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Entretien du cardinal Parolin avec les médias vaticans sur la nomination de l’évêque de Shanghai

Pour le bien des catholiques chinois

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20 juillet 2023

Le Pape François a nommé le 15 juillet évêque de Shanghai, en Chine continentale, Mgr Giuseppe Shen Bin, le transférant du diocèse de Haimen, dans la province de Jiangsu. Commentant cette décision et les possibles développements du dialogue entre le Saint-Siège et les autorités de la République populaire de Chine, le cardinal-secrétaire d’Etat, Pietro Parolin, a accordé l’entretien suivant aux médias vaticans.

Eminence, le Saint-Siège a annoncé la décision du Saint-Père de nommer évêque de Shanghai Mgr Giuseppe Shen Bin, quelque temps après que ce prélat a été de fait transféré du diocèse de Haimen. Pourquoi cela a-t-il eu lieu et que comporte le geste du Pape François?

Pour expliquer ce qui a eu lieu, il me semble utile de rappeler les précédents et les circonstances de cette nomination. Comme on s’en souviendra, l’Accord provisoire sur la nomination des évêques en Chine a été prolongé pour deux années supplémentaires le 22 octobre 2022. Environ un mois plus tard, le Saint-Siège a dû exprimer sa surprise et son regret en apprenant la nouvelle et l’installation de Mgr Giovanni Peng Weizhao, évêque de Yujiang, comme auxiliaire du diocèse de Jiangxi, non reconnue par le Saint-Siège et sans que ce dernier ait été consulté, ni informé. En ce qui concerne Shanghai, en revanche, le Saint-Siège a été informé de la mesure adoptée par les autorités chinoises de transférer Mgr Giuseppe Shen Bin, évêque de Haimen, mais, une fois de plus, il n’a pas été consulté. La décision de prendre du temps avant de commenter publiquement ce cas doit être attribuée à la nécessité d’évaluer attentivement tant la situation pastorale du diocèse de Shanghai, qui est reconnu par le Saint-Siège, et qui était sans évêque depuis trop long-temps, tant l’opportunité de transférer Mgr Shen Bin, un pasteur apprécié.

Les deux transferts ont été réalisés sans l’implication du Saint-Siège. Ce modus procedendi semble ne pas tenir -compte de l’esprit de dialogue et de collaboration qui s’est instauré entre la partie vaticane et la partie chinoise au cours des années et qui a trouvé un point de référence dans l’Accord. Le Saint-Père François a néanmoins décidé de rectifier l’irrégularité canonique qui s’était créée pour le plus grand bien du diocèse et l’exercice fructueux du ministère pastoral de l’évêque.

L’intention du Saint-Père est fondamentalement pastorale et permettra à Mgr Shen Bin d’œuvrer avec une plus grande sérénité pour promouvoir l’évangélisation et favoriser la communion ecclésiale. Dans le même temps, nous espérons qu’il puisse favoriser, en accord avec les autorités, une solution juste et sage d’autres questions en suspens depuis longtemps dans le diocèse, comme — par exemple — la position des deux évêques auxiliaires, S.Exc. Mgr Taddeo Ma Daqin, toujours empêché, et S.Exc. Mgr Giuseppe Xing Wenzhi, retiré.

En respectant la confidentialité du texte, pouvez-vous nous dire ce que prévoit l’Accord provisoire à ce sujet ou, tout au moins, si de tels cas sont prévus?

Comme on le sait, l’Accord provisoire sur la nomination des évêques en Chine a été stipulé entre les parties le 22 septembre 2018 pour une validité de deux ans, et a ensuite été renouvelé deux fois, la première en 2020, et la deuxième en 2022. Le texte est confidentiel parce qu’il n’a pas encore été approuvé de façon définitive. Il est fondé sur le principe du caractère consensuel des décisions qui concernent les évêques. Dans le cas où se présentent des situations qui apparaissent nouvelles et imprévues, il s’agira de tenter de les résoudre, avec bonne foi et clairvoyance, en relisant mieux ce qui a été écrit et en s’inspirant des principes qui en ont guidé la rédaction. Nous nous efforçons donc d’éclaircir ce point, dans le contexte d’un dialogue ouvert et d’une confrontation respectueuse avec la partie chinoise. En -comptant sur la sagesse et la bonne volonté de tous, nous espérons parvenir à des conclusions positives, utiles pour poursuivre le chemin, en évitant toute difficulté.

Pensez-vous qu’en Chine, les transferts unilatéraux des évêques se répéteront? Et pourquoi est-il important que les nominations des évêques en Chine soient faites de façon consensuelle?

