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FEMMES EGLISE MONDE

Histoires
Christa, la religieuse qui travaille à la frontière entre le Mexique et les USA

«Les gens ont le droit de vivre»

 «Si ha diritto di vivere»  DCM-008
02 septembre 2023

Sœur Christa Parra n'a pas une tâche précise. Seulement être proche. Aimer. Et répondre aux besoins qui se présentent dans le refuge pour les personnes migrantes dans lequel elle travaille à Ciudad Juárez, la ville la plus peuplée de l'Etat mexicain de Chihuahua, fondée sous le nom de El Paso del Norte, qui dit tout.

Christa Parra est une jeune religieuse des Sœurs de Lorette. Elle vit entre deux mondes: privilégiée parce qu'elle est née aux Etats-Unis, et par mission migrante parmi les migrantes – elle-même troisième génération d'immigrés mexicains –   dans l'attente du grand saut vers les Etats-Unis. Chaque matin elle se met au volant, elle part d'El Paso, au Texas, et en 45 minutes de voiture elle rejoint le “shelter” de l'autre côté de la frontière. «Dans le refuge vivent des femmes avec des enfants. Des femmes vulnérables, sans ressources, qui ont affronté un long voyage du Sud par désespoir et en pensant à l'avenir de leurs enfants. Nous avons trois casitas, des petites maisons avec les cuisines en commun, et ensuite plusieurs appartements pour les familles. En tout, nous pouvons loger 60 personnes». Nos  hôtes arrivent de Haïti, du Salvador, du Honduras, du Nicaragua, du Vénézuéla et ils sont tous dans l'attente de traverser le pont qui sépare le Mexique du Texas, rêve et cauchemar de chacun.

Le «Titre 42»,  une mesure voulue par l'administration Trump pour bloquer les personnes migrantes à la frontière avec le Mexique, est arrivé à terme en mai 2023, mais aujourd'hui entrer aux Usa est toujours une jungle de règlements, d'exceptions, de possibilités. Joe Biden a voulu qu'il y ait un système de sponsors pour les entrées. Cela fonctionne mais allonge les temps d'attente. En plus, il est nécessaire d'utiliser une App pour prendre rendez-vous avec un agent américain et se présenter au poste de frontière. Mais l'App doit être sans cesse consultée car les 1.000 disponibilités quotidiennes terminent rapidement. Et ensuite, une fois surmontées les difficultés également techniques (la ligne qui saute, la connexion précaire…) et avoir effectué l'enregistrement, il faut patiemment attendre l'appel.

Sœur Christa consacre sa vie à ce peuple en attente. «Notre méthode est celle suggérée par le Pape François: accueillir, protéger, promouvoir et intégrer». Et écouter. Ecouter la tristesse d'une famille en fuite du Sud du Mexique, après l'enlèvement de leur fils et de leur  belle-fille par les “cartels” (les gang criminels) qui n'ont été relâchés qu'à la suite du versement d'une rançon. Ou le désespoir d'une jeune Hondurienne dont la mère a été tuée à l'église pour des motifs religieux. Ou bien encore, la colère d'une petite entrepreneuse, mère de cinq enfants, qui au Salvador était rançonnée et menacée de mort si elle ne versait pas une partie de ses gains… Voilà ce dont ils fuient: de la violence, des chantages, des extorsions et à présent également de la sécheresse qui transforme les champs cultivés en désert.

Sœur Christa est la charnière entre deux mondes, entre celui “de ce côté-ci” dont on a fui et celui “de ce côté-là”, où tout peut recommencer. Elle est elle-même une femme de frontière, avec ses racines mexicaines et son passeport américain. «Je sens la tension du contraste. Etre le visage d'une Eglise de frontière est ma réponse à l'appel de Dieu. J'apporte à ces personnes en fuite l'amour que j'ai reçu. Je veux le partager avec elles. Ensuite c'est un privilège pour moi – dit sœur Christa, qui a un regard intense et une longue cascade de cheveux bruns – . Cela signifie franchir les frontières et entrer dans le cœur des personnes, dans leurs lieux les plus secrets. Apprendre des drames qu'elles ont vécus dans leurs pays et pour lesquels elles ont décidé de partir. Un jeune père m'a dit ce qu'a signifié pour lui voyager agrippé au toit d'un train à travers le Mexique, avec la terreur de tomber, en serrant entre ses bras son enfant de trois mois. Une mère m'a demandé: je suis arrivée jusqu'ici en ayant faim et en luttant pour ne pas succomber, pensez-vous que mon fils de trois ans se souviendra de tout cela? Je lui ai répondu: il se rappellera combien sa mère l'a aimé et ce qu'elle a fait pour le protéger. Il saura que tout cela était pour lui».

Sœur Christa est jeune et capable de rêver. «Oui, un jour un monde sans frontière. Car je pense que c'est un droit humain de chercher la sécurité, de recevoir une instruction, de travailler, d'avoir une famille. Les droits ne peuvent pas être réservés seulement à ceux qui naissent du bon côté de la frontière et ont, comme moi, un numéro de sécurité sociale qui leur permet d'avoir accès à une école, un hôpital, un permis de conduire, des prêts… Les gens ont le droit de se déplacer là où ils peuvent vivre. Ils ont surtout le droit de vivre». (Antonella Mariani)

#sistersproject