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La reconnaissance du martyre des époux Jozef et Wiktoria Ulma et de leurs sept enfants

Un rayon de lumière dans les ténèbres de la guerre

 Un rayon de lumière dans les ténèbres de la guerre  FRA-037
14 septembre 2023

A l'issue de la prière de l'Angelus, le Saint-Père a tourné ses pensées vers la Pologne où, le dimanche 10 septembre, à Markowa, les martyrs Joseph et Victoria Ulma et leurs 7 enfants ont été béatifiés.

Ils sont déjà reconnus comme «Justes parmi les Nations» en Israël. Józef, Wiktoria et leurs 7 enfants — dont un à naître — ont été fusillés par les nazis le 24 mars 1944. Ils ont été exécutés avec les huit membres de la famille juive qu’ils hébergeaient depuis un an et demi. Les Ulma savaient qu’ils risquaient leur vie mais avaient décidé d’agir. Ils représentent aujourd’hui en Pologne tous ceux qui ont aidé les juifs pendant la Seconde guerre mondiale, mais aussi, pour l’Eglise, l’incarnation d’un héroïsme chrétien comme l’explique aux médias du Vatican le père Bogdan Brzys, recteur de la mission catholique polonaise de France.

Quelle est l’importance de cette béatification?

«Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime». Comme toujours, on se réfère aux paroles du Christ et c’est à l’image du Christ que Józef, Wiktoria et leurs sept enfants ont donné leurs vies pour leurs voisins juifs polonais. Et comme donner sa vie n’est pas un commandement, je pense que l’importance de cette béatification est de rappeler qu’il existe des personnes de foi et d’humanité qui, parfois, dans des circonstances dramatiques vont au-delà du commandement. Et par leur courage et par leur attitude, ils sauvent l’humain dans l’être humain, ils tirent l’humanité vers le haut surtout dans des temps de barbarie. Je pense qu’il est important de nous rappeler de temps en temps de l’attitude de ces personnes qui font qu’aujourd’hui nous ne sommes pas les mêmes.

Que nous enseigne cette famille de la sainteté? Quelle était la vie de foi des Ulma?

Certainement d’autres personnes ont manifesté un courage exemplaire mais dans ce cas précis nous avons peut-être plus accès à leur vie de foi, grâce surtout à Józef qui eut plusieurs passions pour la photographie, notamment, mais qui était également engagé dans diverses associations dans son village de Markowa. Ce qui a accéléré leur procès en béatification, c’est le fait que leur attitude était en ligne directe avec l’Evangile. Il n’y avait pas d’autres motivations que justement celle fondée sur le Christ et leur foi. La vie de cette famille extraordinaire était imprégnée des valeurs évangéliques.

Ce martyre est aussi celui des saints Innocents...

Certainement, il faut rappeler qu’à ce moment-là, le 24 mars 1944, Józef et Wiktoria avaient déjà six enfants et la mère était enceinte de son septième enfant, dans son sixième mois de grossesse. On a vraiment cette image d’une famille nombreuse ce qui peut impressionner aujourd’hui. Et le fait qu’ils aient su transmettre leurs valeurs à leurs enfants est assurément un modèle.

Pourquoi parle-ton d'un martyre judéo-chrétien?

On peut dire que c’est un martyre commun. En même temps que la mort et l’exécution de toute cette famille Ulma, huit juifs polonais qui étaient cachés par la famille Ulma ont perdu la vie. Et dans ce village, il y eu d’autres maisons où les juifs ont été cachés.

Comment ce martyre de la famille Ulma est-il perçu en Pologne?

Ce qui est sûr c’est que, surtout après la fin du communisme en Pologne, ressurgit de temps en temps un débat, une discussion, sur l’attitude des Polonais vis-à-vis de leurs voisins juifs pendant la Seconde guerre. On trouve parfois des chercheurs — ou soi-disant chercheurs — qui tentent de prouver que presque toute la nation polonaise était complaisante à l’égard de la Shoah, ce qui est bien évidemment faux et infondé. Il existe également des personnes qui, peut-être dans un réflexe d’autodéfense, tendent à minimiser ou nier le fait qu’il y a eu des collaborateurs. Mais on sait bien que dans chaque société lorsqu’il n’y a plus de barrière sociétale imposée par un ordre social, comme c’est le cas pendant la guerre, certaines personnes se comportent de manière inhumaine. C’est cela le côté obscur de la nature humaine. Il est vrai qu’il y a eu des cas de collaboration. Mais je pense que l’exemple mis en valeur par cette béatification va redonner une autre image dans ce débat, qui risque peut-être d’être instrumentalisée.

Sur un plan historique, que dit cette reconnaissance aussi du sacrifice et du martyre polonais pendant l'occupation allemande?

Il faut juste se rappeler que la Pologne était à l’époque de la Seconde guerre mondiale le seul pays où il n’y n’avait pas de gouvernement de collaboration et c’était aussi le seul pays où, pour avoir caché des juifs, la punition imaginée par l’occupant était la mort, celle des juifs et celle de ceux qui les protégeaient. Tout le monde sait qu’au mémorial de Yad Vashem qui honore «les Justes parmi les nations» en Israël, la nation qui a le plus de titres de Justes est la Pologne. La communauté juive a participé à cette commémoration, sur le plan de la mémoire de ces centaines de milliers de Polonais qui au péril de leur vie ont tenté de venir en aide à cette population juive condamnée à mort (propos recueillis par Delphine Allaire).