· Cité du Vatican ·

Retraite spirituelle à la Fraterna Domus de Sacrofano pour les participants à l’assemblée

Une Eglise sans frontières sur le chemin de l’espérance

 Une Eglise sans frontières  sur le chemin de l’espérance   FRA-040
05 octobre 2023

A l'issue de la veillée interreligieuse de prière en préparation au synode, le samedi 30 septembre, les participants au synode ont quitté en autocar le Vatican, pour la «Citadelle de l'hospitalité» Fraterna Domus à Sacrofano — située à une vingtaine de kilomètres de Rome — où a débuté une retraite spirituelle qui s'est achevée mardi 3 octobre. Les journées ont été marquées par les Laudes, introduites par les méditations de mère Ignazia Angelini, par les méditations du père Timothy Radcliffe, dont nous proposons ci-dessous une synthèse, entrecoupées de temps de silence et de prière personnelle, et par des «réunions de groupe de conversation dans l'Esprit».

Espoir, foyer, amitié, conversation: voici les quatre mots clés sur lesquels le père dominicain Timothy Radcliffe s’est arrêté dimanche et lundi. Participant à la xvi e assemblée générale ordinaire du synode des évêques en qualité d’assistant spirituel, le père Radcliffe a tenu quatre méditations au cours de la retraite que les membres, les délégués fraternels et les invités spéciaux de l’assemblée ont suivie. Les méditations (quatre au total) ont ponctué les journées ouvertes par les Laudes, entrecoupées d’entretiens sur l’Esprit et conclues par une Messe. Les réflexions du père Radcliffe sont enrichies de souvenirs personnels, d’expériences de vie vécues par le père dominicain qui a vu de ses propres yeux de nombreux pays du monde. C’est un témoignage direct et concret de ce que signifie être un «synode», soit «marcher ensemble».

Dans la première méditation, prononcée dimanche et intitulée «Espérer contre toute espérance» — la spes contra spem de saint Paul (Rm 4, 18) — le père Radcliffe s’est concentré sur «l’espérance eucharistique», celle représentée par le Christ qui a donné son corps et a versé son sang pour le salut de l’humanité. Cette espérance, a souligné le père dominicain, «dépasse notre imagination» et «nous appelle à aller au-delà de toute division», car elle embrasse et transcende tout ce que nous désirons. Et surtout, elle contient deux souhaits: l’un concerne l’Eglise, afin que «ce synode conduise non pas à une division, mais à son renouveau» et à son «printemps œcuménique». Le -deuxième souhait concerne plutôt l’humanité: face à un «avenir sombre», ponctué de catastrophes écologiques, de millions de personnes fuyant la pauvreté et la violence et de centaines de migrants noyés en Méditerranée, nous devons «nous recueillir dans l’espérance pour l’humanité, en particulier pour les jeunes».

Peu importe, poursuit le père Radcliffe, si les espoirs initiaux des participants à l’assemblée sont différents les uns des autres: le synode n’est pas «un débat politique» auquel on participe «pour gagner», mais il est plutôt comme la Cène, où l’espérance «n’est pas l’optimisme, mais la confiance que tout ce que nous vivons, toute notre confusion et notre douleur auront en quelque manière un sens». C’est seulement ainsi, «en écoutant le Seigneur et en nous écoutant les uns les autres, en essayant de comprendre sa volonté pour l’Eglise et pour le monde — souligne le dominicain — que nous serons unis dans une espérance qui transcende nos désaccords». L’assistant spirituel a orienté ensuite sa réflexion sur Thérèse de Lisieux, dont on fêtait la mémoire liturgique le 1er octobre: cette sainte de la «petite voie» qui conduit au Royaume enseigne que toute petite action accomplie pendant le synode peut porter «des fruits qui vont au--delà notre imagination».

Dans la deuxième méditation, prononcée lundi 2 octobre et intitulée «Chez soi en Dieu et Dieu chez lui en nous», le père Radcliffe a d’abord analysé le concept de «foyer»: aujourd’hui, a-t-il expliqué, il y a de manière générale une grave crise du logement qui frappe en particulier des millions de migrants et de jeunes. Mais il existe également une autre crise, représentée par «un terrible sans-abrisme spirituel», et due à l’individualisme aigu, à la désintégration de la famille et aux inégalités de plus en plus profondes qui provoquent un véritable «tsunami de solitude».

Même l’Eglise est divisée par différentes conceptions de ce que signifie être «foyer», poursuit le père dominicain: d’un côté, il y a ceux qui ne regardent que la tradition ancienne et qui croient que l’identité ecclésiale nécessite des frontières bien définies; de l’autre, ceux qui désirent une Eglise renouvelée, pour lesquels le cœur même de l’identité ecclésiale est représenté par l’ouverture vers l’extérieur. Ces deux conceptions, souligne le père Radcliffe, sont «toutes deux justes», car si seule la première prévaut, l’Eglise risque d’être «une secte»; si l’on ne regarde que la seconde, on finit par «devenir un vague mouvement de Jésus». Il faut donc les prendre en considération toutes les deux, également parce que «le Verbe s’est fait chair» et «quelle que soit notre maison, Dieu vient y demeurer», dans chacune de nos cultures, où que nous soyons, quoi que nous ayons fait, «Dieu fait sa maison avec nous, il vient demeurer parmi nous». Il est Emmanuel, «Dieu avec nous», Celui qui habite même «dans les lieux que le monde méprise», comme la prison.

