· Cité du Vatican ·

Nouvelles guerres
vieux schémas

epa10928617 The damaged Greek Orthodox Saint Porphyrius Church following an overnight airstrike in ...
26 octobre 2023

Il y a quelque chose qui nous échappe dans la signification de certains mots. Ou plutôt, dans la signification qu’on leur attribue couramment. Prenons deux mots utilisés ces jours-ci. Le terme anglais «casualties»; en français souvent entendu dans le sens de «dommages collatéraux». Collatéral est quelque chose qui s’ajoute, mais qui est d’une certaine façon inévitable. Disons qu’il y a un dommage collatéral quand dans un combat dans lequel dix soldats meurent, il y a un civil malchanceux, qui, se trouvant au mauvais endroit au mauvais moment, perd la vie. Donc 10 soldats et un civil. Mais ce à quoi nous assistons depuis 19 jours est un «dommage inversement collatéral». Des deux côtés, le rapport est de 10 civils morts pour un soldat. L’effet collatéral dans les attaques terroristes inhumaines contre les kibboutz et dans les bombardements de Gaza, est que, en plus des milliers de civils morts, les casualties ont concerné également un militaire ou un milicien.

Non pas que la vie des militaires compte moins ou qu’elle nous soit indifférente, mais cette banalité désormais acquise du sacrifice de victimes innocentes nous scandalise, nous avilit. Comme l’a dit Edith Bruck dans les pages de l’or quotidien: «Il n’y a jamais de guerres justes, mais au moins autrefois, il y avait deux armées qui s’affrontaient […] aujourd’hui il ne s’agit même plus de guerres, mais de massacres sauvages».

Dans ces nouvelles «guerres», on observe aussi une sorte d’acceptation passive de l’inéluctabilité du mécanisme attaque-réaction. Cela fait partie des «schémas de guerre» dont le Pape François a souvent parlé, des schémas que l’humanité têtue ne réussit pas à briser.

Nous aimons Israël et son peuple, et nous ne lasserons jamais de défendre les raisons de son existence et de son droit à se défendre contre le terrorisme. Mais nous ne pouvons manquer de nous demander et de demander: combien, sur les plus de 4.000 personnes tuées à Gaza au cours des deux dernières semaines, étaient des terroristes du Hamas et du djihad islamique? Et l’offensive terrestre n’a pas encore commencé. Cette quarantaine de nos frères dans la foi ensevelis sous les décombres de leur église étaient «collatéraux» de quoi ?

Le président Biden et le président Sunak se sont rendus en Israël, Emmanuel Macron se dépense beaucoup et avec lui les chancelleries d’une grande partie du monde. L’Europe est mobilisée, sans doute consciente du réflexe pavlovien qui la rattache aux origines lointaines de ce conflit. Une grande activité qui, si elle avait été déployée avant le 7 octobre, quand les signes d’une dégénération irrémédiable étaient déjà évidents, nous aurait évité d’assister à ces tragédies.

Notre journal — et avec nous le patriarche Pizzaballa — dénonce depuis des mois la disparition du conflit israélo-palestinien des radars des chancelleries occidentales. Mais également parmi les hommes politiques internationaux qui cherchent à présent un rôle de médiation émerge un autre terme qui nécessite lui aussi d’être examiné: «couloir humanitaire». Un couloir humanitaire présuppose une guerre. Tous les res-ponsables intervenus sur la scène internationale ont réclamé l’ouverture de couloirs humanitaires, personne n’a demandé un «cessez-le-feu» immédiat.

Un seul responsable mondial, à cette occasion comme auparavant dans la guerre d’agression de la Russie contre l’Ukraine, a demandé un cessez-le-feu: le Pape François. Il a tenté de briser le schéma de guerre et de proposer le schéma de paix. Mais, on le sait, c’est l’histoire qui nous l’apprend, les prophètes de paix sont souvent appelés ainsi car on ne les écoute pas. La voix prophétique de qui avertit que tant que chacun reste concentré sur sa propre douleur et ne reconnaît pas celle de l’autre, il est impossible de passer de la haine à la compassion. Et que tant que, d’un côté comme de l’autre, on ne reconnaîtra pas la dignité des victimes du camp adverse, on ne sortira pas de cette spirale de haine. 

Andrea Monda