L’art: la nouveauté, le réveil et la lumière dans l’obscurité

Le discours que le Pape François a adressé aux artistes rassemblés autour de lui dans la matinée du vendredi 23 juin dans la chapelle Sixtine est une fois de plus l’un de ces discours qui, semblable à une mine, contiennent de nombreux trésors et pierres précieuses. Un texte à lire et relire, à méditer. Aujourd’hui encore, «à chaud», on peut commencer à réfléchir sur certains des nombreux points de réflexions. L’association, par exemple, entre art et nouveauté. L’artiste possède un regard aigu, comme celui de l’enfant, «qui saisit la réalité», dit le Pape, et «qui évolue avant tout dans l'espace de l'invention, de la nouveauté, de la création, de mettre au monde quelque chose qui n'a jamais été vu auparavant. En faisant cela, il contredit l'idée que l'homme est un être destiné à la mort. Certes, l'homme doit faire face à sa mortalité, c'est vrai, mais il n'est pas un être destiné à la mort, mais à la vie».

Sans l’expliciter, le Pape cite la pensée du philosophe allemand Martin Heidegger, figure géniale, inquiétante et centrale du vingtième siècle, qui dans ses essais, a développé ce thème de l’existence comme «être-pour-la-mort». La présence de l’art et des artistes serait, selon le Pape, une négation de cette idée et, immédiatement après, pour confirmer cela, il cite précisément Hannah Arendt, qui fut l’élève, puis l’amante d’Heidegger: «Une grande penseuse comme Hannah Arendt affirme que la caractéristique de l'être humain est de vivre pour apporter de la nouveauté dans le monde».

Le Pape introduit ici le thème de la paternité. Il y a plus d’un siècle, l’écrivain anglais Chesterton signalait que «la paternité artistique est aussi saine que la paternité physique» (et donc que «les critiques sont beaucoup plus fous que les poètes»), mais le Pape veut parler ici moins de santé que de la nouveauté: «C'est la dimension de la fécondité de l'homme. Apporter de la nouveauté. Même dans la fécondité naturelle, chaque enfant est une nouveauté. Ouvrir et apporter de la nouveauté. Vous artistes réalisez cela en mettant en valeur votre originalité. Dans vos œuvres, vous vous mettez toujours vous-mêmes, en tant qu'êtres inimitables que nous sommes tous, mais avec l'intention de créer encore plus. Lorsque le talent vous assiste, vous faites émerger l'inédit, vous enrichissez le monde d'une réalité nouvelle». Toujours Chesterton expliquait que «le succès de l’œuvre d’art consiste à dire, de tout objet (arbre, nuage, ou caractère humain): “Je l’ai vu des milliers de fois mais je ne l’ai jamais vu sous cette lumière jusqu’à présent”. Or, pour faire cela, une certaine variation de style est naturelle, et même nécessaire. Les artistes varient selon la façon dont ils accomplissent leur assaut, dans la mesure où il est de leur compétence d’accomplir une attaque surprise. Ils doivent donner une nouvelle lumière aux choses».

Cette «attaque surprise» qu’est l’art, explique également pourquoi c’est un élément de trouble. «L’art est fait pour troubler; la science rassure», selon la leçon de Georges Braque. Un thème cher au Pape, qui dans le discours du 23 juin également, a rappelé que: «L'une des choses qui rapprochent l'art de la foi, c'est le fait de troubler un peu. L'art et la foi ne peuvent pas laisser les choses telles quelles: ils les changent, les transforment, les convertissent, les remuent. L'art ne peut jamais être un anesthésiant; il apporte la paix, mais n'endort pas les consciences, il les tient éveillées».

Dans le monde contemporain, si «anesthésié» dans la signification d’annuler la sensibilité et donc d’être en même temps contre la douleur, mais aussi contre la beauté, les artistes deviennent des -«voyants, des sentinelles, des consciences critique», voilà pourquoi le Pape sent que les artistes sont ses alliées, alliés avec lui et avec Dieu. Tous les trois ont une passion, une grande passion en commun: «Je sens que vous êtes des alliés pour de nombreuses choses qui me tiennent à cœur, comme la défense de la vie humaine, la justice sociale, les derniers, le soin de notre maison commune, le sentiment que nous sommes tous frères. L'humanité de l'humanité me tient à cœur, la dimension humaine de l'humanité. Car c'est aussi la grande passion de Dieu». Dieu est l’artiste premier et suprême, qui vit sa créativité avec passion. Ce qui inclut également la passion de son unique Fils, qui donne la vie «pour nous hommes et notre salut». Ainsi, chacun à sa façon, les artistes   aussi vivent «passionnément» leur vocation artistique et «la créativité de l'artiste semble ainsi participer à la passion génératrice de Dieu, cette passion avec laquelle Dieu a créé. Vous êtes les alliés du rêve de Dieu!». Le rêve de Dieu, le mystère qui entoure la création, passe par la passion du Fils, par sa kénose, qui le conduit à vivre toutes les expériences humaines, même la mort, et à lui donner un sens. Ainsi, les artistes vivent avec intensité, sur leur peau, le mystère de l’existence humaine et réussissent à en faire sentir les goûts, à en faire voir les couleurs, les lumières et aussi les ombres.

«Souvent, vous artistes», a affirmé le Pape, «essayez aussi de sonder les enfers de la condition humaine, les abysses, les parties sombres. Nous ne sommes pas seulement lumière, et vous nous le rappelez; mais il est nécessaire de projeter la lumière de l'espérance dans les ténèbres de l'humain, de l'individualisme et de l'indifférence. Aidez-nous à entrevoir la lumière, la beauté qui sauve».

Tel est le devoir, très humain et très élevé, des artistes, que le Pape a voulu rappeler aux plus de deux cents représentants de tous les arts rassemblés vendredi devant le Jugement dernier de Michel-Ange. 

Andrea Monda