· Cité du Vatican ·

A un mois du début du conflit en Terre Sainte le récit du patriarche de Jérusalem des Latins

Sortir de la guerre pour engendrer la vie

 Sortir de la guerre  pour engendrer la vie  FRA-045
09 novembre 2023

«Quelque chose s'est brisé. J'espère que ce n'est pas irrémédiable. Mais il faudra beaucoup de temps et d'efforts pour reconstruire. Cependant, quelque chose était déjà fissuré depuis un certain temps: L'échafaudage était certainement branlant et nous avons travaillé dessus avec beaucoup d'efforts. De temps en temps, quelques planches tombaient. Aujourd'hui, c'est tout l'échafaudage qui s'est écroulé. Nous allons devoir tout recommencer». Dans un entretien avec Roberto Cetera pour «L'Osservatore Romano», le cardinal Pierbattista Pizzaballa, patriarche de Jérusalem des Latins, évoque un mois de guerre et de souffrances en Terre Sainte entre Israël et le Hamas. La haine et la soif de vengeance règnent, les menaces et les peurs sont omniprésentes. Tous les germes d'une coexistence possible semblent réduits à néant. «J'ai écrit une lettre à mon diocèse — dit le cardinal — un dimanche après-midi (cf. orlf du 26 octobre) pour réfléchir sur mon rôle et celui des chrétiens dans ce pays. Sans présomption aucune, j'ai senti que pour beaucoup, mes mots étaient attendus comme une valeur existentielle. Voyez-vous, ici, être chrétien, ce n'est pas comme en Europe. Ici, c'est un signe d'appartenance, un mode de vie qui vous accompagne toute votre vie, à chaque instant. On ne l'oublie jamais, et si on l'oublie, d'autres nous le rappellent. Et puis j'ai voulu dire les choses clairement, pas comme dans les interviews où l'on ne peut pas s'exprimer pleinement, où l'on est souvent mal représenté, où l'on essaie de vous faire prendre un parti ou un autre. Il me fallait dire un mot vrai, prié, réfléchi». En effet, en Terre Sainte, il y a toujours la difficulté de devoir dire une troisième parole bien que l'on soit le pasteur d'un côté ou de l'autre des parties en conflit: «Les chrétiens — souligne Pierbattista Pizzaballa — sont dans ce pays une réalité composite. Parmi les trois religions abrahamiques, nous sommes les seuls à ne pas nous identifier à un seul groupe ethnique», et le cardinal donne un exemple: «En ce moment, il y a des soldats catholiques qui, sous le drapeau israélien, se trouvent à Gaza. Eux aussi font partie de mon troupeau. Il y a aussi les communautés de langue hébraïque, les étrangers, les travailleurs immigrés. C'est une autre raison pour laquelle j'ai dit qu'il fallait une dose supplémentaire de courage pour maintenir l'unité malgré nos différences. Même parmi les prêtres, il y a des situations différentes, ceux qui vivent la situation sur leur propre peau ont certainement des sensibilités différentes. Je voulais les rencontrer et les écouter. Même dans des positions différentes, il est important de les laisser parler et de savoir les écouter. Mais dans ma lettre, et dans toutes mes communications, je n'ai jamais voulu dire qu'il fallait commencer par l'Evangile et finir par l'Evangile. Peut-être que mes paroles n'ont pas toujours été comprises et bien reçues dans cet éventail de positions différentes, mais il était nécessaire que je parle en vérité, en réaffirmant que seul l'Evangile est notre boussole. Nous ne devons jamais oublier que nous sommes avant tout des chrétiens, et nous devons nous demander comment vivre en tant que chrétiens dans cette situation. C'est une question, soyons clairs, que je me pose avant tout. Après un premier moment de désorientation, la situation est maintenant plus claire, tristement plus claire. De nombreuses questions restent cependant ouvertes sur la suite, sur la manière de reconstruire un tissu de relations humaines». Mais la question qui se pose à un mois du conflit qui semble devoir durer dans le temps, est «Comment sortir de cette guerre?». Pour le patriarche de Jérusalem des Latins «les conséquences de celle-ci seront terribles. Deux points me paraissent particulièrement inquiétants. Le premier est que les deux camps semblent manquer de vision stratégique, autre que l'anéantissement de l'autre. Même la terre semble avoir été reléguée au second plan par rapport au désir de destruction mutuelle. Il n'y a pas de stratégie de sortie. La seconde est la difficulté de prendre ses distances, même émotionnellement, avec les lourds passés des deux peuples, la Shoah et la Nabka, que le 7 octobre a évoqués». En ce qui concerne l’unité des chrétiens en Terre Sainte, le cardinal Pizzaballa note que «les chrétiens ne sont pas divisés. Confus, et fatigués, oui — dit-il — mais pas divisés. Confus, parce que l'impact émotionnel les a profondément affectés. Par exemple, la communauté de langue hébraïque a mal réagi à la première lettre des patriarches, et la communauté arabe, à d'autres égards, peut en dire autant. Pour moi, l'important est qu'ils aient vu que leur évêque est présent. L'évêque peut parfois être apprécié ou non, mais il est là. Ensuite, nous devrons nous parler, nous comprendre. Ce ne sera pas facile, mais nous le ferons. La petite communauté chrétienne devra être capable de dire quelque chose à tout le monde. Mais pour l'instant, il est encore tôt, parce qu'il y a encore beaucoup de douleur, et quand il y a de la douleur, l'espace d'analyse et de réflexion se rétrécit. Le deuil absorbe beaucoup d'énergie, il faudra donc du temps. Une chose dont je me suis rendu compte ces derniers temps c'est qu’il y a un grand besoin de proximité, d'affection… Il faut aimer tout le monde. C'est le grand défi que nous devons relever en tant que chrétiens ici. Etre capable d'aimer les juifs et les musulmans, l'Israélien et le Palestinien. Même s'ils ne reconnaissent pas notre amour».