· Cité du Vatican ·

Conversation avec le père Renato Chiera

Une vie pour les «meninos de rua»

 Une vie pour les «meninos de rua»  FRA-030
27 juillet 2023

Il n’y a pas de blessure que l’amour ne puisse guérir. Il n’y a pas de vie, aussi désespérée soit-elle, qui ne puisse renaître à l’espérance. Animé par ces convictions, le père Renato Chiera, prêtre fidei donum piémontais, vit au Brésil depuis 45 ans aux côtés des garçons rejetés, les meninos de rua, les «enfants que personne n’aime». Malgré les années qui passent, le fondateur de la Casa do Menor, qui eut avec Mgr Luigi Bettazzi un de ses grands inspirateurs, n’a pas réduit son engagement d’amour pour ses meninos: d’abord à Rio de Janeiro, puis à Fortaleza et dans plusieurs autres villes brésiliennes. Ayant atteint l’âge de 80 ans, le missionnaire a jugé bon de «s’offrir» une nouvelle mission et maintenant son œuvre est arrivée également sur le continent africain, en Guinée Bissau. Dans cet entretien avec les médias du Vatican, le père Renato Chiera partage son expérience et souligne que ce n’est que si nous remettons l’amour au centre des relations que nous pourrons sauver l’humanité, à commencer par les plus petits.

Trente-sept ans se sont écoulés depuis la fondation de la Casa do Menor, significativement née le 12 octobre 1986, en la fête de Notre-Dame d’Aparecida, patronne du Brésil. Depuis, beaucoup de chemin a été fait, de nombreux enfants des rues accueillis et ramenés à la vie, mais aussi des histoires de douleurs et de d’échecs...

Nous sommes nés pour accueillir le cri de ceux qui ne sont pas aimés, le cri de ceux qui ne sont considérés par personne, de ceux que personne ne voit... Je dis toujours: nous sommes appelés non pas à changer les gens, mais à les aimer, car alors l’amour les transforme. Et maintenant, nous avons 5.000 enfants et jeunes avec nous, chaque jour. Nous devons vivre notre charisme qui est le charisme d’être une famille, être une famille pour donner une famille à ceux qui ne se sentent aimés de personne. Le cri pour la présence de l’amour doit être entendu. C’est un cri qui existe partout dans le monde!

Y a-t-il parmi les meninos de rua des jeunes qui, une fois grands, reviennent à la Casa do Menor pour aider ceux qui les ont accueillis quand ils étaient petits?

Oui, presque tous ceux qui dirigent les Casas do Menor au Brésil, sont nos «anciens»! Et maintenant, nous avons un phénomène intéressant: celui des vocations. C’est un phénomène qui m’impressionne car, par exemple, nous sommes dans les «cracolândias» (ndlr: quartiers où se vend le «crack») depuis des années: j’y vais, je suis attiré par Jésus sur la Croix, qui est en croix parce qu’il n’est pas aimé. Jésus abandonné et crucifié... et ces garçons, ces hommes, c’est ça! Nous y allons pour être la présence de l’amour. Si nous donnons de l’amour et si nous donnons Dieu-amour, ils ressuscitent. Un phénomène que je n’imaginais pas, c’est que des vocations naissent de ces hommes de la rue! Et nous avons des gens qui sont transformés par l’amour, par l’Evangile, par la maison que nous donnons, par la maison et la famille, parce que la Casa do Menor représente une famille pour ceux qui sont méprisés. Cet amour est comme un ventre communautaire, c’est ainsi je l’appelle, parce que nous avons cette dimension de couveuse.

Que signifie être une «couveuse» de ces enfants de la rue?

Ces jeunes ont été engendrés mais n’ont pas terminé leur gestation parce qu’ils n’étaient pas aimés... et ils trouvent cette réalité chez nous, ils rencontrent Dieu non pas tant parce que nous parlons de Dieu, mais parce qu’ils le ressentent à travers notre amour! C’est ainsi que nous évangélisons: une nouvelle évangélisation, qui n’est pas tant parler, mais être présent, être présent ensemble. Avoir Sa présence, la présence de Jésus parmi nous, parce que là où il y a deux ou trois personnes qui s’aiment, Jésus est là. Nous voyons que dans nos maisons, dans nos ateliers, dans nos cours, dans les espaces communautaires, en -jouant au foot, s’il y a cette présence, je vois qu’ils grandissent.

