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FEMMES EGLISE MONDE

L’interview
Myriam Wijlens, dans le Comité consultatif du Synode

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30 septembre 2023

Myriam Wijlens, néerlandaise, est professeure de droit canonique à l'université d'Erfurt, en Allemagne.

Comment avez-vous réagi lorsque vous avez été choisie pour faire partie du comité consultatif du Synode ?

Je pense que c'est la première fois dans l'histoire qu'une femme fait partie du comité consultatif. Cela s'est passé peu après que sœur Nathalie Becquart est été nommée sous-secrétaire du secrétariat général du Synode. J'ai été surprise parce que je suis canoniste et qu'en général, nous les canonistes, ne sommes pas invités à participer dès le début. Mais je suppose que ma nomination est liée à mes compétences. En 1984, alors que j'étudiais la théologie, j'ai constaté comment le Concile Vatican II avait redécouvert le baptême, avait consciemment inséré un chapitre sur le peuple de Dieu avant la hiérarchie dans Lumen gentium et avait développé la doctrine de la collégialité épiscopale. Je me suis demandé : comment une telle doctrine peut devenir une réalité vécue ? Le code de droit canonique venait à peine d'être promulgué et je me suis dit : comment le droit peut-il jouer un rôle dans ce domaine ? Cette question m'a fasciné dès mes études de droit canonique et continue à me fasciner aujourd'hui encore.

La question de la reconnaissance et de la responsabilité des femmes a émergé dans tous les rapports continentaux qui ont contribué à la rédaction de l'Instrumentum laboris... Comment l'interpréter ?

Il est frappant de constater que ceux qui appellent à une réflexion sur le rôle des femmes ne sont pas seulement des femmes, mais aussi beaucoup d’hommes jeunes. Ils trouvent très difficile d'appartenir à une Eglise où leurs amies femmes ne sont pas valorisées de la même manière et n'ont pas les mêmes possibilités de participation que les hommes. Les synthèses rapportent que beaucoup plus de femmes que d'hommes s'impliquent activement dans la vie de l'Eglise, mais ne se sentent pas reconnues. En outre, les religieuses ne se sentent pas suffisamment valorisées : elles demandent que l'Eglise leur permette de vivre les potentialités que Dieu leur a donné. Toutes les synthèses soulignent que l'Eglise doit traiter cette question non pas pour des raisons sociologiques, mais en raison de la dignité qui découle du baptême. En outre, les synthèses révèlent que les femmes en situation difficile - pauvreté, mères célibataires, femmes vivant en situation de polygamie - veulent que l'Eglise soit à leurs côtés et les soutienne.

On dit souvent que la question de la « place des femmes » dans l'Eglise aujourd'hui se superpose à celle de la vocation baptismale et de la coresponsabilité de l'ensemble du laïcat comme un ensemble, incluant hommes et femmes : partagez-vous ce point de vue ? Ou y a-t-il des questions spécifiques pour les femmes ?

De manière générale, je partage ce point de vue. Mais il y a autre chose que je voudrais partager avec vos lecteurs. Jusqu'en 1971, les prêtres étaient juges dans les tribunaux matrimoniaux, puis ces derniers ont été ouverts aux laïcs. Le Code de droit canonique de 1983 a également permis aux laïques d'être juges, mais à condition que le juge laïc (homme ou femme) agisse avec deux clercs. Un clerc est un diacre, un prêtre ou un évêque. En 2010, le Pape Benoît XVI a introduit un changement très important dans le droit : il a précisé qu'un prêtre est ordonné in Persona Christi capitis, mais qu'un diacre est ordonné pour le ministère. Il s'ensuit qu'au sein de la notion de clerc se trouvent différentes typologies. Dans les affaires matrimoniales, l'exigence selon laquelle un laïc doit servir avec deux clercs, qui peuvent être un prêtre et un diacre, ou deux prêtres ou deux diacres, a été maintenue. En 2015, le Pape François a décidé que le tribunal pouvait être composé de deux laïcs et d'un clerc. Essayez donc de visualiser le changement sur une photo de groupe de juges déclarant un mariage nul : jusqu'en 1971, il y aurait eu trois prêtres, mais aujourd'hui il y aurait peut-être deux femmes et un diacre marié. Nous avons une photo de groupe complètement différente et la question est : que s’est-il donc passé d'un point de vue théologique ?

