annonçait que 2023 a été l’année la plus chaude des 174 années précédemment enregistrées. La crise climatique exige une réponse de plus en plus urgente et demande la pleine implication de tous et de toute la communauté internationale.5
L’adoption du document final à la cop28 constitue une étape encourageante et révèle que, face aux nombreuses crises que nous vivons, il existe une possibilité de revitaliser le multilatéralisme par la gestion de la question climatique mondiale, dans un monde où les problèmes environnementaux, sociaux et politiques sont étroitement liés. Lors de la cop28, il est apparu clairement à quel point la décennie actuelle est une décennie critique pour faire face au changement climatique. Le soin de la création et la paix «sont les questions les plus urgentes, et elles sont liées».6 Je souhaite donc que ce qui a été décidé à Dubaï conduise à «une accélération décisive de la transition écologique, à travers des formes qui […] soient mises en œuvre dans quatre domaines: l’efficacité énergétique, les sources renouvelables, l’élimination des combustibles fossiles et l’éducation à des modes de vie moins dépendants de ces derniers».7
Les guerres, la pauvreté, la maltraitance de notre maison commune et l’exploitation continuelle de ses ressources, qui sont à la racine de catastrophes naturelles, sont des causes qui poussent aussi des milliers de personnes à abandonner leur terre à la recherche d’un avenir de paix et de sécurité. En voyage, ils risquent leur vie sur des routes dangereuses comme le désert du Sahara, la forêt du Darién à la frontière entre la Colombie et le Panama, en Amérique centrale, au nord du Mexique, à la frontière avec les Etats-Unis, et surtout en mer Méditerranée. Cette dernière est malheureusement devenue au cours de la dernière décennie un grand cimetière, avec des tragédies qui continuent à se succéder, notamment à cause de trafiquants d’êtres humains sans scrupules. Parmi les nombreuses victimes, ne l’oublions pas, il y a beaucoup de mineurs non accompagnés.
La Méditerranée devrait plutôt être un laboratoire de paix, un «lieu où des pays et des réalités différentes se rencontrent sur la base de l’humanité que nous partageons tous»,8 comme j’ai eu l’occasion de le souligner à Marseille, au cours de mon voyage, pour lequel je remercie les organisateurs et les autorités françaises, à l’occasion des Rencontres méditerranéennes. Face à cette immense tragédie, nous finissons facilement par fermer notre cœur, nous retranchant derrière la peur d’une «invasion». Nous oublions facilement que nous avons devant nous des personnes avec des visages et des noms et nous oublions la vocation propre de la Mare Nostrum, qui n’est pas celle d’être un cimetière, mais un lieu de rencontre et d’enrichissement réciproque entre personnes, peuples et cultures. Cela n’empêche pas que les migrations doivent être réglementées pour accueillir, promouvoir, accompagner et intégrer les migrants, dans le respect de la culture, de la sensibilité et de la sécurité des populations qui prennent en charge l’accueil et l’intégration. D’autre part, il faut aussi rappeler le droit de pouvoir demeurer dans sa patrie et la nécessité qui en découle de créer les conditions pour qu’il puisse s’exercer effectivement.
Face à ce défi, aucun pays ne peut être laissé seul, et personne ne peut penser à affronter isolément la question à travers des législations plus restrictives et répressives, approuvées parfois sous la pression de la peur ou pour la recherche d’un consensus électoral. C’est pourquoi je salue avec satisfaction l’engagement de l’Union européenne à rechercher une solution commune par l’adoption du nouveau Pacte sur la migration et l’asile, tout en relevant certaines limites, notamment en ce qui concerne la reconnaissance du droit d’asile et le risque de détention arbitraire.
Chers ambassadeurs,
la voie de la paix exige le respect de la vie, de toute vie humaine, à partir de celle de l’enfant à naître dans le sein de la mère, qui ne peut être supprimée, ni devenir objet de marchandage. A cet égard, je trouve regrettable la pratique de la dite mère porteuse, qui lèse gravement la dignité de la femme et de l’enfant. Elle est fondée sur l’exploitation d’une situation de nécessité matérielle de la mère. Un enfant est toujours un cadeau et jamais l’objet d’un contrat. Je souhaite donc un engagement de la Communauté internationale pour interdire cette pratique au niveau universel. A chaque moment de son existence, la vie humaine doit être préservée et protégée, tandis que je constate avec regret, en particulier en Occident, la diffusion persistante d’une culture de la mort qui, au nom d’une fausse piété, rejette les enfants, les personnes âgées et les malades.
La voie de la paix exige le respect des droits humains, selon la formulation, simple mais claire, contenue dans la Déclaration universelle des droits humains dont nous venons de célébrer le 75e anniversaire. Il s’agit de principes rationnellement évidents et communément acceptés. Malheureusement, les tentatives tentées ces dernières décennies d’introduire de nouveaux droits qui ne sont pas pleinement importants par rapport à ceux initialement définis et pas toujours acceptables, ont suscité des colonisations idéologiques, parmi lesquels la théorie du genre joue un rôle central, qui est très dangereuse parce qu’elle efface les différences dans la prétention de rendre tous égaux. Ces colonisations idéologiques provoquent des blessures et des divisions entre les Etats, au lieu de favoriser l’édification de la paix.
