· Cité du Vatican ·

L’engagement des opérateurs de l’ong Kizito en défense des mineurs détenus

Dans l’enfer des prisons de Bangui

 Dans l’enfer des prisons de Bangui  FRA-030
27 juillet 2023

A Bangui, la capitale de la République centrafricaine, le système carcéral est un enfer sans fin. Des dizaines de prisonniers sont entassés dans des cages surpeuplées où l’espace disponible pour chacun ne dépasse pas deux mètres carrés, avec la chaleur, la saleté et la violence régnant en maîtres.

Dans un pays déchiré par des années de guerres internes et où les conditions de vie sont à la limite de la survie, être arrêté par la police, c’est se retrouver dans un cercle dantesque où la dignité humaine, déjà compromise à l’extérieur, est définitivement annulée. Plutôt des antres sombres et malodorants, dans les cachots de la capitale et d’autres prisons centrafricaines les adultes et les enfants cohabitent sans aucune séparation ni protection pour les mineurs, qui se retrouvent ainsi côte à côte avec des personnes beaucoup plus âgées avec des conséquences facilement imaginables. Les enfants découvrent alors qu’ils sont encore plus fragiles et que les brimades et les abus sont à l’ordre du jour dans un crescendo de misère. Une situation à laquelle s’oppose de toutes ses forces Elvira Tutolo, de la congrégation des Sœurs de la charité de sainte Jeanne-Antide Thouret, dont la curie générale est à Rome, tout près de la Bocca della Verità. C’est précisément cette vérité que sœur Elvira, née en 1949 à Termoli et missionnaire sur le continent africain depuis plus de trente ans, crie d’une voix forte pour mettre une limite à la souffrance.

Le parcours de la religieuse du Molise est un parcours de toute une vie, un voyage qui l’a conduite d’abord au Tchad pendant dix ans, puis au Cameroun et enfin, en République centrafricaine où, en vingt-trois ans de séjour, elle a pu voir de ses propres yeux les extrémités de la méchanceté humaine.

Son aventure commence en 2001 lorsqu’elle arrive à Berbérati, chef-lieu de la préfecture de Mambéré-Kadéï dans le sud du pays, où elle se voit confier un centre culturel, ou plutôt, une simple salle dépourvue de tout devant le lycée local, où plus de 1.700 élèves n’avaient même pas un livre pour étudier. Le choc est immédiat, mais à force de ténacité et de détermination, elle parvient à créer d’abord une bibliothèque, puis au fur et à mesure que les aides augmentent, également une salle de télévision et même un poste internet pour connecter ces enfants, si isolés, au reste du monde. Le centre grandit et devient immédiatement le point de référence de cette communauté qui s’ouvre à la missionnaire jusqu’à lui faire connaître une réalité encore plus dure, si cela est possible, hors des murs de l’institut.

Sœur Elvira n’oublie toujours pas la nuit où, accompagnée des habitants et avec seulement des torches pour éclairer le chemin, elle vit une situation encore plus triste que celles qu’elle avait vues jusqu’à présent: des dizaines de jeunes dormant dans les rues sur des lits en carton de fortune pour ne pas vivre dans leurs maisons. La religieuse ne comprend pas d’abord, elle est déconcertée, mais peu à peu, elle découvre la raison de tant de désespoir: ces jeunes sont accusés par leurs parents d’être des sorciers, et par conséquent, sont menacés de mort par les habitants de leur propre village. En République centrafricaine, non seulement cette superstition est toujours vivante, mais la pratique et l’utilisation des arts magiques sont toujours considérées comme un crime, des normes du code pénal prévoient l’emprisonnement des personnes accusées de sorcellerie de sorte qu’une bonne partie des mineurs arrêtés le sont précisément sur la base de cette accusation.

Une fois en prison, ces jeunes, qui conduisent déjà une vie malheureuse, se retrouvent à partager des espaces avec une population carcérale bien plus âgée qu’eux et si la chaleur épuise leurs corps, ce sont les vexations quotidiennes qui les marquent de traumatismes ineffaçables. Des lits de fortune près des latrines où l’on peut essayer de dormir et un seul petit repas par jour pour rompre l’ennui de journées entières, de mois passés sans autre activité qu’essayer de se défendre des gardiens et des compagnons d’infortune.

