C’est dans les jardins du Vatican, espace vert préservé au cœur de Rome, -qu’a été présentée à la presse jeudi 5 octobre, l’exhortation apostolique Laudate Deum. Des universitaires, chercheurs, activistes, représentants de la société civile et du monde de la culture, se sont succédé pour unanimement approuver un document qui, intégrant l'encyclique Laudato si' de 2015, incite les institutions et les nations à s'engager d'urgence à faire face aux conséquences du changement climatique mondial.
L'exhortation apostolique est écrite de manière simple et claire. Ainsi elle s'adresse à tous, et c'est un mérite, a déclaré le prix Nobel de physique, le professeur Giorgio Parisi, qui a pris la parole à l'ouverture de la présentation. Convaincu, comme le Souverain Pontife, que les plus faibles souffrent bien plus que les autres des effets du changement climatique, l'universitaire s’est réjoui de la ma-nière dont le Pape souligne l'urgence d'un engagement mondial et d'une démarche équitable et solidaire: «Bloquer le phénomène avec succès demande un effort monstrueux de la part de tous», a affirmé Giorgio Parisi, insistant ensuite sur l'importance d'un «transfert massif de ressources des pays les plus avancés vers les pays les moins riches».
A cet égard, il a cité l'exemple de l'Afrique: «On ne peut pas attendre des populations africaines qu'elles aient les moyens de construire des panneaux photovoltaïques. Nous avons besoin d'un plan mondial pour pouvoir apporter des sources d'énergie renouvelables dans ces régions». En outre, il a réitéré la nécessité de relever le niveau d'éducation, en particulier celui des femmes, sous ces latitudes. Cela permet de faire prendre conscience que la protection de l'environnement est un enjeu collectif indispensable. Le «point de rupture» vers lequel, selon le Pape, nous nous approchons inexorablement, est identifié par Giorgio Parisi par le «conflit armé avec la Russie et le conflit économique avec la Chine». Le concept mis en avant par le prix Nobel est que «la solidarité de l’humanité est difficile s'il y a des guerres».
«La Cop28 à Dubaï est extrêmement importante. Le Pape a insisté sur la nécessité de conclure des accords vérifiables et vérifiés. L'espoir ne meurt jamais, bien sûr, je vois une situation extrêmement difficile», a déclaré encore le physicien. «Nous avons une guerre avec la Russie et une guerre commerciale avec la Chine qui ne laissent rien présager de bon en termes de solidarité internationale». Il a ajouté qu'il est également préoccupé par la technocratie: «Cela signifie que l'on pense qu'il s'agit uniquement d'un problème technique de choix, alors qu'il s'agit d'un problème politique. Les techniciens sont au service de la politique, ils ne peuvent pas la remplacer».
Vandana Shiva, scientifique et militante écologiste, s’est connectée à distance et s’est joint au chœur des voix qui soutiennent le document du Pape. Elle espère notamment qu'un tiers des émissions pourra être réabsorbé et que nous pourrons mettre un terme à l'extinction de la faune. Ses remerciements au Pape François pour cette exhortation sont explicites: «Nous devons travailler pour préserver la terre. Les solutions sont sous nos yeux. Soigner le sol est la meilleure économie». L’entrepreneur et gastronome Carlo Petrini a salué l'accent mis par le texte sur le caractère dramatique du moment historique que nous traversons. Il a ajouté qu'au cours des huit années qui se sont écoulées depuis Laudato si', «la sensibilité politique et la gouvernance internationales se sont révélées totalement inefficaces et ont créé les conditions pour qu'une partie significative du système environnemental soit maintenant irréversiblement compromise. Au point que de nombreuses activités vertueuses que le Pape François appelle de ses vœux et qui peuvent être mises en œuvre auront pour effet de contenir la catastrophe annoncée et non de la résoudre». Carlo Petrini fait sienne la condamnation du climatoscepticisme qui «crée une barrière face au changement». La position du Pape, a commenté le créateur du concept «Slow Food», est claire, et appelle à une action décisive. L'autre élément qui, selon lui, est significatif dans le texte de François, est qu'il révèle combien le Souverain Pontife est pleinement conscient de l'entrée en scène d'un nouveau sujet: les associations et les mouvements, y compris radicaux, et la société civile. Sans ces énergies «d'en bas», a-t-il conclu, «nous ne réussirons pas. Personne ne peut rester indifférent, chacun doit devenir un sujet actif».
Dans son intervention l'écrivain Jonathan Safran Foer a souligné «la sagesse et le courage» du Pape. Il a expliqué que le cerveau humain est malheureusement doué pour calculer la trajectoire d'un ouragan, alors qu'il a du mal à être empathique. C'est précisément la question des climatosceptiques qu'il souhaite approfondir: même s'il existe des signes évidents, il se peut parfois qu’on ne se sente pas concernés. «Avons-nous la volonté de croire ce que les scientifiques nous disent?», a demandé Safran Foer, et «sommes-nous prêts à faire de petits sacrifices pour l'avenir?» Il est allé jusqu'à affirmer que «même lorsque nous imprimons une inscription sur un T-shirt ou que nous participons à une manifestation, nous pouvons rester dans une forme d’abstraction». «Nous avons besoin d'une révolution également dans le domaine politique», a-t-il dit, «et nous avons besoin d'espoir». Et, l’écrivain juif de citer saint François: «Lorsque nous serons morts, nous n'emporterons rien avec nous, seulement ce que nous aurons donné».