Je voudrais dire avant tout que les transferts d’évêques d’un diocèse à l’autre ne sont pas une anomalie canonique, mais des mesures qui entrent, pour ainsi dire, dans la «physiologie» du gouvernement de l’Eglise dans le monde entier, quand, bien évidemment, les nécessités pastorales l’exigent et, en ultime analyse, le bien des âmes. En Chine aussi, s’il n’existe pas dans le diocèse vacant un candidat adapté, il est utile de le chercher dans un rayon plus large. Dans ce sens, le Saint-Siège n’est pas contraire aux transferts d’évêques en Chine. Le problème se poserait dans le cas où la procédure ne se ferait pas de manière consensuelle. Selon moi, l’application correcte de l’Accord permet d’éviter ces difficultés. Il est donc important, et je dirais même indispensable, que toutes les nominations épiscopales en Chine, y compris les trans-ferts, se fassent de façon consen-suelle, et comme convenu, en maintenant l’esprit de dialogue entre les parties. Ensemble, nous devons éviter les situations non harmonieuses qui créent des désaccords et des malentendus, également au sein des communautés catholiques et la bonne application de l’Accord est l’un des moyens pour le faire, uni à un dialogue sincère.

Quels autres thèmes serait-il important que les deux parties traitent ensemble, et pourquoi?

Il existe de nombreux thèmes qui doivent être traités avec urgence, car il existe de nombreuses situations complexes et questions ouvertes dans l’Eglise qui est en Chine. J’en évoquerai uniquement trois: la conférence épiscopale; la communication des évêques chinois avec le Pape; et l’évangélisation. Avant tout, le Saint-Siège désire voir croître la responsabilité des évêques dans la direction de l’Eglise en Chine, et pour cela, il est nécessaire que l’on puisse reconnaître au plus tôt une conférence épiscopale dotée de statuts conformes à sa nature ecclésiale et à sa mission pastorale. Dans ce contexte, il faut absolument établir une communication régulière des évêques chinois avec l’Evêque de Rome, indispensable pour une communion effective, sachant que tout cela relève de la structure et de la doctrine de l’Eglise catholique, que les autorités chinoises ont toujours dit ne pas vouloir altérer. En effet, il faut dire que les trop nombreuses suspicions ralentissent et entravent l’œuvre d’évangélisation: les catholiques chinois, même ceux définis comme «clandestins», méritent la confiance car ils veulent sincèrement être des citoyens loyaux, respectés dans leur conscience et dans leur foi. Afin que l’Evangile puisse se diffuser dans sa plénitude de grâce et d’amour, en apportant de bons fruits en Chine et pour la Chine, et afin que Jésus Christ puisse «devenir chinois avec les Chinois», il est nécessaire de surmonter la méfiance envers le catholicisme, qui n’est pas une religion à considérer comme étrangère — et encore moins contraire — à la culture de ce grand peuple. Ce sera une grande joie pour nous quand cela deviendra réalité et je confesse que je prie personnellement chaque jour le Seigneur à cette intention.

Comment voyez-vous le dialogue entre le Saint-Siège et les autorités de la République populaire de Chine?

Je voudrais avant tout préciser que, si j’ai accepté de donner cette interview, c’est parce que les fidèles catholiques, et pas seulement ceux qui se trouvent en Chine, ont le droit d’être correctement informés. En effet, de nombreuses demandes à ce sujet me sont parvenues de la part de diverses communautés ecclésiales et de personnes sincèrement intéressées par ce sujet. J’espère donc que mes paroles seront d’une quelque utilité dans ce sens et contribueront à clarifier et à aplanir les difficultés. Je suis conscient que les obstacles dressés sur le chemin minent la confiance et soustraient de l’énergie positive. Néanmoins, les raisons de dialoguer me semblent encore plus fortes. En effet, le dialogue entre la partie vaticane et la partie chinoise reste ouvert et je crois qu’il s’agit d’un chemin en quelque sorte obligatoire. Qu’il y ait des problèmes est inévitable, mais si ce dialogue croît dans la vérité et le respect réciproque, il pourrait être fécond pour l’Eglise et la société chinoise. Afin de le rendre plus fluide et fructueux, il me semble que l’ouverture d’un bureau stable de liaison du Saint-Siège en Chine serait extrêmement utile. Je me permets d’ajouter qu’à mon avis, cette présence non seulement favoriserait le dialogue avec les autorités civiles, mais contribuerait également à la pleine réconciliation au sein de l’Eglise chinoise et à son chemin vers une normalité désirée.

Le service, inspiré par l’Evangile et non pas par des intérêts économiques et politiques, que l’Eglise, précisément en tant que catholique, rend aux peuples et à leur progrès humain, spirituel et matériel, est sous les yeux de tous les honnêtes observateurs. Comme le soulignait déjà le Pape Benoît xv dans la Lettre Maximum illud, du 30 novembre 1919: «L’Eglise de Dieu est universelle et nullement étrangère à aucun peuple ni nation». Je désire moi aussi souligner que l’Eglise catholique a encore beaucoup à donner à la Chine, et que la Chine a beaucoup à donner à l’Eglise catholique.

Pour conclure, nous avons signé un Accord qui peut être qualifié d’historique, mais qui doit cependant être appliqué dans son intégralité et de la manière la plus correcte possible. Aujourd’hui, au moment crucial de son application, nous avons besoin de la bonne volonté, du consensus et de la collaboration, qui nous ont permis de stipuler cet accord clairvoyant! Le Saint-Siège est est déterminé à apporter sa contribution afin que le chemin se poursuive.