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Une fable le long du fleuve Amazone sur Mère Nature et l’harmonie du «bien vivre»

L’histoire d’Arbol Pequeño qui rama sans jamais s’arrêter

 L’histoire d’Arbol Pequeño qui rama sans jamais s’arrêter  FRA-038
21 septembre 2023

Nous publions ci-dessous une fable écrite par une religieuse qui rassemble diverses questions que doivent affronter les peuples autochtones en Amérique latine. Parmi les anecdotes figure le recours à des remèdes naturels pour soigner le Covid.

Voici l’histoire d’Arbol Pequeño. Arbol Pequeño est le nom d’un Indien capable de ramer dans tous les méandres du fleuve Amazone. Enfant, il glissa du dos de sa mère et tomba dans la rivière. Effrayée, elle laissa tomber toutes les bûches qu’elle tenait. Comprenant aussitôt que le courant du fleuve était implacable, elle cria à son fils d’une voix douce et puissante: «Tiens-toi bien au tronc et rame, mon enfant! Rame avec tes mains sans jamais t’arrêter, ne t’arrête pas, je viendrai te chercher sur l’autre rive». Et il en fut ainsi. Arbol Pequeño survécut au courant violent et devint ainsi un rameur expert.

Lorsque ceux du premier monde sont venus chercher les richesses de la forêt, ils l’ont engagé pour parcourir la rivière Mamoré, connue pour ses rapides qui rendent la navigation difficile.

Arbol Pequeño était embarrassé, car s’il refusait de les aider, il risquait de perdre une bonne source de revenus; mais s’il travaillait avec eux, il savait qu’ils nuiraient à ses frères arbres et à la nature tout entière. Quelle douleur il ressentait dans son cœur! Mais soudain, il se souvint du message de sa mère: rame sans jamais t’arrêter...

Alors, quand les «extracteurs» débarquèrent, il se mit à ramer sur une bûche pour qu’ils ne se rendent pas compte qu’il les abandonnait à leur sort. Il se couvrit de branches pour ne pas être découvert et resta camouflé parmi les feuillages. Il s’endormit épuisé de fatigue; et quand les rayons du soleil du matin lui caressèrent le visage, il se leva et se dirigea vers le village le plus proche.

De loin, il voyait les cabanes mais, à mesure qu’il se rapprochait, il commença à entendre des gémissements. C’étaient ses frères de la communauté touchée par le Covid. Une voix faible, mais à la fois ferme et décidée, se faisait entendre au loin: c’était le chef Ojos de Aguila. Il marchait avec difficulté sur ses jambes faibles et disait: «Va-t’en mon frère, rebrousse chemin, n’approche pas. La peste est arrivée jusqu’ici. Le moment est venu de nous réunir avec nos ancêtres…». Mais Arbol Pequeño restait immobile; il se souvint encore une fois des paroles de May (mère): rame sans jamais t’arrêter….

Il courut alors à la recherche du Chaman. Il savait bien où il habitait, parce qu’il connaissait l’endroit caché parmi les arbres luxuriants du Pequiá piqui. Il courut, résistant aux épines qu’il trouvait sur la route, se frayant un chemin avec ses bras à travers les roseaux, sans se soucier de s’enfoncer dans la -boue... de temps en temps, il demandait à la Mère Terre la permission de traverser en courant, car c’était une question de vie ou de mort; et en lui-même, il priait Dieu le Créateur en disant:

Seigneur du Ciel et de la terre, Seigneur du vent et de l’eau: Tu es le Seigneur de la vie, ne permets pas que tes créatures tant aimées s’éteignent, viens dissiper l’épais brouillard du découragement et de la peur qui veut tout envahir. Viens avec ton Esprit Saint, viens des quatre vents, souffle sur cette communauté pour confirmer que l’amour est plus fort.

Les animaux de la forêt le rejoignaient et le précédaient tout au long du chemin. Les rayons du soleil illuminaient son chemin, le vent rapide du sud rafraîchissait son visage brûlé par la chaleur de l’été. Presque sans se rendre compte du temps qui s’était écoulé, il arriva chez le Chaman, lui raconta avec ferveur ce qui était arrivé dans le village, le suppliant de soigner son peuple avec ses herbes. Et il en fut ainsi. Le Chaman apporta avec lui ses provisions de feuilles de goyave, d’eucalyptus, de citron, de boldo, d’huile de crocodile et de miel, entre autres sirops pour lutter contre le virus.

Grâce aux soins attentionnés d’Arbol Pequeño et du fidèle guérisseur, persévérant dans le traitement avec des médecines naturelles, tout le monde réussit à se rétablir. Peu à peu, ils recouvrèrent leur force originelle; leurs épaules ne leur faisaient plus mal, le feu de la fièvre ne brûlait plus, leurs forces commençaient à renaître de l’intérieur, leurs gorges pouvaient désormais chanter et louer le Créateur avec les oiseaux du ciel. Les femmes commencèrent à préparer leurs délicieux plats, chichas et mocochinchi à boire, et à goûter aux agréables saveurs et arômes de Mère Nature.

Et... voulez-vous savoir ce qui est arrivé aux «extracteurs» qu’Arbol Pequeño avait laissés lors de ce voyage le long du Mamoré? Eh bien, ils se sont perdus dans la forêt et sont devenus nourriture pour les vautours. Ainsi Mère Nature est revenue à ses origines, rétablissant l’harmonie du Bien vivre, où tout le monde peut vivre bien, sans distinctions ni exclusivités, selon les besoins de chacun. Parce que tout est interconnecté.

Arbol Pequeño a poursuivi sa mission de «rameur» et continue de ramer dans la mer de la vie et de l’histoire. Parfois, son cœur sent que ceux à l’«avant-garde» prétendent que les gens oublient leur passé, parce qu’ils disent: «Vis ton moment et rien de plus», «regarde l’histoire avant qu’elle ne s’efface», «lis avant qu’elle ne disparaisse»... mais au plus profond de sa mémoire reconnaissante, il nourrit la certitude que l’histoire est comme la racine d’un arbre, celle qui soutient et rend solide la croissance intégrale d’une créature.

En cette période post-pandémie, Arbol Pequeño entend encore la voix douce et puissante de sa mère qui lui dit: continue à ramer!

Voici l’histoire d’Arbol Pequeño, le rameur post-pandémie.

#sistersproject

Lucia Galiccio