Vous savez que les textes de la liturgie du dimanche sont choisis de telle sorte que la première lecture fasse écho au texte d’Evangile. L’épitre comme l’Evangile est une lecture cursive qui se suit de dimanche en dimanche, si bien que le lien entre eux est plus hasardeux. Or aujourd’hui le hasard fait bien les choses puisque l’écho entre la deuxième lecture de l’épitre aux Romains et l’Evangile est exceptionnel. «Transformez-vous en renouvelant votre façon de penser» écrit Paul aux Romains, quand Jésus dit à Pierre: «Passe derrière moi, tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes». Qu’est-ce donc que la transformation à laquelle nous invite le texte de Paul, sinon que nos pensées soient ajustées à celles de Dieu?
A quoi Jésus ajoute, comme pour illustrer ce que signifie «s’ajuster aux pensées de Dieu»: «Si quelqu’un veut marcher derrière moi, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix, et qu’il me suive». Porter sa croix, ce n'est pas traîner sa part de contrariétés ou de peine pour la plus grande gloire de Dieu. N'oublions pas ce que nous entendions ici même il y a quelques semaines: mon joug est doux et mon fardeau léger. Ces fardeaux que nous nommons trop facilement «croix», ce n'est pas Lui qui nous les a mis sur le dos, et il n'est pas sûr que sa gloire en soit grandie de les rebaptiser ainsi... Le texte lie l'invitation à «porter sa croix» au risque de payer de sa vie le fait de gagner le monde entier. «Car celui qui veut sauver sa vie la perdra, mais qui perd sa vie à cause de moi la gardera». Il est donc question de vie ou de mort, dans la juste place donnée à chaque chose dans les choix que nous faisons.
Renouveler notre façon de penser pour que nos pensées soient celles de Dieu et non pas celles des hommes, c'est écouter comme Jérémie cette voix qui résonne au plus profond de nous, qu'elle soit ainsi qu'il la décrit, comme un feu dévorant; ou qu'elle murmure comme pour Elie à l'Horeb à l'image d'une brise légère. Et au risque de me répéter, mais la répétition de l'Evangile lui-même de dimanche en dimanche n'a d'autre but que de finir par pénétrer notre cœur, cette voix au plus intime de nous même, c’est ce que nous appelons notre conscience, c'est la présence et la marque au fond de nous de Dieu lui-même. Encore faut-il nous donner le temps et le silence nécessaires pour l'entendre, ce qui suppose comme au temps de Paul de ne pas prendre pour modèle le monde présent, qui nous invite à zapper sans cesse de divertissement en divertissement jusqu'à nous rendre sourds, et à éteindre en nous ce souffle de l'Esprit. Alors nous pourrions bien baptiser croix toutes nos contrariétés dans nos projets si peu ajustés au vues de Dieu, ce ne serait qu'illusion.
Prendre «sa» croix, non pas celle d'un autre, c'est se mettre à l'écoute de cette voix de Dieu en nous qu'est la conscience, dans cette situation singulière qui est la nôtre, confrontés aux choix qui nous appartiennent. Et la mesure de ces choix, à la lumière de l'Evangile, c'est d'être toujours en référence au Père, celui en référence auquel et par lequel nous sommes tous frères. Marcher derrière Jésus, c'est ainsi choisir toujours le chemin qui nous permet le mieux d'être frères. Il n’y a pas de dolorisme malsain dans cette invitation à prendre notre croix à sa suite. Il n’y a pas de goût particulier pour la souffrance, il n’y a pas de complaisance avec les forces de mort qui nous habitent. La révélation de l’Evangile est celle d’un Dieu qui nous veut «heureux», comme il le répète à l’envi dans le sermon sur la montagne.
Mais c’est notre Père qui nous veut heureux, et le chemin de ce bonheur, c’est d’être frères. Il n’y a pas de goût pour la souffrance, mais il y a le goût de l’autre; il n’y a pas de complaisance avec ce qui nous empêche de vivre, mais il y a le choix de la relation. Et choisir d’être frère est un chemin qui peut être douloureux, qui peut nous mettre en butte à la contradiction, qui peut nous conduire à donner notre vie. Renoncer à soi-même et prendre sa croix est une invitation pour la vie, car il y a des choix raisonnables et confortables qui conduisent à la mort.
Pour Pierre, il y avait quelque chose de difficile à entendre dans cette annonce du chemin à suivre pour le Christ qui mettait par terre les images qu’il s’en faisait. Et pour nous, si nous grattons les scories d’années d’habitudes à entendre cela sans sourciller, ne sommes nous pas tentés d’être du côté de l’obstacle? Nous autres parents, rêvons probablement d’autre chose pour nos enfants que d’aller partager la vie des chiffonniers dans la banlieue du Caire, ou celle des plus pauvres dans un bidonville de Calcutta ou d’ailleurs. Et si d’aventure, grâce en soit rendue au Père, il arrivait à l’un ou l’autre d’entre nous que son fils ou sa fille lui annonce un tel projet, il y a des chances que nous lui disions: «Dieu t’en garde, cela ne t’arrivera pas!». Et pourtant, ce serait probablement Dieu qui l’y appellerait. Demandons donc la grâce que l’Evangile nous choque, nous heurte, nous scandalise, ce sera le signe que nous commençons à l’entendre!
*Aumônier national catholique des prisons de France et d’Outre-Mer
Aimer, c’est s’offrir
Je choisis, en Christ, d’être amour,
et en accepte ses souffrances;
je bâtis une vie en abondance,
elle est délivrance,
m’ouvre à celle éternelle;
les sacrifices pour mes amours,
donnent une valeur et un sens
à mon existence, dès ce jour.
Dieu et mon chemin
Les paroles de ma femme, en Esprit, m’ouvrent à la transcendance,
à m’oublier; j’essaie de diriger mon existence,
dans un lâcher prise ultime; je fais confiance au lendemain.
un inconnu surabondant, insoupçonné, mon chemin.
Franck Widro
L’Evangile en poche
Dimanche 3 septembre,
xxiie du Temps ordinaire
Première lecture: Jr 20, 7-9;
Psaume: 62
Deuxième lecture: Rm 12, 1-2;
Evangile: Mt 16, 21-27.
Bruno Lachnitt*