· Cité du Vatican ·

Synodalité et vie monastique, une expérience dictée par l’Esprit Saint

Toute parole qui met en circulation l’Evangile est précieuse

 Toute parole qui met en circulation l’Evangile est précieuse  FRA-041
12 octobre 2023

Alors que le synode a commencé, j’aime penser que le monde monastique aurait quelque chose à dire sur cette précieuse pratique ecclésiale, qui ne lui vient pas de son érudition, mais de sa nature de vie communautaire et cénobitique, de frères et sœurs, qui a toujours été caractérisée par des formes différentes et multiples de synodalité active et concrète.

Des manières qui diffèrent selon les traditions spirituelles: c’est une caractéristique des moines et des moniales de se réunir pour prier, comprendre, décider, accueillir, discerner. Cette terminologie exprime bien ce que signifie concrètement la synodalité dans la vie quotidienne, et comment, à l’intérieur de nos maisons et dans nos dynamiques relationnelles, nous essayons de vivre une expérience ecclésiale et spirituelle authentique, qui implique toujours la disponibilité à marcher ensemble, partager une vision, une perspective qui nous attire, et identifier les étapes et les modalités susceptibles d’activer dans chacun d’entre nous et dans la communauté un changement durable et efficace.

C’est une expérience dictée par l’Esprit Saint, qui conserve une ample marge d’ouverture et d’imprévisibilité, des caractéristiques typiques de l’Esprit, qui souffle et va où il veut. En me référant à la tradition que je connais le mieux, celle qui se tourne vers Claire d’Assise, je peux affirmer que dans les relations, Claire nous invite à reconnaître à toutes le droit et le pouvoir de parole, et demande à toutes une attitude d’écoute, permettant à chacune d’apporter sa propre pensée en contribution à la vie commune. Son expérience nous enseigne que toute parole mettant en circulation la vitalité de chacune et l’Evangile est précieuse, un don qui renouvelle et qualifie le discernement de tout le Peuple de Dieu. Dans ces affirmations, nous trouvons ce que l’expérience millénaire de la vie monastique a exprimé bien plus tôt avec Benoît et que Claire a emprunté par ces mots: «L’abbesse est tenue d’assembler ses sœurs en chapitre. (…) Elle doit aussi y traiter de tout ce qui regarde l’utilité et le bien du monastère et cela avec toutes les sœurs, car souvent c’est à la plus petite que le Seigneur révèle ce qu’il y a de mieux à faire».

Il y a un véritable exercice de foi et d’espérance à demeurer constants et fidèles à la coutume de se réunir, à croire que ce n’est pas une perte de temps de se tailler un espace dans lequel tous peuvent parler, où chacun a la parole et où tous s’exposent à parler! Un processus authentique de synodalité, dans l’espoir d’une participation qui aille au-delà de la simple et précieuse disponibilité à rendre service et travailler pour l’utilité commune; un espace où ceux qui cachent leur crainte de s’exposer derrière la devise «ici vous ne pouvez pas parler» puissent laisser tomber leurs alibis; et où ceux qui craignent que la libération des voix et des pensées conduise à l’indiscipline ou à la confusion puissent laisser tomber leur peur. Dans la vie monastique, les espaces et les temps des dialogues communautaires, des tentatives de comprendre et de décider ensemble, doivent être défendus, soignés, afin qu’ils deviennent une expérience dans laquelle chacun puisse éprouver la reconnaissance de la dignité de la parole et apprendre l’art de l’exprimer, se sentant partie prenante d’un chemin. Cela n’est certainement ni simple ni facile, et implique des parcours plus longs et plus complexes, faits d’inclusion de la diversité et de composition des différences, où parfois les chemins communautaires sont fragmentés par des ralentissements causés par des opinions bien diverses, par des idées n’étant pas pleinement évangéliques exprimées de manière laborieuse et parfois indélicate, et/ou par des récriminations personnelles. Mais c’est bien cela qui constitue un défi au chemin de conversion continue à la synodalité, à cet «ensemble» qui d’après Claire ressort constamment de l’expérience des origines à saint Damien.

