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Synthèse de la célébration des vêpres au monastère des Hiéronymites

La colère à cause des scandales qui ont défiguré le visage de l’Eglise

 La colère à cause des scandales  qui ont défiguré le visage de l’Eglise  FRA-031
03 août 2023

D ans l’après-midi du mercredi 2 août, après les rencontres à la nonciature de Lisbonne avec le président de l’Assemblée de la République et avec le premier ministre portugais, François s’est rendu en voiture au monastère royal de Sainte-Marie de Belèm, connu sous le nom de «Mosteiro dos Jerónimos» pour la célébration des vêpres avec les évêques, les prêtres, les diacres, les personnes consacrées, les séminaristes et les agents de la pastorale du pays. Nous publions ci-dessous une synthèse du discours du Pape, dont nos lecteurs trouveront l’intégralité sur le site www.vatican.va.

Immergé dans la beauté du Portugal, «terre de jonction entre le passé et l’avenir, lieu de traditions anciennes et de grands changements, embelli par des vallées luxuriantes et des plages dorées donnant sur la beauté infinie de l’océan», le Pape François a d’emblée comparé le contexte ecclésial portugais et européen actuel à celui du premier appel de Jésus aux disciples sur les rivages galiléens.

Lorsque Jésus en passant «vit deux barques au bord du lac; les pêcheurs en étaient descendus et lavaient leurs filets» (Lc 5, 2), le Pape remarque un contraste: d’une part, «les pêcheurs descendent de la barque pour laver leurs filets», d’autre part, «Jésus monte dans la barque et les invite à jeter à nouveau leurs filets pour pêcher». «Les différences sont manifestes: les disciples descendent, Jésus monte; ils veulent ranger les filets, Lui veut qu’ils soient jetés à nouveau à la mer pour pêcher».

Et pour cause, c'est «précisément dans les lieux et les situations où les gens vivent, luttent, espèrent, en serrant parfois dans leurs mains les échecs et les revers» que le Christ veut apporter la proximité de Dieu, a souligné François, prenant en exemple ces pêcheurs qui n’avaient rien pris durant la nuit.

Le Souverain Pontife vise là l’expérience d’une lassitude parfois similaire «lorsqu’il nous semble tenir dans nos mains que des filets vides»; un sentiment assez répandu selon lui dans les pays de vieille tradition chrétienne, de plus en plus marqués par la sécularisation, l’indifférence à l’égard de Dieu, un recul croissant de la pratique de la foi. «Lorsque nous sommes découragés, conscients ou pas tout à fait conscients, nous nous “retirons” du zèle apostolique, et nous le perdons peu à peu, et nous devenons des «fonctionnaires du sacré». Et c'est bien triste quand une personne qui a consacré sa vie à Dieu devient un «officiel», un simple administrateur des choses. C'est très triste», a déploré le Pape.

Des éléments accentués «par la déception et la colère» que certains ressentent à l’égard de l’Eglise, «parfois à cause de notre mauvais témoignage et des scandales qui en ont défiguré le visage et qui appellent à une purification humble et constante, en partant du cri de douleur des victimes, toujours à accueillir et à écouter», a relevé le Pape devant le clergé portugais qui avait demandé pardon début mars, à la suite de la publication d’un rapport indépendant con-sacré aux abus sur mineurs au sein de l’Eglise nationale. François a mis là en garde contre un risque important: celui «de descendre de la barque en restant pris dans les filets de la résignation et du pessimisme».

«Quand on s'habitue et qu'on s'ennuie et que la mission devient une sorte de “travail”, il est temps de céder à ce deuxième appel de Jésus, qui nous appelle toujours à nouveau. Il nous appelle à nous faire marcher, il nous appelle à nous reconstruire», a ajouté le Pape.

«Au contraire, nous devons apporter au Seigneur nos peines et nos larmes, pour ensuite affronter les situations pastorales et spirituelles en y faisant face avec ouverture de cœur, et en faisant ensemble l’expérience de nouvelles voies à suivre, confiants que Jésus continue à prendre par la main et à relever son Epouse bien-aimée», a insisté le Successeur de Pierre, reconnaissant «une époque difficile» tout en interpellant l'assemblée de religieux sur cette parole de Dieu: «Veux-tu descendre de la barque et sombrer dans la déception, ou me laisser monter et permettre à la nouveauté de ma Parole de reprendre en main le gouvernail? Veux-tu simplement t’accrocher au passé que tu as derrière toi, ou bien jeter à nouveau avec enthousiasme les filets pour la pêche?». Le Pape François énonce là une volonté claire du Seigneur: «Réveiller notre préoccupation pour l’Évangile».

Un réveil qui devrait selon lui inspirer les Portugais habitués de l’océan, «quitter le rivage non pas pour conquérir le monde, mais pour le réjouir de la consolation et de la joie de l’Evangile». «Le moment n’est pas venu de s’arrêter et d’abandonner, d’amarrer la barque sur le rivage ou de regarder en arrière. Nous ne devons pas fuir ce moment parce qu’il nous ferait peur et nous réfugier dans des formes et des styles du passé», a assuré le Pape, évoquant «un temps de grâce donné pour s’aventurer sur la mer de l’évangélisation et de la mission». Pour ce faire, trois choix inspirés par l’Évangile.

