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A la veille du départ du Saint-Père à Marseille pour la clôture des Rencontres méditerranéennes le cardinal Aveline présente les enjeux du voyage

Composer une mosaïque d’espérance

France Bouches-du-Rhone (13) Marseille. Aerial view of the Catholic basilica Notre Dame de la Garde
21 septembre 2023

A la veille du départ du Saint-Père, nous publions un entretien du cardinal Jean-Marc Aveline, archevêque de Marseille avec Delphine Allaire pour les médias du Vatican, sur les enjeux théologiques et spirituels de cette visite apostolique:

Que représente la venue du Souverain Pontife aux Rencontres méditerranéennes, pour Marseille, la Méditerranée et la France?

En venant à Marseille, le Pape François poursuit son pèlerinage méditerranéen. Nous célébrons en 2023 le dixième anniversaire de son premier voyage apostolique, qu’il avait choisi de faire à Lampedusa, en juillet 2013, quelques mois seulement après son élection. Depuis, il s’est également rendu à Tirana, Sarajevo, Lesbos, Le Caire, Jérusalem, Chypre, Rabat, Naples, Malte, etc. En tant que pasteur de l’Eglise universelle, mais aussi comme Evêque de Rome, le Pape exprime par ces voyages une attention toute particulière aux peuples de la Méditerranée.

Nous ne savons pas encore ce que dira le Pape à Marseille, mais sa venue en elle-même est déjà un message. Car cette ville multiculturelle et multireligieuse, débordante de potentiel et d’énergie, est aussi aux prises avec de redoutables difficultés: grande précarité d’une bonne partie de sa population, ravages meurtriers des trafics de drogue, problèmes récurrents dus au chômage, à l’insécurité, au déficit d’éducation, etc. Mais ce grand port méditerranéen, qui tout au long de son histoire a accueilli ceux qui avaient quitté leurs pays à cause des guerres ou de la misère, sait aussi trouver dans sa population bigarrée les ressources de courage, de solidarité et d’espérance dont chacun a besoin pour surmonter les difficultés de la vie.

Marseille est désormais identifiée comme étape méditerranéenne dans le pèlerinage du Pape et de l'Eglise universelle. Comment vivez-vous cette concrétisation aujourd'hui, aboutissement d'un long processus?

Je ne parlerais pas d’aboutissement, car il s’agit, comme vous le dites, d’un processus, qui a commencé à Bari en 2020 et s’est poursuivi à Florence en 2022, à l’initiative de la conférence épiscopale italienne. Nous, évêques méditerranéens, avons pu mesurer combien nous avions besoin de nous retrouver, afin de mieux discerner ce à quoi l’Esprit nous appelle au service des peuples qui sont confiés à notre ministère. Car si nous partageons des défis communs, nous les vivons cependant de façons très différentes, en fonction des contextes de chacun de nos pays. Et nous avons besoin de nous parler, de comprendre les difficultés auxquelles chacun est confronté, d’approfondir les raisons pour lesquelles nos points de vue peuvent diverger. Et pourtant, malgré ces différences, nous pouvons et nous voulons agir en communion, avec le Saint-Père et entre nous, au service du bien commun, à la cause de l’Evangile. Nous tâcherons, pendant l’assemblée de Marseille, de nous donner les -moyens nécessaires à la poursuite de ce processus.

Comment la Mare Nostrum, ses identités multiples et ses espaces en crise, peut-elle aujourd'hui porter une espérance de paix et de réconciliation?

C’est vrai, la Méditerranée apparaît comme un espace fragmenté: les conflits géopolitiques, dans lesquels les religions sont souvent impliquées, quelquefois malgré elles, les déséquilibres environnementaux, les drames liés aux flux migratoires, les pauvretés et les injustices socio-économiques, en sont autant de signes préoccupants. Mais cette situation n’est pas une fatalité. Face aux défis que ces crises nous permettent d’identifier, nous pouvons mobiliser de nombreuses ressources. Celle, bien sûr, de la solidarité entre les peuples, pour résister aux oppressions et aux idéologies mortifères. Souvent, la foi chrétienne est un soutien efficace pour cette résistance, comme on l’a vu dans d’autres situations au cours de l’histoire. Il ne faut pas oublier, par ailleurs, les immenses richesses du patrimoine philosophique, culturel et spirituel, dont la Méditerranée fut le berceau! Elles ont donné au monde une compréhension spécifique de l’être humain, de sa liberté et de sa capacité à entrer en relation avec les autres et avec Dieu. Le trésor de cette immense sagesse anthropologique, la Méditerranée l’a généreusement offert aux peuples du monde. Mais chacun sait que ce trésor est fragile, surtout lorsqu’on éprouve, comme souvent dans l’histoire et encore aujourd’hui, combien il est difficile de respecter la dignité et la liberté de chaque personne humaine, y compris sa liberté religieuse, et de servir l’unité de tout le genre humain, en s’opposant avec courage à la haine et au mépris. Tant de minorités, autour de cette mer, en payent le prix! Plusieurs évêques pourront partager les souffrances endurées par les chrétiens de leurs pays, de plus en plus fragiles et persécutés. Et comment pourrions-nous ne pas évoquer le drame des personnes migrantes, lorsque la Méditerranée, de berceau qu’elle était, devient un cimetière où, dans l’indifférence générale et les complicités tacites, les espérances des plus pauvres périssent abandonnées dans le linceul des flots?

