Dans la matinée du lundi 6 novembre, le Pape François a reçu en audience dans la salle du Consistoire une délégation de la Conference of European Rabbis (Conférence des rabbins européens). «Je vous salue tous, — a-t-il dit en s'adressant aux personnes présentes —, et je vous souhaite la bienvenue. Je vous remercie pour cette visite qui me fait tant plaisir. Mais il se trouve que je ne suis pas en grande forme et je préfère donc ne pas lire le discours, mais vous le donner afin que vous l'emportiez avec vous. Faisons tout notre possible pour maintenir ce climat de dialogue fraternel que le cardinal Koch et ses collaborateurs essaient de promouvoir en permanence. Et maintenant, je voudrais vous saluer un par un». Le directeur de la salle de de presse du Saint-Siège, Matteo Bruni, a ensuite expliqué: «Le Pape François est un peu enrhumé et a une longue journée d'audiences. Il a souhaité saluer individuellement les rabbins européens et leur a donc remis le discours. Pour le reste, les activités du Pape se poursuivent régulièrement». Nous publions le texte du discours remis par le Souverain Pontife.
Chers frères,
Je vous salue, en vous souhaitant chaleureusement la bienvenue et en vous remerciant de votre visite. Par le passé, j'ai déjà rencontré au Vatican votre organisation, la voix des rabbins en Europe. Je suis heureux que nous ayons pu intensifier nos relations au fil du temps et en particulier ces dernières années.
La première pensée et la prière vont toutefois avant tout vers ce qui s'est passé ces dernières semaines. Une fois de plus, la violence et la guerre ont éclaté sur cette Terre qui, bénie par le Très-Haut, semble continuellement secouée par la bassesse de la haine et le vacarme funeste des armes. De même est préoccupante la propagation de manifestations antisémites, que je condamne fermement.
Chers frères, dans la nuit des conflits, nous, croyants dans l’unique Dieu, tournons notre regard vers Celui que le prophète Isaïe appelle «juge entre les nations, arbitre de peuples nombreux», ajoutant, presque comme conséquence de son jugement, une merveilleuse prophétie de paix: «Ils briseront leurs épées pour en faire des socs et leurs lances pour en faire des serpes. On ne lèvera plus l'épée nation contre nation, on n'apprendra plus à faire la guerre» (Is 2, 4). En ce temps de destruction, nous, croyants, sommes appelés, pour tous et avant tous, à construire la fraternité et à ouvrir des chemins de réconciliation, au nom du Tout-Puissant qui, comme le dit un autre prophète, a «des desseins de paix et non de malheur» (Jr 29, 11). Ce ne sont ni les armes, ni le terrorisme, ni la guerre, mais la compassion, la justice et le dialogue qui sont les -moyens appropriés pour édifier la paix.
Je m'attarde précisément sur l'art du dialogue. L'être humain, qui a une nature sociale et se trouve en contact avec les autres, se réalise dans le réseau des relations sociales. En ce sens, il est non seulement capable de dialoguer, mais il est lui-même dialogue. Suspendu entre ciel et terre, ce n'est que dans le dialogue avec l'Au-delà qui le transcende et avec l'Autre qui accompagne ses pas qu'il peut se comprendre et mûrir. Le mot «dialogue» signifie étymologiquement «à travers la parole». La Parole du Très-Haut est une lampe sur mes pas, une lumière sur ma route (cf. Ps 119, 105): elle oriente nos pas précisément vers la recherche du prochain, vers l'accueil, vers la patience; assurément pas vers l'élan soudain de la vengeance et la folie de la haine guerrière. Combien il est donc important, pour nous -croyants, d'être témoins du dialogue!
Si nous appliquons ces constatations au dialogue judéo-chrétien, nous pouvons dire que nous nous rapprochons les uns des autres à travers la rencontre, l'écoute et l'échange fraternel, en nous reconnaissant serviteurs et disciples de cette Parole divine, lit vital dans lequel germent nos paroles. Ainsi, pour devenir des bâtisseurs de paix, nous sommes appelés à être des constructeurs de dialogue. Non seulement avec nos propres forces et capacités, mais avec l'aide du Tout-Puissant. En effet, «Si l’Eternel ne bâtit la maison, ceux qui la bâtissent travaillent en vain» (Ps 127, 1).
Le dialogue avec le judaïsme revêt une importance particulière pour nous, chrétiens, parce que nous avons des racines juives. Jésus est né et a vécu en tant que juif; il est lui-même le premier garant de l'héritage juif au sein du christianisme et nous, qui appartenons au Christ, avons besoin de vous, chers frères, nous avons besoin du judaïsme pour mieux nous comprendre nous-mêmes. Il est donc important que le dialogue judéo-chrétien garde vivante la dimension théologique, tout en continuant à aborder les questions sociales, culturelles et politiques.
Nos traditions religieuses sont étroitement liées: il ne s'agit pas de deux croyances étrangères entre elles qui se sont développées indépendamment dans des espaces séparés et sans s'influencer l'une l'autre. Le Pape Jean-Paul ii , lors de sa visite à la synagogue de Rome, nota que la religion juive n'est pas extrinsèque, «mais d'une certaine manière, elle est “intrinsèque” à notre religion». Il vous a appelés «nos frères bien-aimés», «nos frères aînés» (Discours, 13 avril 1986). On pourrait donc dire que notre dialogue, plus qu'un dialogue interreligieux, est un dialogue familial. En effet, lorsque je me suis rendu à la synagogue de Rome, j'ai dit en effet que «nous appartenons à une seule famille, la famille de Dieu, qui nous accompagne et nous protège en tant que son peuple» (Discours, 17 janvier 2016).
Chers frères, nous sommes liés les uns aux autres devant l’unique Dieu; ensemble, nous sommes appelés à témoigner de sa parole par notre dialogue et de sa paix par notre conduite. Que le Seigneur de l'histoire et de la vie nous donne le courage et la patience de le faire. Shalom!