· Cité du Vatican ·

Entretien du Pape François avec l’agence argentine Télam

Pour surmonter les crises il faut des protagonistes d’humanité

 Pour surmonter les crises il faut des protagonistes d’humanité  FRA-042
19 octobre 2023

«L’exploitation est l’une des origines de la guerre. L’autre origine est de type géopolitique, de domination du territoire», a affirmé le Pape François dans un entretien à l’agence de presse Télam — accordé avant l’attaque terroriste de Hamas contre Israël —, dans lequel il a affronté également d’autres thèmes comme la crise et les faux messies, le travail, l’intelligence artificielle, le synode et l’espérance.

«J’aime le mot crise parce qu’il a un mouvement interne. Mais on sort d’une crise par le haut, on n’en sort pas “avec des compromis”. On en sort vers le haut et l’on n’en sort pas seul. Ceux qui veulent en sortir seuls transforment la sortie en un laby-rinthe, qui fait tourner toujours en rond», a dit le Pape, qui a également souligné l’importance d’enseigner aux jeunes à résoudre les crises, parce que cela confère une maturité, en avertissant de faire attention aux messianismes: «Personne ne peut promettre la résolution des conflits sinon à travers les crises, en en sortant vers le haut. Et pas seuls».

La journaliste de Télam, Bernarda Llorente, a demandé au Pape: «Que manque-t-il à l’humanité et qu’a-t-elle en plus?». François a répondu en rappelant la nécessité de promouvoir «les vraies valeurs».

«A l’humanité — a-t-il dit — manquent des protagonistes de l’humanité, il faut qu’elle fasse voir son protagonisme humain. Parfois, je constate que cette capacité à gérer les crises et à mettre en valeur sa propre culture fait défaut. Nous ne devons pas avoir peur de faire ressortir les vraies valeurs d’un pays. Les crises sont comme des voix qui nous indiquent la direction à suivre».

François a ensuite rappelé que «la pensée unique met à l’écart la richesse humaine. Et la richesse humaine doit prendre en compte trois réalités, trois langages: de la tête, du cœur et des mains. Afin que l’on pense ce que l’on sent et ce que l’on fait, que l’on sente ce que l’on pense et ce que l’on fait et que l’on fasse ce que l’on pense et ce que l’on sent. Voilà l’harmonie humaine. S’il manque l’un de ces langages, il y a un déséquilibre qui conduit au sentiment unique, au pragmatisme unique ou à la pensée unique. Ce sont des trahisons à l’humanité».

En parlant du travail, le Pape a rappelé la dignité du travail et le grave péché de l’exploitation: «C’est le travail qui rend dignes. Or, la plus grande trahison sur ce chemin de dignité est l’exploitation. Non pas l’exploitation de la terre pour qu’elle produise plus, mais l’exploitation du travailleur. Exploiter les personnes est l’un des péchés les plus graves. Surtout les exploiter pour son propre profit».

Le Pape a aussi souligné la nécessité de garantir les droits des travailleurs, afin qu’ils ne deviennent pas esclaves: «Lorsqu’un travailleur n’a pas de droits ou qu’on lui offre un contrat à terme pour pouvoir en embaucher un autre et ne pas payer de cotisations, il devient un esclave et celui qui l’embauche un bourreau», a-t-il déclaré.

François a aussi déploré que certains le qualifient de «communiste» lorsqu’ils entendent parler de ses encycliques sociales: «Ce n’est pas ça. Le Pape prend l’Evangile et dit ce que dit l’Evangile. Et dans l’Ancien Testament, la loi hébraïque demandait que l’on prenne soin de la veuve, de l’orphelin et de l’étranger. Si une société respecte ces trois éléments, elle se porte très bien».

«Et je précise que je ne suis pas communiste, comme l’affirment certains. Le Pape suit l’Evangile», a répété François.

Il a aussi été demandé au Pape son avis sur les progrès de la technologie et ses implications: «La ligne directrice d’un progrès culturel, comme l’intelligence artificielle, est la capacité qu’ont l’homme et la femme de le gérer en l’assimilant et en le réglementant. C’est-à-dire que l’homme et la femme sont maîtres de la Création et en cela, il ne faut pas hésiter. La domination de la personne sur toute chose. Le changement scientifique sérieux est progrès, il faut être ouvert à cela», a répondu le Pape.

En reprenant le thème de la guerre, François a lancé un appel à la sécurité universelle à travers le dialogue: «On ne peut pas parler de sécurité sociale s’il n’y a pas de sécurité universelle ou une sécurité qui s’universalise. Je crois que le dialogue ne peut être uniquement nationaliste, il est universel, surtout aujourd’hui, avec toutes les facilités qui existent pour communiquer. C’est pour cela que je parle de dialogue universel, d’harmonie universelle, de rencontre universelle. Et bien sûr, l’ennemi de tout cela est la guerre».

Le Pape François considère que «l’exploitation» et «la domination des territoires» sont à l’origine des guerres «fomentées par les dictatures». Pour l’édification de la paix et le bien commun, le Saint-Père -exhorte à faire en sorte «que l’on prenne conscience de sa propre identité. «On ne peut pas dialoguer avec l’autre si l’on n’est pas conscient d’où l’on vient. Quand deux identités conscientes se rencontrent, elles peuvent dialoguer et accomplir des pas vers un accord, vers le progrès, un chemin ensemble».

Aux questions sur le déroulement du Synode et sur ce qu’il faut à l’Eglise de notre temps, le Pape a répondu: «Dès le début du concile Vatican ii Jean xxiii eut une perception très claire: l’Eglise devait changer». Paul vi aussi était du même avis et a poursuivi dans cette direction, de même que les Papes qui lui succédèrent. Il ne s’agit pas seulement de suivre les modes, il s’agit d’un changement de croissance et en faveur de la dignité des personnes. C’est en cela que consiste le progrès théologique, de la théologie morale et de toutes les sciences ecclésiastiques, y compris l’interprétation des Ecritures, qui ont progressé en harmonie avec les sentiments de l’Eglise. Toujours en harmonie».

L’entretien s’est poursuivi en abordant des thèmes personnels, comme la relation avec Dieu: «Le Seigneur est un bon ami, il me traite bien». En ce qui concerne la capacité de rire, le Pape a dit: «Le sens de l’humour rend humains»; et sur l’importance de la vertu de l’espérance, il a ajouté: «Nous ne pouvons pas vivre sans espérance. Si nous éliminions les petites espérances de chaque jour, nous perdrions notre identité. Nous ne nous rendons pas compte que nous vivons d’espérances. Et l’espérance théologale est très humble, mais c’est celle qui donne du goût au quotidien».

Enfin, en ce qui concerne ses voyages apostoliques, François a confié qu’il aimerait aller en Argentine: «A propos de ceux qui sont plus éloignés, il me reste la Papouasie-Nouvelle Guinée», a-t-il dit.