Tout d’abord, avancer au large. Pour jeter à nouveau les filets à la mer, il est nécessaire de quitter le rivage des déceptions et de l’immobilisme, estime François, mais encore de nous éloigner «de cette tristesse douceâtre et de ce cynisme ironique» face aux difficultés. «Cela est nécessaire pour passer du défaitisme à la foi; beaucoup de prière est nécessaire», insiste-t-il, expliquant que ce n’est «que dans l’adoration, devant le Seigneur», que l’on retrouve le goût et la passion de l’évangélisation. Selon François, c’est ainsi que l’on surmonte «la tentation de mener une “pastorale de la nostalgie et des regrets”» et que l’on trouve «le courage d’avancer au large, sans idéologies et sans mondanités, animé d’un seul désir: que l'Evangile parvienne à tous».

C’est à partir de la mondanité spirituelle qui s'insinue en nous que le cléricalisme est engendré, a vilipendé l'évêque de Rome. «Le cléricalisme pas seulement des prêtres. Les laïcs cléricalisés sont pires que les prêtres. Ce cléricalisme qui nous ruine. Et comme l'a dit un grand maître spirituel, cette mondanité spirituelle causée par le cléricalisme est l'un des maux les plus graves qui puissent arriver à l'Eglise», a encore assuré François.

Citant l’exemple de saint João de Brito (1647-1693), jeune missionnaire jésuite, qui, au milieu de nombreuses difficultés, est parti pour l’Inde et a commencé à parler et à s’habiller de la même manière que ceux qu’il rencontrait afin d’annoncer Jésus, le Pape appelle chacun «à plonger ses filets dans l’époque, à dialoguer avec tous, à rendre l’Evangile compréhen-sible, même si, pour le faire, nous risquons quelque tempête».

«Ne craignons pas d’affronter la haute mer car, au milieu de la tempête et face aux vents contraires, Jésus vient à notre rencontre et nous dit: “Confiance! c’est moi; n’ayez plus peur!” (Mt 14, 27)», a soutenu François, développant un deuxième choix «mener ensemble la pastorale».

«Un signifie solitude, fermeture, prétention à l’autosuffisance; deux signifie relation. L’Eglise est synodale, elle est communion, entraide, chemin commun», a relevé le Pape, mentionnant le synode en cours. «Sur la barque de l’Eglise, il doit y avoir de la place pour tous: tous les baptisés sont appelés à y monter et à jeter les filets, en s’engageant personnellement dans l’annonce de l’Evangile», a-t-il poursuivi, qualifiant cette mission de grand défi au regard de l’épuisement de nombreux prêtres alors que les besoins pastoraux augmentent, et que les prêtres sont de moins en moins nombreux.

Une occasion pour le Pape «d’impliquer les laïcs dans un enthousiasme fraternel et une saine créativité pastorale». Les filets des premiers disciples deviennent alors une image de l’Eglise qui est un «réseau de relations» humaines, spirituelles et pastorales.

«S’il n’y a pas de dialogue, de coresponsabilité et de participation, l’Église vieillit. Je le dirais ainsi: jamais un évêque sans son presbyterium et le peuple de Dieu; jamais un prêtre sans ses confrères; et tous ensemble — prêtres, religieuses, religieux et fidèles laïcs —, en tant qu’Eglise, jamais sans les autres, sans le monde. Sans mondanité, mais avec le monde», a développé le Saint-
Père.

Enfin, le troisième choix: devenir pêcheurs d’hommes. Souvent, dans l’Ecriture, la mer est associée au lieu du mal et des puissances adverses que les hommes ne parviennent pas à maîtriser, a rappelé François, ajoutant: «Pêcher les personnes et les sortir de l’eau c’est les aider à se relever de là où elles ont sombré, les sauver du mal qui risque de les engloutir, les ressusciter de toutes les formes de mort. L’Evangile est une annonce de vie sur la mer de la mort, de liberté dans les tourbillons de l’esclavage, de lumière dans l’abysse des ténèbres». «Cela sans prosélytisme, mais avec amour. Et l'un des signes de certains mouvements ecclésiaux qui tournent mal, c'est le prosélytisme. Quand un mouvement ecclésial ou un diocèse, ou un évêque, ou un prêtre, ou une religieuse, ou un laïc fait du prosélytisme, ce n'est pas chrétien», a constaté le Pape. Dans la société actuelle, il y a beau-coup de ténèbres, même ici au Portugal, a relevé François. «Nous avons l’impression que l’enthousiasme, le courage de rêver, la force d’affronter les défis, la confiance dans l’avenir ont disparu; et, pendant ce temps, nous naviguons dans les incertitudes, dans la précarité économique, dans la pauvreté en amitié sociale, dans le manque d’espérance».

Le Pape assure que c’est à l’Eglise «de nous plonger dans les eaux de cette mer en jetant le filet de l’Evangile», «sans pointer du doigt mais en apportant aux hommes de notre temps une proposition de vie nouvelle, celle de Jésus»: susciter l’accueil de l’Evangile dans une société multiculturelle; rendre proche le Père dans les situations de précarité et de pauvreté qui se multiplient, en particulier chez les jeunes; apporter l’amour du Christ là où la famille est fragile et les relations blessées; transmettre la joie de l’Esprit là où règnent la démoralisation et le fatalisme, a encore détaillé le Souverain pontife, confiant rêver de l’Eglise portugaise «comme d’un port sûr» pour tous ceux qui font face aux traversées, aux naufrages et aux tempêtes de la vie. (delphine allaire)