· Cité du Vatican ·

FEMMES EGLISE MONDE

PointThéologique
Le choix de François : pas de louanges mais des supplications

La litanie de Marie réconforte les migrants

 La litania di Maria conforto dei migranti  DCM-011
02 décembre 2023

Il ne fait aucun doute que la maternité est un thème théologique : elle traverse différents domaines théologiques tels que l'anthropologie et la mariologie, la théologie biblique et l'ecclésiologie. Peut-on en dire autant de la « maternité migrante » ? Ce qui revient à se demander s'il existe un regard théologique permettant de se pencher sur l'une des tragédies de notre temps. En effet, comme toujours lorsqu'il s'agit de femmes, une tragédie au carré : il est difficile d'oublier les images de mères qui voient leurs nouveau-nés mourir en mer, de bébés qui naissent sur des embarcations de sauvetage, ou même encore de mères qui, pour les sauver, confient leurs bébés à quelqu'un qui a réussi à trouver une place sur une canot : que peut dire la théologie à propos de tout cela ?

Comme c'est souvent le cas, il est nécessaire avant tout de renverser la perspective et de se demander plutôt : que peut dire à la théologie le drame de la maternité migrante ? C'est l'une des grandes, une des plus immenses tragédies de notre temps, qui s'ajoute à d'autres devenues permanentes, comme la guerre et la faim, et qui, en tant que croyants, nous interpelle profondément. Nous savons bien combien les cris de douleur de l'humanité sont souvent source de scandale pour ceux qui ont cru et espéré que Dieu est capable d'écouter les cris de son peuple et connaît vraiment ses souffrances, comme il l'avait dit à Moïse (Exode 3, 7). De ce scandale, qui se traduit en révolte et en rejet, les pages de la grande littérature de tous les temps sont pleines.

Il est peut-être possible, cependant, de suivre d'autres voies. Ou, pourrait-on dire plus modestement, des chemins. J'en mentionne deux, en sachant bien qu'il ne s'agit en aucun cas de proposer des solutions, ne serait-ce que parce qu'il peut parfois devenir presque blasphématoire prétendre que la réflexion sur Dieu puisse devenir une sorte de remède ayant, de surcroît, une action d'actualité.

Une première suggestion me vient de la lecture d'un livre aujourd'hui décidément dépassé, Sisters Rejoice : Paul's Letter to the Philippians and Luke-Acts As Received by First Century Philippian Women, mais de ceux qu'il est difficile d'oublier parce qu'ils ont imposé une conversion décisive de ton point de vue. L'auteur, Lilian Portefaix, bibliste à l'université d'Uppsala, propose de regarder la lettre de Paul aux chrétiens de Philippes dans une perspective entièrement nouvelle : celle des femmes de cette ville et, en particulier, des femmes pour qui la maternité représentait un véritable drame. Paul leur annonçait la joie du salut, mais elles vivaient la maternité comme un destin social dont elles ne pouvaient attendre que la douleur et la mort. On estime qu'au Ier siècle, la durée de vie moyenne d'une femme était très courte et que la principale cause de décès était l'accouchement, sans parler de l'impact sur la vie de toutes les autres femmes, même très jeunes, qui devaient faire face à des situations familiales extrêmement difficiles. Que signifie donc annoncer l'Evangile à celles et ceux dont la vie est plongée dans la tragédie ? Existe-t-il une « réserve de joie » à laquelle peuvent avoir accès aussi les femmes pour qui donner la vie à un enfant s'accompagne, par exemple, d'une tragédie telle que la migration ? C'est une question à laquelle elles seules peuvent répondre, devenant ainsi pour nous l'écho de cette annonce de la vie plus forte que la mort.

Un deuxième indice me vient de la décision du Pape François d'introduire trois invocations supplémentaires dans la longue liste des litanies de Lorette : en plus de Mère de la Miséricorde et Mère de l'Espérance, il a voulu insérer Solacium migrantium (Réconfort des migrants). Une invocation qui s'ajoute à celles qui célèbrent Marie non pas pour ce qu'elle est (Mère, Vierge ou Reine), mais pour ce qu'elle peut faire. Il ne s'agit pas d'une louange, mais d'une supplication. Ce n'est pas une surprise si l'on considère que l'histoire de ce pontificat croise de manière dramatique l'histoire d'un phénomène migratoire d'une ampleur sans précédent. Mais que signifie le fait que Marie puisse être invoquée non seulement en tant que Salut des malades, Refuge des pécheurs, Consolatrice des affligés, Secours des chrétiens, et même Réconfort des migrants ?

Pour certains, la réponse se trouve dans l'exemplarité de Marie qui, - selon les Evangiles des origines par lesquels Matthieu et Luc introduisent leur récit évangélique -, aurait été elle-même une « migrante ». En effet, le premier nous la présente, avec Joseph et l’Enfant nouveau-né, en voyage en Egypte pour échapper à la violence d'Hérode et le second la décrit toujours en voyage, soit vers la maison d’Elisabeth, soit vers Jérusalem pour obéir au recensement.

Peut-être, cependant, lorsqu'il a voulu qu’au sein de la longue liste des litanies de Lorette se trouve aussi l'imploration de Marie comme Réconfort des migrants, le Pape François espérait-il avant tout qu'à chaque fois que le Rosaire serait récité, n’importe où que ce soit dans le monde, la maternité universelle de Marie rappellerait aux croyants que la souffrance des mères migrantes est un signe qui marque au feu cette époque qui est la nôtre. Pouvons-nous invoquer le réconfort des migrants auprès de Marie et fermer nos cœurs, nos frontières, nos églises ?

Marinella Perroni