Nous publions le texte du message envoyé le 29 septembre par le Pape au directeur général de la fao à l'occasion de la Journée internationale de sensibilisation au gaspillage et à la perte de den-rées alimentaires.
A Son Excellence
Monsieur Qu Dongyu
Directeur général de la fao
Excellence,
Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de m'adresser et de saluer cordialement tous les participants à cette rencontre à l'occasion de la célébration de cette Journée internationale.
Ce sont les pauvres et les nécessiteux de ce monde, qui ramassent dans les ordures les aliments que d'autres jettent avec mépris et dont ils ont besoin, qui ont aujourd'hui le regard fixé sur cette assemblée. Ce sont les jeunes qui nous réclament ouvertement d'éradiquer une fois pour toutes les effets pernicieux que les pertes et gaspillages alimentaires causent aux personnes et à la planète, tout en nous demandant une plus grande sensibilisation, afin que de telles pratiques si préjudiciables et néfastes ne se répètent pas.
Cependant, et malheureusement, le fléau des pertes et du gaspillage alimentaire est aussi alarmant et funeste que la tragédie de la faim qui afflige si cruellement l'humanité. Je cite ensemble ces deux drames parce que je les considère liés par une racine commune: la culture dominante qui a conduit à dénaturer la valeur de la nourriture, la réduisant à une simple marchandise d'échange. A cela s'ajoute l'indifférence générale envers les personnes indigentes, si palpable dans la conjoncture actuelle, ainsi que le peu d'attention accordée à la création, avec les conséquences nocives que cela entraîne partout. Toutes ces attitudes, que l'on peut considérer enracinées dans l'égoïsme humain, conduisent d'une part à ce que beaucoup se débarrassent de manière irresponsable et immodérée de biens primaires et, d'autre part, à ne pas s'indigner en voyant qu'il y a encore une multitude de personnes qui n'ont pas le nécessaire pour vivre. Un égoïsme qui se traduit, en outre, dans la logique du profit en vigueur qui régit les relations sociales et dans l'exploitation irrationnelle et vorace des ressources naturelles.
Nous devons tous nous convaincre de l'urgence d'un changement radical de paradigme, car nous ne pouvons plus nous contenter de lire la réalité sous un angle économique ou de gain insatiable. L'alimentation a un fondement spirituel et sa bonne gestion implique la nécessité d'adopter des comportements éthiques. Lorsque nous parlons de nourriture, nous devons considérer le bien qui, plus que tout autre, assure la satisfaction du droit fondamental à la vie et est à la base de la subsistance digne de chaque personne. Elle doit donc être traitée avec le respect de la sacralité qui lui est propre, dérivée de la sacralité fondamentale de chaque personne, et qui lui est reconnue par de nombreuses traditions, cultures et religions.
Rappelons-le toujours: la nourriture assure la vie et ne peut jamais être considérée comme un problème. En fait, c'est l'existence de chaque personne qui sert de but et de stimulant pour améliorer notre travail quotidien. Par conséquent, nous ne pouvons continuer à invoquer la croissance de la population mondiale comme la cause de l'incapacité de la terre à nourrir tout le monde de manière suffisante, car en réalité la véritable raison qui sous-tend la prolifération de la faim dans le monde réside dans le manque d'une volonté politique concrète de redistribuer les biens de la terre, afin que tous puissent jouir de ce que la nature nous donne, et dans la déplorable destruction de nourriture en fonction du profit économique.
Le gaspillage alimentaire, l'une des formes les plus graves de production de déchets, montre également un mépris arrogant pour tout ce qui, en termes sociaux et humains, se trouve derrière la production alimentaire. Jeter de la nourriture, c'est ne pas valoriser le sacrifice, le travail, les moyens de transport et les coûts énergétiques utilisés pour amener de la nourriture de qualité sur la table. Cela signifie mépriser tous ceux qui s'efforcent quotidiennement dans les secteurs agricole, industriel et des services de fournir des aliments qui, perdus ou gaspillés, n'ont pas atteint leur noble fin.
Comment mettre fin à la pertes et au gaspillage alimentaire? Pour atteindre ce noble objectif, il est nécessaire d'investir des ressources financières, de réunir des volontés, de passer de simples déclarations à des décisions clairvoyantes et incisives. Mais surtout, il est essentiel de renforcer en nous la conviction que la nourriture jetée est un affront fait aux pauvres. C'est le sens de la justice envers les nécessiteux qui doit pousser chacun à un changement catégorique de mentalité et de comportement. Cela devient de plus en plus urgent, car il faut reconnaître, et je voudrais le souligner, que la nourriture que nous jetons aux ordures, nous l'arrachons injustement des mains de ceux qui en sont privés. De ceux qui ont droit au pain quotidien en vertu de leur dignité humaine inviolable. Saint Paul l'avait clairement à l’esprit quand il affirmait qu'il ne s'agit pas de soulager les autres en vivant dans la gêne; il s'agit de nous rendre égaux. L'abondance des uns doit remédier au manque des autres (cf. 2 Co 8, 13-15). Le développement doit donc être étroitement lié à la sobriété de vie. Ils forment un binôme inséparable.
Il est également nécessaire de raviver en nous la conscience de notre appartenance commune à l’unique famille humaine universelle. Celui qui se couche le ventre vide est notre frère. Partager avec lui ce que nous avons est autant un impératif de justice que de cette solidarité fraternelle qui découle des relations familiales.
Tout en demandant à Dieu que la famille des Nations redevienne véritable, redevienne cet espace où prévalent la concorde, la générosité et l'entraide affectueuse entre les frères, je remercie vivement l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture, pour toutes les initiatives et programmes qu'elle met en œuvre pour mettre fin à la perte et au gaspillage alimentaires. Que Dieu tout-puissant comble vos travaux d’abondants dons célestes au bénéfice de toute l'humanité.
Du Vatican, le 29 septembre 2023
François