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FEMMES EGLISE MONDE

Ce Mois-ci
Les femmes après Vatican II : l'analyse d'une historienne

L'héritage des 23 mères conciliaires

Le uditrici si recano al Concilio. Nella foto sono riconoscibili: Hedwig von Skoda, Juliana
Th omas, ...
04 novembre 2023

Il ne fait aucun doute que le Concile Vatican II a représenté un tournant dans l'histoire de l'Eglise catholique, y compris en ce qui concerne la question des femmes. Si Jean XXIII avait déjà indiqué comme l'un des signes des temps la nécessité de l'entrée des femmes dans la vie publique (encyclique Pacem in terris), sachant saisir les nouveaux éléments d'une société qui exigeait la reconnaissance des conquêtes sociales obtenues par les mouvements féminins, l’on doit cependant à Paul VI le mérite d'avoir convoqué des femmes, pour la première fois dans l'histoire de l'Eglise, en les invitant à participer comme auditrices. Lors de la troisième et de la quatrième session du Concile, de septembre 1964 à juillet 1965, furent ainsi appelées 23 auditrices : 10 religieuses et 13 laïques, choisies pour la plupart selon des critères d'internationalité et de représentativité. Une vingtaine d'expertes, s’ajoutèrent à elles pour leurs compétences spécifiques et leur professionnalisme, comme l'économiste britannique Barbara Ward, experte internationale sur les questions inhérentes à la faim dans le monde, l'Américaine Patricia Crowley, faisant autorité dans le domaine des questions relatives au contrôle des naissances, et Eileen Egan, Anglaise, engagée dans les mouvements non violents et pacifistes.

L'influence des auditrices s'est principalement exercée sur deux documents sur lesquels elles avaient travaillé au sein des sous-commissions : les constitutions Lumen Gentium, qui souligna le rejet de toute discrimination sexuelle, et Gaudium et Spes, dans laquelle a émergé la vision unitaire de l'homme-femme en tant que « personne humaine » et l'égalité fondamentale entre les deux genres. Nous connaissons les interventions autorisées de certaines d'entre elles (par exemple l'Australienne Rosemary Goldie, l'Espagnole Pilar Bellosillo et la Française Suzanne Guillemin) pour que l’aspect féminin ne soit pas traité comme un sujet en soi, pour l'isoler, le mettre en cage ou l'exalter, mais que soit affirmée la dignité de la personne humaine et, par conséquent, la primauté de l'égalité fondamentale qui confère à chaque baptisé/é le principe de la coresponsabilité apostolique.

Le dépassement de la conception contractualiste et juridique traditionnelle de l'institution familiale, à travers la récupération de la valeur fondamentale de l'amour conjugal, fondée sur une « communauté intime de vie et d'amour », a également été d'une grande importance. Dans cette perspective, la contribution du couple mexicain Luz Marie Alvarez Icaza et de son mari José à la sous-commission de Gaudium et Spes a été décisive pour changer l'attitude des évêques à l'égard de la sexualité dans le couple conjugal, à considérer non plus comme un remède à la concupiscence liée au péché, mais comme une expression et un acte d'amour.

Il faut aussi rappeler l'importante contribution de l'économiste Barbara Ward au débat sur la présence de l'Eglise dans le monde et son engagement pour que l'Eglise ait une parole crédible sur la question de la pauvreté et le thème du développement humain.

Les religieuses auditrices jouèrent également un rôle important dans l'actualisation de la vie religieuse, en déclenchant des processus d'innovation et d'expérimentation. Elles travaillèrent au repositionnement au cœur de la vie religieuse du message évangélique, à travers un retour aux sources bibliques et liturgiques ; elles soulignèrent la dignité personnelle de chaque membre de la communauté, valorisant les spécificités et les valeurs de la femme ; elles poussèrent à une attitude différente des religieuses vis-à-vis du monde auquel elles devaient s'ouvrir.

L'importance du Concile pour les femmes va cependant bien au-delà des quelques références, bien que significatives, contenues dans ses documents et doit être recherché dans la nouvelle méthodologie, d'écoute et de dialogue, qui a conduit à la reconnaissance de la dignité de toute personne humaine, ouvrant à chaque baptisé de nouveaux espaces de responsabilité et de participation dans l'Eglise. Le Concile n'a pas voulu exprimer des définitions dogmatiques, mais ouvrir des fenêtres sur un monde en mutation, demandant à l'Eglise de se renouveler et de s'actualiser. Il a permis l'accès aux femmes et aux laïcs aux facultés de théologie : en 1965, la première « étudiante extraordinaire », Maria Luisa Rigato, est entrée à l'Institut biblique pontifical et, en 1970, Nella Filippi a été la première femme à obtenir un doctorat en théologie à la Faculté pontificale « Angelicum » de Rome.

60 ans plus tard, est-il encore pertinent de se tourner vers le Concile pour s’en inspirer ? Plusieurs questions concernant la participation réelle et active des laïcs à la vie de l'Eglise sont restées sans réponse. Paul VI lui-même, qui avait favorisé la participation des femmes, craignait que les changements en cours n'entraînent des dangers pour l'Eglise et la société. Il s'est saisi de questions qui touchaient profondément les femmes : la contraception (donc la sphère corporelle et sexuelle), le ministère (le rôle de gouvernement dans l'Eglise) et la loi du célibat ecclésiastique (et avec elle l'image négative du féminin vu en opposition avec le sacré). Mais les questions demeurent encore aujourd'hui ouvertes.

A de nombreuses reprises, le Pape François a soulevé la question du dépassement du cléricalisme afin que l'Eglise réfléchisse sur elle-même en se renouvelant, et a ouvert aux femmes certains espaces qui leur étaient auparavant inaccessibles, mais nous sommes encore loin de la mise en œuvre de stratégies appropriées qui conduisent à une égalité et à une responsabilité réelles.

Adriana Valerio
Théologienne et historienne