Des conditions inhumaines non seulement pour ceux qui restent, mais aussi pour ceux qui tentent de s’enfuir, comme Christ, un jeune homme qui, épuisé par la situation, a tenté de s’enfuir pour être immédiatement traqué et capturé. L’affront pour les gardiens est trop grand et la vengeance tombe implacable sur le pauvre Christ qui est suspendu par une corde, balancé puis claqué à plusieurs reprises sur le sol en béton de la prison. Des tortures brutales auxquelles le jeune homme, le dos cassé, ne survit pas, suscitant l’immédiate indignation de sœur Elvira qui se précipite sur place accompagnée par le président du tribunal local. A son arrivée, elle constate que les militaires avaient enveloppé le corps dans un drap et s’apprêtaient à l’enterrer pour faire ainsi disparaître également leur crime, ce à quoi toutefois la missionnaire s’oppose. Il y a de nombreuses histoires dont la religieuse italienne a été témoin, comme lors-que, attirée par les cris du peuple, elle trouve un garçon dans une mare de sang. Il avait été frappé sur le ventre par des policiers avec leurs lourdes bottes, ce qui avait provoqué une hémorragie interne; on essaye tout de suite de l’aider mais, malgré la course vers l’hôpital, il ne survit pas aux trois jours d’agonie. L’indignation grandit et même les habitants locaux participent aux protestations et à la marche organisée pour exiger la fin des violences gratuites des autorités.

C’est pour éviter que les enfants de Berbérati courent encore des risques pareils, que l’ong Kizito est fondée. Son nom vient de saint Kizito, le plus petit des saints martyrs d’Ouganda, canonisé solennellement par Paul vi sur la place Saint-Pierre en 1964. L’organisation se constitue partie civile dans les procès et devient rapidement un interlocuteur direct du tribunal pénal auquel les autorités confient les mineurs comme mesure alternative à la prison. Dans la maison de l’ong les jeunes condamnés purgent leur peine dans des conditions plus dignes et apprennent aussi un métier utile pour subvenir à leurs besoins une fois leur peine expiée: des ateliers de menuiserie, de mécanique, d’agriculture pour que la misère ne les hante pas à vie.

Dans la résidence de Kizito, il n’y a pas que des délits mineurs, mais également des enfants condamnés pour des crimes beaucoup plus graves. C’est le cas de Samuel, dans un certain sens également inculpé à cause de la sorcellerie, car il a tué son propre père pour l’empêcher de le sacrifier dans un rite de propitiation. Ce n’est pas un simple soupçon, mais l’inévitable épilogue d’une série de meurtres que son père avait déjà perpétrés sur sa fille et un autre frère du garçon. La victime travaillait dans une mine de diamants mais depuis longtemps n’avait plus de chance dans la recherche des pierres: ses collègues de travail l’avaient convaincu d’avoir été frappé par un sortilège, une magie qui ne pouvait être contrée que par du sang. Seule l’intervention de sœur Elvira sauve le malheureux d’un châtiment très dur à purger dans un endroit encore plus dur. Tout autant providentielle, l’intervention pour sauver de la peine de mort une petite fille âgée de huit ans accusée d’être une sorcière: la missionnaire, faisant bonne figure, la fait purifier par un chaman pour lui sauver la vie. Le travail de sœur Elvira a aidé de nombreuses personnes à Berbérati mais ce n’est qu’une goutte dans une mer de souffrance en République centrafricaine, où la violence et le désespoir sont à l’ordre du jour. Dans la capitale Bangui, les détenus n’ont pu avoir accès que récemment à de l’eau plus ou moins propre fournie par le puits de la prison locale, alors que la situation de promiscuité reste la même et les mineurs se retrouvent à la merci des adultes derrière des murs de barbelés. Les jeunes qui affluent vers la capitale se rassemblent en gangs féroces, chacun avec son propre point de rencontre: il y a celui qui stationne dans les ruelles, celui au bord du fleuve, qui est aussi le plus redouté, ou encore le groupe de désespérés qui se réfugie dans la grotte de la Madone, près de la cathédrale Notre-Dame de l’Immaculée Conception où, en 2015, la porte sainte a été ouverte par le Pape François. Des anciens enfants soldats qui, s’ils ne sont pas reconnus coupables de vols, de viols ou de cambriolages, finissent en prison toujours sous l’accusation de sorcellerie. L’histoire de Docho est emblématique: il a maintenant vingt-quatre ans et était détenu avec un bras cassé et répudié par sa famille précisément parce qu’il était accusé de sorcellerie. Le travail de réinsertion n’a pas été facile mais aujourd’hui, grâce à l’ong Kizito, Docho a une nouvelle famille et un petit moulin où il peut moudre le manioc et subvenir à ses propres besoins.

Il reste encore beaucoup à faire pour la protection des mineurs dans cette partie du monde où une multitude de personnes ne sont même pas enregistrées par le gouvernement et errent, presque sans but, dans les rues de Bossangoa, Carnot ou Ndélé. Une armée de fantômes à laquelle la religieuse, de l’Italie à l’Afrique pour poursuivre le rêve de servir, voudrait trouver un refuge, dans l’indifférence générale des autorités, sourdes à toute demande d’un minuscule terrain pour construire un centre d’accueil également dans la capitale. Les batailles de sœur Elvira Tutolo ont été nombreuses au cours de ces années, certaines gagnées, certaines perdues, beaucoup encore en cours, mais sa force demeure inchangée, illuminant les derniers de la terre avec le flambeau de l’engagement pour leur redonner l’apparence d’un visage humain.

Antonino Iorio