Dans la vie religieuse et monastique, il arrive souvent de rencontrer un sentiment de déception et de frustration en constatant l’effort nécessaire pour l’exercice du partage. Je crois qu’une partie de notre mission peut consister à préserver, en tant que partie de l’Eglise et que communauté monastique, un espace de relation et d’échange pouvant rendre cet exercice réalisable, et qui concrétise ce que nous chantons dans la psalmodie: «Qu’il est agréable, qu’il est doux pour des frères et des sœurs de demeurer ensemble!». L’on nous dit que la synodalité ne peut pas coïncider uniquement avec une structure, avec une forme de gouvernement («moi autorité» que t’accorde la parole), avec des événements qui prétendent l’incarner; ni peut-elle être comprise seulement comme une attitude intérieure, risquant de ne pas être incisive. Dans l’expérience de la vie monastique, nous osons dire — en espérant ne pas être démenties — que notre forme de vie et son organisation progresse grâce à la «structure synodale» qui l’habite et l’anime, et si elle continue à exister, c’est grâce à la volonté inlassable et épuisante de garder Jésus Christ et son Evangile au centre. Cela reconduit chacun à la bonne distance de ce qui compte vraiment et dans une relation d’obéissance mutuelle charitable dans laquelle le service d’autorité est délibérément limité par un exercice de coresponsabilité.

Notre expérience petite et limitée ose dire qu’il n’y a pas de synodalité sinon dans un pouvoir limité. Par quoi? Par la liberté responsable de la communauté de ne pas faire ce qu’elle veut mais ce qu’elle croit, ce que l’Esprit lui a confié, ce qui donne un sens à sa mission dans et pour l’Eglise. Et en ce sens, la pauvreté de chacun devient la garantie de la liberté pour tous; non pas une liberté naïve et superficielle qui croit n’être conditionnée par rien ni par personne, mais une liberté qui, avec douleur et fatigue, au prix de chemins constants de conversion et de convergence, a compris et comprend par quoi il vaut la peine de se faire conditionner. Le pouvoir limité devient vraiment autorité, en ce sens qu’il naît dans l’attitude de générer et de faire croitre, et répond non pas à un acte de vertu d’une personne particulièrement sainte, mais à une norme de bon sens également reconnue par le droit quand il rappelle que «ce qui touche tout le monde doit être délibéré par tout le monde». Au sein d’une communauté — comme au sein de l’Eglise — il existe une pluralité de fonctions qui correspond à une pluralité de dons: ceux-ci ne peuvent pas être «gérés personnellement», de manière individuelle, mais nécessitent la participation de tous. Ce qui est en jeu ce n’est pas une gestion démocratique de la communauté — plusieurs pages évangéliques mettent en crise le sens moderne de la démocratie au profit du sens biblique de la justice, où chacun reçoit ce qui est nécessaire, non pas ce qui est donné à tous — mais l’exercice du discernement communautaire, qui est l’un des aspects d’un pouvoir limité, dont la fonction est principalement de déclencher des dynamiques de dialogue et d’écoute qui conduisent autant que possible à l’unanimité. Les différentes expériences du monachisme dans l’Eglise nous disent que cela est possible dans les communautés aussi bien masculines que féminines, à condition que tous les frères et les sœurs reconnaissent la nécessité de la conversion au dialogue, à la confrontation, à la dialectique, au désaccord lorsque cela est nécessaire, sans que cela soit nécessairement un signe d’insubordination à l’ordre établi. Dans les grands défis et les grandes questions qui nous interpellent, décider et choisir ensemble est une garantie de fidélité au Seigneur et de communion.

*Clarisse capucine

#sistersproject

Chiara Francesca Lacchini*