Le dialogue, en revanche, doit être l’âme de la Communauté internationale. La conjoncture actuelle est également causée par l’affaiblissement des structures de diplomatie multilatérale qui ont vu le jour après la Seconde Guerre mondiale. Des organismes créés pour favoriser la sécurité, la paix et la coopération ne parviennent plus à réunir tous leurs membres autour d’une table. Il y a le risque d’une «monadologie» et de la fragmentation en «clubs» qui ne laissent entrer que des Etats considérés comme idéologiquement apparentés. Même ces organismes jusqu’à présent efficaces, concentrés sur le bien commun et sur des questions techniques, risquent une paralysie à cause de polarisations idéologiques, en étant instrumentalisés par des Etats singuliers.
Pour relancer un engagement commun au service de la paix, il convient de retrouver les racines, l’esprit et les valeurs qui ont donné naissance à ces organismes, tout en tenant compte de l’évolution du contexte et en tenant compte de ceux qui ne se sentent pas suffisamment représentés par les structures des Organisations internationales.
Il est certain que dialoguer requiert de la patience, de la persévérance et une capacité d’écoute. Mais lorsqu’on tente sincèrement de mettre fin aux discordes, des résultats significatifs peuvent être obtenus. Je pense par exemple à l’Accord de Belfast, connu aussi sous le nom d’Accord du Vendredi Saint, signé par les Gouvernements britannique et irlandais, dont le 25e anniversaire a été commémoré l’année dernière. En mettant fin à trente ans de conflit violent, il peut être pris comme exemple pour inciter et stimuler les Autorités à croire aux processus de paix, malgré les difficultés et les sacrifices qu’ils requièrent.
Le chemin de la paix passe par le dialogue politique et social, car celui-ci est la base de la coexistence civile d’une communauté politique moderne. L’année 2024 verra la convocation des élections dans de nombreux Etats. Les élections sont un moment fondamental dans la vie d’un pays car elles permettent à tous les ci-toyens de choisir de manière respon-sable leurs dirigeants. Les paroles de Pie xii, plus que jamais actuelles, résonnent: «Exprimer son opinion sur les devoirs et les sacrifices qui lui sont imposés; ne pas être contraint d’obéir sans être écouté: voilà deux droits du citoyen qui trouvent leur expression dans la démocratie, comme son nom même l’indique. C’est à la solidité, à l’harmonie, aux bons fruits de ce contact entre les citoyens et le gouvernement de l’Etat que l’on peut reconnaître si une démocratie est vraiment saine et équilibrée, et quelle est sa force de vie et de développement».9
C’est pourquoi il est important que les citoyens, en particulier les jeunes générations qui seront appelées aux urnes pour la première fois, sentent qu’il est de leur responsabilité première de contribuer à la construction du bien commun, à travers une participation libre et consciente aux votes. D’autre part, la politique doit toujours être comprise non pas comme l’appropriation du pouvoir, mais comme la «forme la plus élevée de la charité»10 et donc du service du prochain au sein d’une communauté locale et nationale.
Le chemin de la paix passe aussi par le dialogue interreligieux, qui nécessite avant tout la protection de la liberté religieuse et le respect des minorités. Il est douloureux, par exemple, de constater que de plus en plus de pays adoptent des modèles de contrôle centralisé de la liberté religieuse, avec l’utilisation massive de la technologie. En d’autres lieux, les communautés religieuses minoritaires se trouvent souvent dans une situation de plus en plus dramatique. Dans certains cas, elles sont menacées d’extinction, en raison d’une combinaison d’actions terroristes, d’attaques contre le patrimoine culturel et de mesures plus subtiles telles que la prolifération de lois anti-conversion, la manipulation des règles électorales et les restrictions financières.
L’augmentation des actes antisémites survenus ces derniers mois est particulièrement préoccupante. Je rappelle une nouvelle fois que ce fléau doit être éradiqué de la société, notamment par l’éducation à la fraternité et à l’acceptation de l’autre.
L’augmentation des persécutions et des discriminations à l’encontre des chrétiens, en particulier au cours de la dernière décennie, est tout aussi préoccupante. Il s’agit souvent, bien que de manière non sanglante mais socialement importante, de phénomènes de lente marginalisation et exclusion de la vie politique et sociale et de l’exercice de certaines professions, qui se produisent même dans des pays traditionnellement chrétiens. Dans l’ensemble, plus de 360 millions de chrétiens dans le monde subissent un niveau élevé de persécution et de discrimination en raison de leur foi, et de plus en plus sont contraints de fuir leur pays d’origine.