Nous parlons d’enfants, d’adolescents, avec une vie de souffrance qu’on ne peut probablement même pas imaginer de cet autre côté de l’océan. Des enfants qui n’ont pas été aimés par leurs parents...

C’est pourquoi je dis que nous devons faire l’expérience de la présence de Dieu parmi nous, car notre amour ne peut pas les comprendre, ou comprendre leurs traumatismes... L’autre jour, j’étais à Fortaleza, on nous a amené un bébé de deux jours et je l’ai pris dans mes bras. Ce sont les enfants de mères qui consument du crack, dont tout le corps tremble et qui ne peuvent pas dormir. Je l’ai pris dans mes bras et je me disais: qu’est-ce qu’on va faire? Mais qui est capable de comprendre et de ressentir la douleur qu’ils éprouvent? Parce que tout est marqué dans leur inconscient, les blessures, les traumatismes... J’ai ressenti cette impuissance et je me suis dit: comment faire? Et puis je l’ai serré contre mon cœur et j’ai dit: nous devons avoir l’amour de Dieu parmi nous, qu’Il touche ces cœurs et guérisse ces blessures. C’est pourquoi nous disons toujours qu’il faut être une famille pour avoir le Ressuscité parmi nous.

Comment maintenez-vous la joie d’être à côté de ces enfants qui portent en eux tant de souffrance, de violence et de colère?

J’arrive à vivre avec cette douleur parce que je sais que maintenant elle a un nom: c’est Jésus sur la Croix qui entre dans ma vie pour la transformer. Alors je crois que cette douleur est toute la douleur de l’accouchement qui prépare à une nouvelle vie. C’est la création qui gémit dans les douleurs de l’enfantement, comme dit saint Paul. Je vais dans les cracolândias, je vais là où ils vendent de la drogue, je vais les bénir, je vais aussi baptiser sous les ponts... Et ils m’embrassent: j’y vais pour aimer Jésus, et je dis:  Ici, il y a Jésus», mais c’est un Jésus qui est crucifié, un Jésus qui est blessé. Ce Jésus qui est en moi aime, transforme ces personnes! J’ai appris à vivre avec le «négatif», parce que nous sommes capables d’accepter tant de choses si elles ont un sens: nous vivons avec la douleur, avec le «négatif» si cela a un sens, et Jésus lui a donné un sens, car par la croix il a engendré la vie. La motivation est dans la foi, sinon je n’y arriverais pas. Maintenant, je me sens plus vivant que lorsque je suis allé au Brésil la première fois, car en entrant en contact avec ces gens, je sens que je grandis au contact de Dieu et une énorme énergie naît en moi.

Dans l’expérience de la Casa do Menor, de ces jeunes profondément blessés, quelle est l’importance du pardon?

Le pardon est nécessaire: sans cela, vous ne pouvez pas avancer! Ces jeunes doivent pardonner à leur père et à leur mère: c’est la chose la plus difficile pour eux car ils sont en colère, il y a beaucoup de colère, il y a de la haine... La violence est le cri de ceux qui ne se sentent pas des enfants, de ceux qui n’ont pas d’avenir. Alors le pardon est un remède: sans cela, on ne peut pas avancer. Je dis: tes canaux sont bouchés — c’est la haine — si tu ne les débouches pas, l’amour ne passera pas, rien ne passera...

Pardonner donc, mais également se laisser pardonner...

Oui, nous devons nous pardonner, pardonner à ceux qui nous ont fait du mal et «pardonner» à Dieu. Nous devons apprendre à «pardonner» à Dieu parce qu’ils disent: «Mais Seigneur, qu’ai-je fait pour mériter cela?». Mais ensuite ils commencent à comprendre que tout cela est un fil d’or: ces personnes qui ont été dans les ténèbres ressentent davantage ce qu’est la lumière et ont une sensibilité religieuse très forte à l’égard de Dieu. Ils ont besoin de rencontrer Quelqu’un qui les aime, «Quelqu’un» avec un «q» majuscule. La relation est nécessaire pour pouvoir se relever. Savoir qu’ils ont Quelqu’un: sentir la présence de Quelqu’un qui ne nous quitte jamais. Je peux être cette présence, mais je suis limité: nous pouvons l’être au niveau communautaire, mais nous sommes limités. Quand ils le sentent, ils parviennent à avoir cette relation avec Dieu, Quelqu’un qui les aime toujours, qui est une présence stable, c’est alors qu’ils trouvent la force de se relever.

Alessandro Gisotti