Face à ces drames, le Pape François ne cesse d’appeler à la lutte contre l’indifférence et au réveil des consciences. Nous devons y travailler très concrètement, et ce sera l’un des thèmes de nos Rencontres. Ensemble, nous essaierons de donner visage à l’espérance, celle que nous donne la foi en la Résurrection du Christ.

Vous évoquiez dès 2021 un synode pour la Méditerranée. Les rencontres méditerranéennes se tiendront dix jours avant le début de la première partie de l'assemblée générale du synode sur la synodalité à Rome. En quoi la réflexion menée à Marseille y fera-t-elle écho?

D’abord parce que notre méthode de travail sera synodale. Nous proposerons à tous les évêques de vivre la conversation dans l’Esprit, recommandée dans l’Instrumentum laboris de la prochaine assemblée générale du synode des évêques, en accueillant la Parole de Dieu, en priant ensemble, en nous écoutant mutuellement, afin de discerner ce que l’Esprit dit aux Eglises, non seulement à travers leurs vies propres, mais aussi à travers les joies et les peines, les attentes et les désirs des peuples au sein desquels elles vivent.

J’ajoute qu’à Marseille, les évêques travailleront avec des jeunes méditerranéens de toutes nationalités, confessions et religions, en écoutant leurs réflexions, leurs attentes, leurs suggestions. La synodalité s’apprend d’abord par la rencontre, pas par les idées. La synodalité commence dès qu’on accepte de marcher ensemble! Est-ce que tout ce travail donnera lieu à un «synode pour la Méditerranée»? Seul le Saint-Père peut en décider! Mais rien ne nous empêche de travailler dès maintenant de façon synodale!

Comment concevez-vous la puissance spirituelle et la vocation prophétique de la Méditerranée ces prochaines décennies?

Lors d’un discours prononcé à -Bahreïn le 4 novembre 2022, le Pape François avait évoqué la puissance spirituelle et prophétique de la mer: «“Ce que la terre divise, la mer l’unit”, dit un vieil adage. Et notre planète Terre, quand on la regarde d’en haut, ressemble à une vaste mer bleue qui relie différents rivages. Cela nous rappelle, depuis le ciel, que nous sommes une seule famille: non pas des îles, mais un seul grand archipel. C’est ainsi que le Très-Haut nous veut. […] Pourtant, nous vivons une époque où l’humanité, connectée comme jamais elle ne l’a été auparavant, est beaucoup plus divisée qu’unie». Mosaïque aux «cinq rives», la Méditerranée, trop large pour confondre mais trop étroite pour séparer, ne réduit pas les relations à des rapports Nord-Sud ou Orient-Occident ou encore chrétiens-musulmans, mais elle fait se rencontrer des mondes a priori bien différents. Les eaux du Dniepr, se mêlant à celles du Nil, du Pô ou du Rhône, finissent un jour à Gibraltar!

Ce que la Méditerranée représente par sa géographie, il revient aux peuples qui vivent sur ses rivages de le mettre en œuvre à travers les relations qu’ils tissent entre eux, malgré les soubresauts de l’histoire, comme une grande «mosaïque d’espérance». Cela commence souvent par de simples relations commerciales. Puis, l’estime réciproque grandissant avec ces échanges, on en vient à s’intéresser à la culture de l’autre, et même à sa religion. Ain-si naît la grande aventure de ce que les chrétiens appellent «dialogue», un mot très dense puisqu’il désigne, plus fondamentalement, le geste par lequel Dieu a choisi de se révéler, engageant avec l’humanité un dialogue de salut, que la Bible raconte sous la forme d’une longue histoire d’alliance. Les rives de la Méditerranée ont été le théâtre de cette révélation faite à Abraham et de la promesse confiée à sa descendance, nombreuse et variée. C’est la raison pour laquelle les enfants d’Abraham ont aujourd’hui, plus que d’autres, la responsabilité de faire advenir la paix dans le monde en pratiquant avec persévérance la vertu du dialogue.

La fraternité: voilà ce que l’Eglise qui est à Marseille aimerait offrir à tous ceux qu’elle accueillera, de France et d’ailleurs, à l’occasion des Rencontres méditerranéennes et de la venue du Pape François.