Enfin, le chemin de la paix passe par l’éducation qui est le principal investissement pour l’avenir et pour les jeunes générations. J’ai encore bien vivant le souvenir des Journées mondiales de la jeunesse qui se sont déroulées au Portugal en août dernier. Tout en remerciant encore une fois les autorités portugaises, tant civiles que religieuses, pour leur engagement dans l’organisation, je garde dans mon cœur la rencontre avec plus d’un million de jeunes, venus du monde entier, pleins d’enthousiasme et de volonté de vivre. Leur présence a été un grand hymne à la paix et le témoignage que «l’unité est supérieure au conflit»11 et qu’il est «possible de développer une communion dans les différences».12
A notre époque, une partie du défi éducatif concerne l’utilisation éthique des nouvelles technologies. Celles-ci peuvent facilement devenir des instruments de division ou de diffusion de mensonges, les fake news comme on les appelle, mais elles sont aussi un moyen de rencontres, d’échanges mutuels et un important vecteur de paix. «Les remarquables progrès des nouvelles technologies de l’information, en particulier dans la sphère numérique, présentent des opportunités enthousiasmantes et des risques graves, avec de sérieuses implications pour la poursuite de la justice et de l’harmonie entre les peuples».13 C’est pourquoi il m’a semblé important de consacrer le Message de la Journée mondiale de la paix annuel à l’intelligence artificielle qui constitue l’un des défis les plus importants des années à venir.
Il est indispensable que le développement technologique se fasse de manière éthique et responsable, en préservant la centralité de la personne humaine dont la contribution ne peut et ne pourra jamais être remplacée par un algorithme ou une machine. «La dignité intrinsèque de chaque personne et la fraternité qui nous lient en tant que membres de l’unique famille humaine doivent rester à la base du développement des nouvelles technologies et servir de critères indiscutables pour les évaluer avant leur utilisation, afin que le progrès numérique se fasse dans le respect de la justice et contribue à la cause de la paix».14
Une réflexion approfondie s’impose donc à tous les niveaux, national et international, politique et social, pour que le développement de l’intelligence artificielle reste au service de l’homme, en favorisant et non en entravant, notamment chez les jeunes, les relations interpersonnelles, un sain esprit de fraternité et une pensée critique capable de discernement.
Dans cette perspective, les deux Conférences diplomatiques de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle, qui auront lieu en 2024 et auxquelles le Saint-Siège participera en tant qu’Etat membre, acquièrent une particulière importance. Pour le Saint-Siège, la propriété intellectuelle est essentiellement orientée vers la promotion du bien commun et ne peut s’affranchir de limitations de nature éthique donnant lieu à des situations d’injustice et d’exploitation indue. Une attention particulière doit également être accordée à la protection du patrimoine génétique humain, en empêchant les pratiques contraires à la dignité de l’homme, telles que le brevetage du matériel biologique humain et le clonage des êtres humains.
Excellences, Mesdames, Messieurs,
l’Eglise se prépare cette année au Jubilé qui commencera à Noël prochain. Je remercie en particulier les autorités italiennes, nationales et locales, pour les efforts qu’elles déploient afin de préparer la ville de Rome à accueillir de nombreux pèlerins et leur permettre de tirer des fruits spirituels de la démarche jubilaire.
Aujourd’hui, peut-être plus que jamais, nous avons besoin de l’année jubilaire. Face à tant de souffrances, qui provoquent désespoir non seulement chez les personnes directement touchées mais dans toutes nos sociétés; face à nos jeunes qui, au lieu de rêver d’un avenir meilleur, se sentent souvent impuissants et frustrés; et face à l’obscurité de ce monde qui semble se répandre au lieu de reculer, le Jubilé proclame que Dieu n’abandonne jamais son peuple et garde toujours ouvertes les portes de son Royaume. Dans la tradition judéo-chrétienne, le Jubilé est un temps de grâce où l’on fait l’expérience de la miséricorde de Dieu et du don de sa paix. C’est un temps de justice où les péchés sont pardonnés, où la réconciliation l’emporte sur l’injustice et où la terre se repose. Il peut être pour tous — chrétiens et non-chrétiens — le temps de briser les épées pour en faire des charrues; le temps où une nation ne lèvera plus l’épée contre une autre et où l’on n’apprendra plus l’art de la guerre (cf. Is 2, 4).
C’est le vœu, chers frères et sœurs, le vœu que je forme de tout cœur pour chacun d’entre vous, chers Ambassadeurs, à vos familles, aux collaborateurs et aux peuples que vous représentez.
Merci et bonne année à tous!
1 Radio-message de Noël aux peuples du monde entier (24 décembre 1944).
2 Const. past. Gaudium et spes (7 décembre 1965), n. 79.
3 Cf. Benoit xv, Lettre aux chefs des peuples belligérants (1er août 1917).
4 Cf. Lett. enc. Fratelli tutti (3 octobre 2020), n. 262.
5 Cf. Exhort. ap. Laudate Deum (4 octobre 2023).
6 Discours à la Conférence des Etats parties à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (2 décembre 2023).
7 Ibid.
8 Discours à la session conclusive des «Rencontres méditerranéennes», Marseille, 23 septembre, n. 1.
9 Radiomessage de Noël aux peuples du monde entier (24 décembre 1944).
10 Pie xi, Audience aux dirigeants de la Fédération universitaire catholique (18 décembre 1927).
11 Exhort. ap. Evangelii gaudium (24 novembre 2013), n. 228.
12 Ibid.
13 Message pour la 57e Journée mondiale de la paix (8 décembre 2023), n. 1.
14 Ibid., n. 2.