D’où l’exhortation du père Radcliffe à marcher vers une Eglise dans laquelle ceux qui se sentent maintenant en marge, exclus — comme les femmes, les divorcés-remariés, les personnes homosexuelles — se sentent au contraire pleinement chez eux, reconnus. Après tout, poursuit le religieux, «rénover l’Eglise, c’est comme faire du pain: on rassemble les bords de la pâte au centre et on étend le centre jusqu’aux bords, en remplissant le tout d’oxygène». Dans ce «pain de Dieu, le centre est partout et la circonférence n’est nulle part». En fin de compte, a dit le père dominicain, «Dieu demeure dans notre Eglise pour toujours, malgré la corruption et les abus». Mais en même temps, le Seigneur «est avec nous pour nous conduire dans les espaces les plus vastes du Royaume», pour nous faire «respirer l’oxygène plein d’Esprit de notre future maison sans frontières».

Le thème de la troisième méditation, proposée ce même jour où l’on fêtait les saints Anges gardiens, qui sont «les signes de l’amitié unique que Dieu a pour chacun de nous», était: «L’amitié». «Ce synode sera fécond s’il nous conduit à une amitié plus profonde avec le Seigneur et entre nous ». Ce n’est qu’à travers elle, en effet, qu’il sera possible de réaliser «le passage du je au nous», dans une «collégialité affective» qui peut même précéder la coopération effective. Peu importe si tout cela apparaîtra aux médias comme des mots ou une perte de temps; ce qui -compte, c’est comprendre l’amitié divine, c’est-à-dire le fait que Dieu a franchi les frontières entre la vie et la mort et que «prêcher l’Evangile est un acte d’amitié ou ce n’est rien», tout comme «le cœur de la vocation sacerdotale est l’amitié éternelle et paritaire de la Trinité», capable de dissoudre «le poison du cléricalisme .

Tout cela devient encore plus important, poursuit le père Radcliffe, dans le monde d’aujourd’hui qui «a faim d’amitié, mais est subverti par des tendances destructrices», comme la montée des populismes, les slogans faciles, l’aveuglement de la foule, l’individualisme aigu qui ne regarde qu’à l’histoire de l’individu. Au contraire, «les amis regardent dans la même direction», c’est à dire qu’«ils peuvent bien être en désaccord, mais au moins ils partagent certaines questions». Finalement, un ami est quelqu’un qui donne une grande importance aux mêmes questions que nous, même s’il n’est pas d’accord avec nous sur les réponses. Ainsi, conclut le religieux, c’est du courage que l’on a à «partager les doutes et à chercher ensemble la vérité» que fleurit l’amitié dans laquelle tous les participants au synode sont appelés à marcher, enracinés dans la joie d’être ensemble.

Et c’est sur le chemin, ou plutôt sur la «conversation sur le chemin d’Emmaüs» entre les disciples et Jésus, que s’est focalisée la quatrième méditation. Tout comme les disciples qui fuient vers Emmaüs pleins de colère et de déception, a expliqué le père dominicain, de même l’Eglise d’aujourd’hui est infectée par la colère, «justifiée par les abus sexuels sur les enfants, par la position des femmes» dans la vie ecclésiale, par les divisions entre les soi-disant conservateurs et libéraux. L’espoir d’une multitude qui se sent ignorée c’est que le synode écoute maintenant sa voix: «Nous sommes ici pour écouter le Seigneur et nous écouter les uns les autres. Ecoutons non seulement ce que les gens disent, mais ce qu’ils essayent de dire, les paroles non prononcées», parce que la vraie conversation, celle qui ne part pas de réponses préétablies et toutes prêtes, «nécessite une plongée pleine d’imagination dans l’expérience des autres». Dans cette perspective, le dominicain a invité également à «apprendre à nous parler d’une manière enjouée», à «devenir des enfants» selon les enseignements de l’Evangile, «des enfants, mais pas puérils». Ce n’est qu’ainsi que nous pourrons surmonter ce «sérieux obtus et dépourvu de joie» qui nous afflige parfois dans l’Eglise. Une autre caractéristique de la vraie conversation, celle qui «conduit à la conversion», a ajouté le père Radcliffe, c’est qu’elle est «risquée», car elle nous change et fait naître une dimen-sion de notre vie et de notre identité qui «n’avait jamais existé auparavant». En fin de compte, l’être humain est «un travail en cours», car la cohérence le précède dans le Royaume. Rester ancrés à des «identités fermées et fixes, taillées dans le roc» ne nous permet donc pas de nous ouvrir à «l’amitié pleine de largesses du Seigneur». Cela implique aussi — a souligné le père dominicain — qu’il faut comprendre que «la différence est féconde, génératrice». C’est sur la manière de gérer les différences, que le père Radcliffe a conclut sa méditation en affirmant que «les familles peuvent beaucoup apprendre à l’Eglise», car c’est en elles que «les parents vont à la rencontre de leurs enfants qui font des choix incompréhensibles et néanmoins savent qu’ils ont encore une maison».