Les canonistes sont d'accord : chacun d'entre eux exerce une juridiction. Ma question est la suivante : quelles pourraient être les implications théologiques et canoniques de ce changement dans de nombreux autres domaines de l'Eglise ?

Ce qui signifie ?

Cela nous amène à la question du ministère dans l'Eglise. Jusqu'à tout récemment, les femmes pouvaient également recevoir le ministère de catéchiste, de lectrice et d'acolyte. Ces fonctions entrent dans le cadre du devoir d’enseigner et de sanctifier de l'Eglise et, avec les juges, nous constatons que les femmes peuvent également s'engager dans le gouvernement. Tous les ministères possibles ne sont pas actuellement exercés dans toutes les églises locales, et certains ministères qui existaient dans le passé n'existent plus aujourd'hui (pensons à ce qu'on appelle les ordres mineurs). Actuellement, certaines Eglises locales ont des diacres permanents, d'autres non. J'ai découvert que le ministère de catéchiste est très développé en Afrique et en Amérique latine, mais pas en Europe. C'est un fait : les Eglises locales ont des besoins et des possibilités différents selon les époques. Avec le document Ministeriam quaedam de 1972, le Pape Paul VI avait déjà encouragé les évêques à développer des ministères dans leurs Eglises locales. Nous pouvons donc nous demander : quels sont les besoins des diocèses et quels sont les ministères qui peuvent être développés au niveau local ? Certains ministères peuvent être développés dans un contexte donné parce qu'ils répondent à un besoin, mais peut-être pas nécessairement dans un autre contexte.

Le synode actuel invite à réfléchir à ces questions et à d'autres de manière synodale : l'évêque décide de ce qui est nécessaire et possible dans son diocèse d'un point de vue théologique et pratique après avoir effectué un discernement avec le peuple de Dieu.

En parlant de ministères, se pose également la question du diaconat féminin. Comment le synode peut-il l'affronter ?

Ce n'est pas à moi, mais au synode de discerner comment répondre à la question du diaconat féminin. La demande ne vient pas seulement des femmes, mais de toute la communauté. Cependant, nous devons garder à l'esprit que le synode ne porte pas sur les femmes et le diaconat, mais sur la manière dont l'Eglise s'engage dans des questions comme celle-ci, et bien d'autres. Qui participe à la réflexion, et à la lumière de quel type de responsabilité ? Qui prendra la décision et pour qui est-elle contraignante ? Quel est le niveau approprié pour la prise de décision ? Quels thèmes doivent être décidés par l'Eglise universelle, et quels sont ceux qui peuvent être laissés à un diocèse ou, par exemple, à une conférence épiscopale ? C'est un des autres thèmes du synode.

Comment la synodalité peut-elle aider à résoudre la question des abus dans lEglise ?

Depuis 2002, j'ai reçu des missions d'évêques et de supérieurs majeurs pour mener des enquêtes pénales préliminaires. J'ai siégé à la Commission pontificale pour la protection des mineurs de 2018 à 2022. L'une des questions les plus importantes en matière d’abus est celle de devoir rendre compte de ses propres actions. Cette question ne concerne pas seulement les évêques, mais aussi les supérieurs des instituts religieux. Comment, et après consultation de qui, décident-ils quand des allégations doivent être portées à leur attention ? Comment décident-ils de permettre à un jeune d'être ordonné ou admis dans un institut ? Dans mon travail, je vois très rarement des cas où il n'y a pas eu de signes de problèmes avant l'ordination. Certains évêques ont été avertis de ne pas ordonner ce candidat ou de ne pas accepter une personne d'un autre diocèse et ces avertissements ont été ignorés. Ainsi nous n’avons pas besoin uniquement de procédures pour protéger tout le monde : les victimes, la communauté, le prêtre concerné et l'évêque lui-même, mais nous avons également besoin de moyens pour nous assurer que ces procédures soient mises en application. Le fait de devoir rendre compte de notre travail demande d’agir synodalement et une Eglise synodale doit rendre compte de ses propres actions, parce que le fait d’écouter n’est pas suffisant. Nous avons donc besoin d'un changement de culture. Il ne s’agit pas seulement d’une question de procédures, c'est une question de conversion.

Marie-Lucile Kubacki
Journaliste, envoyée spéciale permanente de « La Vie » à Rome