· Cité du Vatican ·

FEMMES EGLISE MONDE

Témoignages
L’invitation de deux curés à une historienne de l'Eglise

Quand j'ai prêché

 Quando  ho predicato  DCM-007
01 juillet 2023

«Elle n'est pas là l'autre aujourd'hui?». La question d'une femme âgée posée à l'un des prêtres de sa paroisse est la plus adaptée pour commencer ces lignes, qui sont à la fois un récit et une réflexion. Cette femme a en effet démonté avec un grand naturel les fleuves de paroles prononcés et les multiples volumes  écrits  pour attribuer au peuple chrétien le refus des rôles féminins faisant autorité, tout d'abord les rôles liturgiques, en soupirant:  «Les gens de chez nous ne veulent pas». Je ne commenterai pas ce pathétique «les gens de chez nous», pour expliquer plutôt cet épisode. Le fait se déroule lors d'une fête de l'Immaculée, d'il y a désormais de nombreuses années, dans une paroisse urbaine au cœur de la Vénétie, où je me trouvais à l'occasion d'un événement. Les deux prêtres – vraiment deux braves personnes – me demandent, aidés également en raison de l'aspect marial de la liturgie, de prononcer l'homélie d'une Messe très fréquentée. J'ai à vrai dire un peu résisté, en partie par une paresse invétérée, en partie parce que je préférais réserver à autre choses mes espaces d'intervention. Il ne s'est pas agi d'une action transgressive, car, comme c'est l'usage, le célébrant a introduit mes paroles et j'ai ensuite poursuivi avec la véritable homélie, je pense sans infamie et sans louange comme cela arrive souvent à celui qui prêche. Deux jours après c'était dimanche et je n'étais plus dans cette église, mais la paroissienne qui n'avait rien trouvé d'étrange à ce fait, demanda précisément où j'étais et pourquoi je n'avais pas continué ce service de la Parole

J'aime rappeler ce fait parce qu'il est très simple et extraordinairement éloquent, précisément dans sa forme, si on peut oser un jeu de mot, complètement ordinaire.  L'expérience de Regalbuto (Enna) est en revanche très différente, pas seulement géographiquement, en tant que située au centre idéal   de la Sicile (à quelques kilomètres près), mais également en raison de la forme publique et structurée de l'expérience des prédications au peuple sur les Sept paroles du Christ sur la Croix, qui dans cette ville fait participer aussi bien des hommes que  des femmes, selon le désir explicite de l'Archiprêtre. La tradition est antique: les paroles prononcées par Jésus dans les quatre récits évangéliques ont été rassemblées, prêchées et souvent également mises en musique, donnant origine à des compositions spécifiques. Regalbuto a conservé cet usage et chaque Vendredi Saint le village voit l'église, les rues, la place s'animer, donnant lieu à un rite puissant, bien plus qu'à une sainte représentation chorégraphique.  C'est plutôt une expérience de célébration, même si ses symboles ne sont pas uniquement ceux austères de la liturgie, mais s'élargissent jusqu'à comprendre des statues du Christ et de sa Mère, avec lesquelles les homme et les femmes des Confraternités respectives permettent aux participants de revivre sous une forme émotivement intense la Passion jusqu'au seuil de la Résurrection.

C'est dans ce cadre que s'inscrit également la proclamation dans l'église des sept paroles, précédées par une brève introduction et suivies par une prédication spécifique, qui s'étend au moment de la déposition du Christ de la Croix. Tous suivent le cortège dans les rues de la ville, auquel s'unit la statue de Marie, jusqu'à ce qu'un sépulcre accueille le Christ, pleuré par Marie et par tous. On revient ensuite sur le parvis et la dernière prédication, qui est un prélude à Pâques, est alors adressée à toutes les personnes qui sont sur la place. De nombreuses collègues se sont succédé dans cette prédication (cette année 2023, ce fut par exemple Silvia Zanconato). C'est ainsi qu'en  2017, j'ai à mon tour introduit le parcours: «Dans cette église on vient ici depuis des temps immémorables, avec le souvenir de ceux qui nous ont précédés et avec l'espérance de transmettre tout cela à nos fils et à nos filles et à quiconque arrivera dans cette belle terre. On vient ici depuis des temps immémorables, je ne dis pas seulement dans cette communauté ecclésiale,  mais dans ce village tout entier: certains vont à l'église tous les jours, certains quelquefois, d'autres seulement en cette occasion – c'est votre maison, vous êtes les bienvenus –   la passion du Fils de l'homme a de la place pour tous, a une parole et du silence pour tous. Elle est spacieuse, c'est le sein du monde: aujourd'hui la fête et la douleur de tous sont recueillies dans une passion, dans une vie qui se remet, en sept mots et dans les espaces qui les relient».

Je porte encore en moi cet écho, les visages, les pas, les paroles. L'espace intérieur recueilli, celui étroit et animé des rues, celui très vaste de la place. Mes paroles au service de la Parole, en cherchant à la faire devenir pain de sens pour chacun, en s'élevant pour rejoindre chacun, mais en modulant les thèmes et les sons pour lui donner corps sans l'étouffer. La forme ordinaire de la première expérience rappelée et celle extraordinaire de Regalbuto ont assurément beaucoup en commun et quiconque prêche – que ce soit un prêtre, un pasteur ou une pasteure, une laïque ou un laïc – en reconnaîtra les caractéristiques. En marge, il y a encore toutefois quelque chose à observer:  on a beaucoup discuté au cours des siècles de la «prédication des laïcs», et aujourd'hui encore on en parle dans l'Eglise catholique, mais disons avec un peu de réticence, en oscillant entre différents fantasmes qui vont précisément  «des gens de chez nous», à de présumées dispositions dogmatiques, en mettant une muselière (cfr. Deutéronome 25, 4 //1 Corinthiens 9, 9) à la parole laïque et donc féminine. Dans les cas que j'ai rappelés, il est juste de le dire, le partage du don et de la tâche de la prédication a été voulue, bien avant que d'être “permise”, par certains prêtres, des hommes qui n'avaient pas de doutes. La réforme est déjà en cours. 

Cristina Simonelli
Théologienne, professeure d'Histoire de l'Eglise antique, Faculté théologique de l'Italie septentrionale, Milan