Les discours des activistes Luisa-Marie Neubauer, animatrice des «Fridays for future» en Allemagne, et Benoit Halgand, co-fondateur des organisations françaises «Pour un Réveil Ecologique» et «Lutte et Contemplation», ont été un coup de fouet à l'engagement de chacun. Déçue par ce qu'elle appelle aujourd'hui «un conte de fées» (entendu dès son plus jeune âge dans sa famille et dans sa ville d'origine, Hambourg, selon lequel la croissance de l'économie profiterait à tous), elle raconte l'expérience d'un mouvement qui a peu à peu agrégé des milliers de personnes. Elle a évoqué l'histoire d'un camarade qui a été arrêté récemment au Vietnam pour avoir tenté de sensibiliser à la nécessité d'engager son pays sur la voie de la durabilité. Elle s'est inquiétée de ce qu'elle perçoit comme «une crise de confiance en nous». Nous avons besoin que l'Eglise parle. Luisa-Marie Neubauer a plaidé pour une protection à tout prix et s'est adressée aux chrétiens: «Ce message du Pape est un appel à l'Eglise pour qu'elle devienne une véritable alliée, elle doit persévérer dans son désinvestissement des combustibles fossiles». De son côté, le jeune catholique français a développé le caractère spirituel de la cause, comme le fait le Pape dans la dernière partie de l'exhortation. Benoit Halgand a évoqué également ses efforts pour contrer les projets d'exploitation du groupe pétrolier français Total en Tanzanie et dans d'autres régions d'Afrique, qui «trompent les populations locales». Il a mis en garde contre l'idolâtrie du marché qui «nous éloigne de Dieu», affirmant que «le mal que nous combattons n'est pas en dehors de nous, en dehors de nos Eglises, il est en nous». Il a invité à faire une pause, à nourrir la relation avec Dieu. Proclamer et vivre l'Evangile, a-t-il observé, «exige aujourd'hui une réponse incarnée, ancrée dans le Christ, aux côtés des gens, de manière communautaire, et avec joie».
Le témoignage de Jubran Ali Mohammed Ali, jeune immigré libyen, a suscité des applaudissements. Agé de 28 ans, il est arrivé en Italie en 2020. A Tripoli, il étudiait l'économie, mais lorsque la guerre a éclaté en 2011, il a arrêté ses études et a commencé à travailler comme maçon. En Italie, il poursuit ses études de médiateur culturel. Il a parlé du cyclone Daniel qui a détruit la ville de Derna. Cela s'est produit non seulement à cause du changement climatique, «mais aussi parce que des maisons ont été construites sous le barrage et qu'il n'y a jamais eu de contrôle ou d'entretien», dit-il. Il a remercié le Pape pour l'affection exprimée à l'égard des migrants et a prononcé un souhait: «J'espère que mon pays changera parce que je sais que de nombreuses personnes de l'ouest libyen, même des membres de ma famille, sont allées aider les gens de l'est et que le pays s'est ainsi uni, laissant derrière lui les divisions et les souffrances du passé. J'espère également que tout le monde apprendra à respecter la nature et à défendre notre maison commune, la Terre. J'espère que mon pays changera. Alors le pays sera uni, laissant derrière lui les chagrins du passé».
Alessandra Sarmentino, du projet Policoro de l'archidiocèse de Palerme, animatrice du mouvement Laudato si' et associée de l’Action catholique italienne, nous a emmèné en Sicile, où la négligence, l'inertie et la malveillance ont porté un coup dur, l'été dernier, au paysage et aux merveilles architecturales de la région envahie par les flammes.
Elle a évoqué avec amertume les dégâts subis par toute une région «enfermée sur elle-même», et a dénoncé que le problème le plus triste est généré par les habitudes: «Nous nous sommes habitués au scénario de la mort et nous ne nous inquiétons que lorsqu'elle est à notre porte». Elle a appellé également à une citoyenneté active, et a conclu par une double question: «Faisons-nous vraiment tout ce qui est possible? Qui paiera pour la beauté perdue?». Le tour d'horizon des témoignages s'est terminé par une intervention vidéo du photographe Yann Arthus-Bertrand. «Je suis un simple témoin de la beauté du monde, je ne la fabrique pas, elle est devant moi», a-t-il déclaré, ajoutant que la vie devait être protégée simplement parce qu'elle est belle. «Une beauté qui transcende la réalité», dit-il. Il rappelle quelques données, comme le fait, par exemple, que 80% des insectes n'existent plus dans les campagnes européennes, «un phénomène que l'on ne remarque pas mais qui est à la base de la vie». Il a rappellé les 27 millions de personnes contraintes de quitter leur terre à cause du changement climatique. La plupart du temps, les migrants font preuve d'un grand courage, a-t-il affirmeé, «ils ont des choses à dire et à nous apprendre, ils ne peuvent pas être un bouc émissaire». Yann Arthus-Bertrand a annoncé le film «Migrants» qu'il est en train de réaliser et dont le message est optimiste: «Nous avons vraiment le pouvoir d'agir». Il a conclu sur la conversion écologique qui, selon lui, ne viendra pas du monde économique ou politique, «la conversion sera spirituelle» (antonella palermo).