· Cité du Vatican ·

Entretien avec le nonce aux Etats-Unis, Christophe Pierre, qui sera créé cardinal lors du prochain consistoire

Il y a polarisation lorsque l’on se concentre sur les idées et non sur les personnes

 Il y a polarisation lorsque l’on se concentre  sur les idées et non sur les personnes  FRA-037
14 septembre 2023

Né en 1946 à Rennes, en France, il a passé son enfance en Afrique, a étudié à Rome et est entré dans le corps diplomatique du Saint-Siège en 1977. Il a prêté service dans neuf pays, il a été nonce apostolique en Haïti, en Ouganda, au Mexique et, depuis 2016, il représente le Pape aux Etats-Unis d’Amérique. A la veille de sa création comme cardinal lors du con-sistoire du 30 septembre prochain, les médias vaticans ont rencontré Mgr Christophe Pierre.

Comment avez-vous accueilli la nomination comme cardinal annoncée par le Pape en juillet dernier? Est-ce que vous continuerez d’être nonce aux Etats-Unis?

Cela a évidemment été une grande surprise, personne ne s’attend à devenir cardinal! Je l’ai reçue avec surprise parce qu’il s’agit d’un acte de grande confiance que le Saint-Père me fait. Je l’ai vu immédiatement comme une continuation du travail que j’ai toujours accompli comme représentant du Pape et en particulier dans les derniers pays où j’ai été nonce apostolique, pratiquement depuis 27 ans. Le nonce est une personne qui représente le Saint-Père, il n’est pas seulement une représentation formelle, il doit entrer dans le dialogue qui existe entre le Saint-Siège et l’Eglise locale, et la finalité est véritablement celle d’aider les personnes qui vivent dans un pays à mieux comprendre le Saint-Père et à être capables de vivre dans un climat de dialogue pour le bien de l’Eglise. J’ai toujours vécu cela. En tant que cardinal à présent, je ne sais pas comment je le ferai, mais le Saint-Père me dit que je continuerai à être nonce apostolique.

Vous continuerez donc, d’ailleurs vous n’êtes pas le seul cardinal nonce apostolique, parce que nous avons aussi le cardinal Zenari en Syrie...

Nous allons pouvoir former un club des nonces cardinaux, nous sommes trois! (avec Mgr Emil Paul Tscherrig, nonce apostolique en Italie, qui sera créé cardinal le 30 septembre, ndr).

Le Pape a récemment fait référence au risque de polarisation dans l’Eglise qui est aux Etats-Unis. Comment peut-on l’éviter? Est-ce un phénomène plus répandu qui concerne toute la société américaine?

Je dirais qu’il ne concerne pas seulement les Etats-Unis. La polarisation existe dans le monde entier aujourd’hui, et nous le voyons surtout dans la politique. Je suis frappé par la difficulté qu’ont parfois les hommes politiques à dialoguer entre eux pour résoudre des problèmes concrets. La polarisation vient du fait que l’on oublie facilement la réalité concrète qui tourne toujours autour des personnes. Lorsque l’on se ferme ou que l’on oublie les personnes, les situations concrètes, et que l’on va vers les idées, on se polarise, parce que l’on entre dans ce que nous appelons aux Etats-Unis une certaine «guerre culturelle». La guerre culturelle existe dans la société. Prenons un problème concret, celui des migrations, un grand problème de notre société et pas seulement des Etats-Unis. C’est un problème concret et on ne peut en sortir qu’en le résolvant. Mais la société se révèle — en particulier aux Etats-Unis — incapable de le résoudre et se polarise autour de solutions qui ne sont jamais mises en pratique. L’Eglise américaine a accompli un travail extraordinaire au cours des 50 dernières années pour la défense de valeurs réelles: la valeur de la vie et la lutte contre l’avortement, la défense des plus pauvres... L’Eglise américaine est extraordinaire dans la défense des plus pauvres. Le risque, dit le Saint-Père, est de se concentrer uniquement sur la «valeur» et de perdre un peu de vue la personne. Nous devons toujours défendre la vie de personnes concrètes. Et c’est ce que fait l’Eglise. Alors ce n’est pas seulement une bataille d’idées, mais un engagement que tous les niveaux de la société doivent assumer en collaboration entre eux. Par exemple, la lutte pour la vie doit être concrète à tous les niveaux. Il existe un mouvement magnifique aux Etats-Unis pour accompagner les mères. C’est ce que le Pape nous demande. Ainsi, nous ne sommes pas seulement des défenseurs d’idées, parce que si je défends uniquement une idée, celui qui n’est pas d’accord avec moi devient mon ennemi. Et alors, l’effet est contraire: à la fin, nous menons une lutte culturelle, mais nous oublions la réalité.

Dans quelques jours s'ouvrira le premier des deux synodes sur la synodalité. Un thème qui, à première vue, peut sembler «tech-nique» et interne à l'Eglise. Comment est-il perçu aux Etats-Unis?

