«L’eau ne doit jamais être considérée comme une simple marchandise, comme une monnaie d'échange ou comme un objet de spéculation». C'est ce qu'a écrit le Pape François dans le message envoyé au directeur général de la fao à l'occasion de la Journée mondiale de l'alimentation, qui a pour thème cette année: «L'eau est vie, l'eau est nourriture. Ne laisser personne de côté». Nous publions ci-dessous le texte du message lu par Mgr Fernando Chica Arellano, observateur permanent du Saint-Siège auprès de l’institution des Nations unies dont le siège est à Rome.
Son Excellence Monsieur Qu Dongyu,
Directeur général de la fao
Votre Excellence,
La Journée mondiale de l'alimentation est célébrée à un moment où beaucoup de nos frères et sœurs souffrent de la pauvreté et du découragement. En effet, le cri d'angoisse et de désespoir des pauvres devraient nous réveiller de la léthargie qui nous tenaille, et interpeller nos consciences. La situation de faim et de malnutrition qui blesse gravement tant d'êtres humains est le résultat d'une accumulation inique d'injustices et d'inégalités qui laisse de nombreuses personnes sur le bord de la route de la vie et permet à quelques-uns seulement de jouir d’un état d'ostentation et d'opulence. Cela ne s'applique pas seulement à la nourriture, mais aussi à toutes les ressources de base dont l'inaccessibilité pour de nombreuses personnes représente une offense à leur dignité intrinsèque, donnée par Dieu. C'est en effet une insulte qui devrait faire honte à l'humanité tout entière, et mobiliser la communauté internationale.
En ce sens, le thème au cœur des réflexions de la Journée de cette année, «L'eau est vie, l'eau est nourriture. Ne laisser personne de côté», nous invite à mettre en évidence la valeur irremplaçable de cette ressource pour tous les êtres vivants de notre planète, d'où l'impérieuse nécessité de planifier et de mettre en œuvre sa gestion de manière sage, prudente et durable, afin que tous puissent en bénéficier pour satisfaire leurs besoins essentiels et qu'un développement humain adéquat puisse également être soutenu et promu, sans que personne n'en soit exclu.
L'eau est vie parce qu'elle garantit la survie; cependant, aujourd'hui, cette ressource est menacée par de graves défis en termes de quantité et de qualité. Dans de nombreuses régions du monde, nos frères et sœurs souffrent de maladies ou meurent précisément en raison de l'absence ou de la pénurie d'eau potable. Les sécheresses causées par le changement climatique laissent d'immenses régions stériles et causent d'énormes ravages aux écosystèmes et aux populations. La gestion arbitraire des ressources en eau, son utilisation dénaturée et la pollution de celle-ci, sont particulièrement dommageables pour les pauvres et constituent un scandale honteux auquel nous ne pouvons rester indifférents. Au contraire, nous devons reconnaître avec urgence que «l’accès à l’eau potable et sûre est un droit humain primordial, fondamental et universel, parce qu’il détermine la survie des personnes, et par conséquent il est une condition pour l’exercice des autres droits humains» (Lettre encyclique Laudato si', n. 30). Il est donc essentiel d'investir davantage dans les infrastructures, les réseaux d'égouts, les systèmes d'assainissement et de traitement des eaux usées, en particulier dans les zones rurales les plus reculées et les plus défavorisées. Il est également important de développer des modèles éducatifs et culturels qui sensibilisent la société à la nécessité de respecter et de préserver ce bien primordial. L’eau ne doit jamais être considérée comme une simple marchandise, comme une monnaie d'échange ou comme un objet de spéculation.
L'eau est nourriture parce qu'elle est indispensable pour parvenir à la sécurité alimentaire, étant un moyen de production et une composante indispensable de l'agriculture. Dans les cultures, il est nécessaire de promouvoir des programmes efficaces pour éviter les pertes dans les tuyaux d'irrigation agricole; utiliser des pesticides et des engrais organiques et inorganiques qui ne polluent pas l'eau; encourager également des mesures pour sauvegarder la disponibilité des ressources en eau afin d'éviter que des pénuries aiguës ne deviennent une cause de conflit entre communautés, peuples et nations. En outre, la science et l'innovation technologique et numérique doivent être mises au service d'un équilibre durable entre consommation et ressources disponibles, en évitant les impacts négatifs sur les écosystèmes et les dommages irréversibles à l'environnement. Pour cette raison, les organisations internationales, les gouvernements, la société civile, les entreprises, les institutions académiques et de recherche, ainsi que d'autres entités, doivent unir leurs forces et leurs idées afin que l'eau soit le patrimoine de tous, et soit mieux répartie et gérée de manière durable et rationnelle.
Enfin, la célébration de la Journée mondiale de l'alimentation devrait également servir à rappeler que la culture du jetable doit être combattue de manière incisive par des actions basées sur la coopération responsable et loyale de la part de tous. Notre monde est trop interdépendant et ne peut se permettre le luxe de se diviser en blocs de pays qui promeuvent leurs propres intérêts de manière fallacieuse et déformée. Nous sommes plutôt appelés à penser et à agir en termes de communauté, de solidarité, en cherchant à donner la priorité à la vie de tous par rapport à l'appropriation de biens par quelques-uns.
Monsieur le directeur général, nous assistons malheureusement aujourd'hui à une scandaleuse polarisation des relations internationales en raison des crises et affrontements existants. D'énormes ressources financières et des technologies innovantes qui pourraient être utilisées pour faire de l'eau une source de vie et de progrès pour tous, sont détournées vers la production et le commerce d'armes. Jamais il n'a été plus urgent de devenir des promoteurs de dialogue et des artisans de paix. L'Eglise ne se lasse pas de semer ces valeurs pour construire une civilisation qui trouve dans l'amour, le respect mutuel et l'entraide réciproque une boussole pour guider ses pas, en se tournant avant tout vers nos frères et sœurs qui souffrent le plus, comme les affamés et les assoiffés.
Avec ces vœux, alors que je remercie l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture pour ce qu'elle fait pour promouvoir le développement agricole, une alimentation saine et suffisante pour chaque personne et l'utilisation durable de l'eau, j’invoque d'abondantes bénédictions célestes sur tous ceux qui œuvrent pour un monde meilleur et plus fraternel.
Du Vatican, le 16 octobre 2023
François