«Nemo venit nisi tractus», personne ne s'approche de Jésus s'il n'est pas attiré, écrivait saint Augustin en paraphrasant les paroles du Nazaréen: «Personne ne vient à moi si mon Père ne l'attire pas». A l'origine de l'attractivité de Jésus — cette attraction dont Benoît xvi a parlé en rappelant la manière dont la foi se propage — il y a toujours l'action de la grâce. Dieu nous précède toujours, nous appelle, nous attire, nous fait faire un pas vers Lui, ou tout au moins allume en nous le désir de faire ce pas, même si nous semblons encore manquer de force et nous sentons paralysés.
Le cœur d'un pasteur ne peut rester indifférent aux personnes qui s'approchent humblement de lui pour demander à être bénies, quelles que soient leur condition, leur histoire, leur parcours de vie. Le cœur du pasteur n'éteint pas la petite lumière en ceux qui sentent leur propre incomplétude, sachant qu'ils ont besoin de la miséricorde et de l'aide d'en haut. Le cœur du pasteur entrevoit dans cette demande de bénédiction une fissure dans le mur, une minuscule fente par laquelle la grâce pourrait déjà être à l'œuvre. C'est pourquoi sa première préoccupation n'est pas de reboucher la petite fissure, mais d'accueillir et d'implorer la bénédiction et la miséricorde afin que les personnes face à lui puissent commencer à comprendre le dessein de Dieu pour leur vie.
Cette conscience fondamentale transparaît dans «Fiducia supplicans», la Déclaration du dicastère pour la doctrine de la foi sur le sens des bénédictions, qui ouvre la possibilité à la bénédiction de couples irréguliers, également de même sexe, en précisant bien que, dans ce cas, la bénédiction ne signifie pas l'approbation de leurs choix de vie, et en réitérant la nécessité d'éviter toute ritualisation ou tout autre élément qui pourrait imiter, de près ou de loin, un mariage. Il s’agit d’un document qui approfondit la doctrine sur les bénédictions, en faisant la distinction entre bénédictions d’ordre rituelles et liturgiques, et bénédictions spontanées, se caractérisant plutôt comme des actes de dévotion liés à la piété populaire. C'est un texte qui concrétise, dix ans plus tard, les paroles du Pape contenues dans «Evangelii gaudium»: «L’Eglise n’est pas une douane, elle est la maison paternelle où il y a de la place pour chacun avec sa vie difficile».
L'origine de la Déclaration est évangélique. A chaque page de l'Evangile, ou presque, Jésus brise les traditions, les prescriptions religieuses, la respectabilité et les conventions sociales. Et il pose des gestes qui scandalisent les bienveillants, les «purs» autoproclamés, ceux qui se construisent un bouclier de normes et de règles pour repousser, rejeter, fermer les portes. Dans presque chaque page de l'Evangile, nous voyons les docteurs de la loi essayer de mettre le Maître en difficulté avec des questions tendancieuses, pour ensuite murmurer avec indignation face à sa liberté débordante de miséricorde: «Cet homme fait bon accueil aux pécheurs, et il mange avec eux!».
Jésus était prêt à courir vers la maison du centurion de Capharnaüm pour guérir son serviteur bien-aimé, sans se soucier de se souiller en entrant dans la demeure d'un païen. Il a permis à la pécheresse de lui laver les pieds sous les regards critiques et méprisants des convives, incapables de comprendre pourquoi il ne l'a pas repoussée. Il a regardé et appelé le publicain Zachée qui se tenait perché sur une branche de sycomore, sans s'attendre à ce qu'il se convertisse et change de vie avant de recevoir ce regard miséricordieux. Il n'a pas condamné la femme adultère, qui était passible de lapidation selon la loi, mais il a désarmé les mains de ses bourreaux en leur rappelant qu'eux aussi — comme tous les autres — étaient des pécheurs. Il a dit qu'il était venu pour les malades et non pour les bien-portants, il s'est comparé à la figure singulière d'un berger prêt à laisser 99 brebis sans surveillance pour aller chercher la seule qui s'est égarée. Il a touché le lépreux en le guérissant de sa maladie et de son statut de paria «intouchable». Ces «rejetés» ont croisé son regard et se sont sentis aimés, destinataires d'une étreinte de miséricorde qui leur était offerte sans conditions préalables. Se découvrant aimés et pardonnés, ils ont pris conscience de ce qu'ils étaient: de pauvres pécheurs comme les autres, ayant besoin de conversion, mendiants de tout.
Le Pape François a déclaré aux nouveaux cardinaux en février 2015: «Pour Jésus ce qui compte, avant tout, c’est de rejoindre et de sauver ceux qui sont loin, soigner les blessures des malades, réintégrer tous les hommes dans la famille de Dieu! Et cela scandalise certains! Et Jésus n’a pas peur de ce type de scandale! Il ne pense pas aux personnes fermées qui se scandalisent même pour une guérison, qui se scandalisent face à n’importe quelle ouverture, à n’importe quel pas qui n’entre pas dans leurs schémas mentaux et spirituels, à n’importe quelle caresse ou tendresse qui ne correspond pas à leurs habitudes de pensée et à leur pureté rituelle».
La «doctrine catholique pérenne sur le mariage», rappelle la Déclaration, ne change pas: ce n'est que dans le cadre du mariage entre un homme et une femme que «les relations -sexuelles trouvent leur sens naturel, adéquat et pleinement humain». Il faut donc éviter de reconnaître comme mariage «ce qui ne l'est pas». Mais dans une perspective pastorale et missionnaire, il ne faut pas fermer la porte à un couple «irrégulier» qui viendrait demander une simple bénédiction, à l'occasion d'une visite dans un sanc-tuaire ou à l’occasion d'un pèlerinage. L'érudit juif Claude Montefiore a identifié la spécificité du christianisme précisément en ceci: «Alors que les autres religions décrivent l'homme à la recherche de Dieu, le christianisme proclame un Dieu qui cherche l'homme... Jésus a enseigné que Dieu n'attend pas le repentir du pécheur, il part à sa recherche pour l'appeler à lui». La porte ouverte d'une prière et d'une petite bénédiction peut être un début, une opportunité, une aide.
Andrea Tornielli