Certains ont peur, beaucoup ont diabolisé l'idée de la synodalité, par manque de compréhension de ce que veut le Saint-Père. Je crois que le Pape l'a lancée parce qu'il voit que la société a changé. Je me souviens que lors de la conférence d'Aparecida, en 2007, un thème très important a émergé, le changement d'époque: c'est-à-dire que dans ce monde globalisé, un monde nouveau, les problèmes sont nouveaux. L'Eglise a alors compris que nous devions marcher ensemble pour trouver des solutions afin d'évangéliser un monde nouveau. Marcher ensemble, en tant qu'Eglise, à travers la méthode de la rencontre et du dialogue. De nombreuses personnes ont un peu peur du dialogue parce que pour dialoguer, il faut s'ouvrir, il faut être un peu pauvre et chercher des solutions ensemble. Le synode lancé par le Saint-Père est précisément cela. Malheureusement, beaucoup de personnes n'ont pas bien lu toutes les interventions de François, lorsqu'il dit par exemple: «Nous devons être ensemble, dialoguer, nous écouter les uns les autres. Ecouter, prier ensemble et demander à l'Esprit Saint de nous inspirer». Il y a ceux qui pensent qu'il s'agit de refaire une nouvelle Eglise qui n'a rien à voir avec l'ancienne et qui commencent à dire: «C'est un désastre!». Le défi aujourd'hui est de vaincre cette peur et de recommencer à marcher... Nous devons le faire avec beaucoup de modestie, nous écouter les uns les autres, voir ce que nous avons déjà fait pour évangéliser le monde nouveau, échanger des idées et ensuite tirer certaines conclusions pour l'évangélisation, non pas pour changer toutes les structures ou pour tirer des conclusions qui font peut-être partie de l'agenda de certains groupes.

Qu'attend le futur cardinal Pierre du synode sur la synodalité ?

J'attends précisément cela. Je le vois dans mon pays — je suis aux Etats-Unis depuis sept ans — il y a dans l'Eglise le besoin d'un grand dialogue, d'une grande écoute. Je pense que l’orientation que nous devons tous prendre est d'organiser l'écoute. Et de permettre à tous, à tous, d'avoir le droit à la parole. Un droit à la parole qui ne signifie pas imposer une théorie ou un agenda, mais dire ce que je ressens, toujours dans la ligne de l'évangélisation. Le Pape a souligné l'urgence d'évangéliser dans le monde d'aujourd'hui, qui a changé, parce qu'il y a une certaine perte de valeurs et que beaucoup de gens ont oublié leur vocation et leur mission, celle d'être des témoins de Jésus dans la société dans laquelle ils vivent. Une nouvelle éducation à l'évangélisation est nécessaire.

Lors de son récent voyage en Mongolie, le Pape François a à nouveau insisté sur le fait que l'Eglise n'est pas une organisation politique, ni une entreprise. Comment le synode pourra-t-il aider à comprendre sa véritable nature et mission?

Le synode doit être orienté vers les personnes: c'est-à-dire qu'il doit interroger la personne, les personnes à tous les niveaux de l'Eglise. Personne — le Pape l'a souvent dit — ne doit être oublié, tout le monde doit être pris en considération. Chacun a un rôle, une vocation, une mission. Le dialogue est précisément entre ces personnes, le Pape a son rôle et aura son rôle, mais les évêques, les laïcs... c'est une entreprise énorme, mais elle est nécessaire. Tout cela dans un monde qui semble s'isoler, où les gens ne se parlent plus et ont oublié qui ils sont, ain-si que leur vocation et leur mission dans un monde nouveau.

Vous avez accueilli l'envoyé du Pape, le cardinal Zuppi, à la nonciature de Washington. Quel est le rôle de la diplomatie du Saint-Siège en faveur de la paix?

J'ai accompagné le cardinal Matteo Zuppi pendant les trois jours qu'il a passés à Washington. C'était intéressant pour moi: une expérience de dialogue entre ce cardinal qui représentait le Saint-Père avec une mission spécifique... Je pense que le premier pas nécessaire est d'entrer dans un dialogue où chacun, avant toute chose, écoute l'autre. Et j'ai senti cette sympathie à tous les niveaux. Le cardinal a rencontré de nombreux parlementaires. Et puis il y a eu la rencontre avec le président Biden, qui a duré longtemps et qui a été l’occasion d’un beau dialogue. C'est un début. J'ai beaucoup admiré l'attitude du cardinal parce qu'il est arrivé sans prétention, seulement avec le désir de faire connaître l'aspiration du Saint-Père: que l'idée, le désir de paix soit également présent dans un monde où l’on ne parle que de guerre. Le Pape, tout comme l'Eglise, veulent être présents pour évoquer l'idée de la paix parce que la paix devra bien finir par arriver, sinon nous courons à la catastrophe.

Les solutions ne sont pas visibles pour l'instant, mais nous espérons qu'elles pourront être trouvées...

C'est la méthode de la diplomatie pontificale, qui n'est pas de trouver des solutions parce que cela appartient aux politiques, aux acteurs impliqués, mais nous aussi sommes des acteurs parce que nous représentons des gens qui souffrent, qui vivent dans la réalité. Il est déjà intéressant de voir que le cardinal, à travers ses contacts aussi bien en Ukraine, qu’en Russie et maintenant à Washington, a identifié la nécessité d'une aide humanitaire, en particulier pour les enfants qui ont disparu d'Ukraine.

Andrea Tornielli