Dans le discours prononcé dimanche au cours de la rencontre œcuménique et interreligieuse qui s’est déroulée au Hun Theatre d’Oulan-Bator, le Pape François a affirmé la possibilité et la nécessité de l’espérance, qui est toujours une voie difficile, plus longue et fatigante que celle du désespoir, mais plus forte et féconde pour continuer de vivre en tant qu’êtres humains. Il a dit précisément qu’«espérer est possible. Espérer est possible. Dans un monde déchiré par les conflits et les discordes, cela pourrait sembler utopique; pourtant, les plus grandes entreprises commencent dans la discrétion, presque imperceptibles. Le grand arbre naît de la petite graine, enfoui dans la -terre».
Les dimensions de l’Eglise en Mongolie sont très petites, «presque imperceptibles», environ 1.500 catholiques dans tout le pays, mais Dieu aime ce qui est petit, comme l’a rappelé le Pape la veille dans le discours dans la cathédrale, en invitant à regarder Marie qui, dans sa vie cachée, a accompli de grandes choses. Dès ses premières lignes, l’Evangile de Luc indique la logique et le style caché, discret, de Dieu. D’un côté, il y a l’empereur Auguste, l’homme le plus puissant du monde, qui impose un recensement, veut compter ses sujets, connaître les chiffres: les hommes (comme les briques de Babel) réduits à des données à assembler, comptabiliser; de l’autre, Dieu envoie son ange à Nazareth en Galilée, à la périphérie de la périphérie (au point que Nathanaël de Cana peut se demander «Peut-il venir quelque chose de bon de Nazareth?»), proposer à une jeune fille un projet qui bouleverse sa vie et changera l’histoire du monde.
L’espérance est cette voie difficile, qui ne se fie pas des grands nombres, mais accueille avec courage le défi de la vie. Un chemin qui conduit souvent à traverser le désert.
L’image du désert a été le point central sur lequel s’est développée l’homélie prononcée par le Pape dimanche, dans laquelle il a évoqué la condition de nomade de la population mongole, l’étendant à toute l’humanité: «en effet, tous, nous sommes tous des “nomades de Dieu”, des pèlerins en quête du -bonheur, des voyageurs assoiffés d’amour. Le désert évoqué par le psalmiste se réfère donc à notre vie: nous sommes cette terre aride qui a soif d’une eau limpide, d’une eau qui désaltère en profondeur; c’est notre cœur qui aspire à découvrir le secret de la vraie joie, celle qui, même au milieu des aridités existentielles, peut nous accompagner et nous soutenir. Oui, nous portons en nous une soif inextinguible de bonheur; nous sommes à la recherche d’un sens».
Le désert, et avec lui la soif et, au fond, la mort. D’où la peur, l’égarement qui assaillit tout homme et toute femme sur le chemin de la vie. Cette peur qui pousse Pierre à se scandaliser de la croix et à vouloir «protéger» Jésus en l’éloignant de son destin de souffrance. La réaction de Jésus est nette, coupante. Et encore plus ses dernières paroles sur la croix qui expriment et assument tout ce mystère: d’abord «j’ai soif», puis «Mon Dieu pourquoi m’as-tu abandonné?».
A cette question, à cette soif, la foi chrétienne a répondu. Le Pape l’a dit de façon formelle, vibrante, dans son homélie, en invitant les croyants à être, demeurer dans cette question, sans l’éviter ni la fuir: «La foi chrétienne répond à cette soif; elle la prend au sérieux; elle ne la supprime pas, elle ne cherche pas à l’étancher avec des palliatifs ou des substituts: non! Car notre grand mystère se trouve dans cette soif: elle nous ouvre au Dieu vivant, au Dieu Amour qui vient à notre rencontre pour faire de nous ses enfants et des frères et sœurs entre nous. […] Certes, nous nous sentons parfois comme une terre déserte, aride et sans eau, mais il est tout aussi vrai que Dieu prend soin de nous et nous offre l’eau limpide et rafraîchissante, l’eau vive de l’Esprit qui, jaillissant en nous, nous renouvelle, en nous libérant du danger de la sécheresse. Cette eau nous est donnée par Jésus».
Le Pape cite ensuite un très beau passage de saint Augustin: «Si nous nous reconnaissons dans l’assoiffé, nous nous reconnaîtrons aussi dans le désaltéré» (Sur le Psaume 62, 3).
«En effet, si tant de fois dans notre vie nous faisons l’expérience du désert, de la solitude, de la fatigue, de la stérilité, nous ne devons cependant pas oublier ceci: “Pour que nous ne tombions pas en défaillance dans ce désert — ajoute Augustin — le Seigneur répand en nos cœurs la divine rosée de sa parole [...]. Nous sommes altérés et nous pouvons nous rafraîchir au moyen de la grâce que Dieu nous accorde. […] Le Seigneur a pris pitié de notre infortune; il a tracé pour nous une voie dans le désert de notre vie, il nous a donné Notre-Seigneur Jésus Christ”, qui est la voie dans le désert de la vie». Il y a le désert, mais il y a une voie, il y a la soif, mais il y a l’eau.
L’écrivaine danoise Karen Blixen a regardé ce mystère en face, cela est le destin des vrais artistes, elle a habité cette question et nous a transmis cette réflexion: «Jusqu’à aujourd'hui, personne n’a vu d’oiseaux migrateurs se diriger vers des sphères plus chaudes qui n’existent pas, ni de fleuves détournés à travers les rochers et les plaines pour se jeter dans un océan introuvable. Dieu ne crée pas la nostalgie ou l’espoir, sans qu’une réalité ne réponde à cette nostalgie ou à cet espoir. Notre désir est notre certitude, et bienheureux les nostalgiques, car ils reviendront à la maison».
Au moment où le Pape revient du voyage en Mongolie, il nous donne cette espérance, possible, nécessaire et crédible. (andrea monda)
Andrea Monda