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Un existentialiste «ante litteram»

 Un existentialiste «ante litteram»   FRA-025
22 juin 2023

«C’était un petit génie. Mais il ne vivait pas en dehors de la réalité, ce n'était pas un “intello”, comme on dirait aujourd'hui. C'était un garçon inquiet, très conscient des besoins matériels de la société dans laquelle il vivait», a déclaré Christiane Murray, directrice-adjointe de la salle de presse du Saint-Siège, en introduisant, le 19 juin, la conférence au cours de laquelle le cardinal José Tolentino de Mendonça, préfet du dicastère pour la culture et l'éducation, et François-Xavier Adam, directeur de l'Institut Français - Centre Saint-Louis-de-France, ont présenté la lettre apostolique Sublimitas et miseria hominis. Des œuvres de Pascal appartenant à la collection de la Bibliothèque vaticane ont été exposées pour l'occasion.

Croyants et non-croyants ont été fascinés par sa figure, a dit Tolentino de Mendonça. «Charles Péguy a dit de lui qu’il était le plus grand génie que la terre ait jamais porté»; Fried-rich Nietzsche l'a considéré comme l'homme le plus profond des temps modernes. L'influence de Pascal fut incontestablement immense: de Giacomo Leopardi à Arthur Schopenhauer, d'Alessandro Manzoni à Martin Heidegger, rares sont les pen-seurs et philosophes du xvii e siècle qui n'ont pas été confrontés à son anthropologie».

Le cardinal a proposé une clé de lecture qui met en valeur des aspects moins connus du philosophe, comme sa charité envers les pauvres et les malades. Ce comportement, qu'il n'a pas rendu public, a certainement été influencé par sa propre expérience de la douleur et de la maladie», a ajouté le prélat, «il suffit de penser à sa prière “pour le bon usage des maladies” en 1659, mais c'était aussi la recherche, concrète, d'une manière d'exprimer sa gratitude à l’égard la Grâce divine qui était entrée sans mérite dans ce qu'il considérait être sa petitesse humaine. Cela montre que Pascal n'a jamais séparé la foi en Dieu des œuvres concrètes en faveur de ses frères et sœurs».

La philosophie, même dans ses expressions les plus admirables, était utile, selon lui, mais incapable de fournir une réponse adéquate au drame de l'homme. Le stoïcisme tendait à l'orgueil, le scepticisme au désespoir, le dogmatisme à l'isolement, et même les expressions les plus nobles de la philosophie conduisaient, dans le meilleur des cas, à un déisme raisonnable mais vague. Il était convaincu qu'on ne pouvait jamais faire abstraction de l'humain, et du drame de l'humain: «Rien n'est plus important pour l'homme que son état [de finitude]: rien n'est plus redoutable pour lui que l'éternité». Rien, en effet, n'est plus dangereux pour Pascal que la pensée désincarnée: «Celui qui veut faire l'ange finit par faire la bête».

«En ce sens, Pascal était un véritable réaliste et un existentialiste ante litteram, capable d'affronter les contradictions de l'être humain», a ajouté le cardinal. «C'est cette honnêteté qui fait de Pascal, aujourd'hui encore, un modèle de référence pour affronter les complexités de l'homme moderne, tiraillé entre les vérités scientifiques et théologiques, qui trouve dans l'essence de sa propre nature, éclairée par la foi, cette certitude qu'il défendait ardemment dans ses Pensées: “Tu ne me chercherais pas si tu ne m'avais pas déjà trouvé”».

«Avant La nuit de feu, a dit le préfet du dicastère pour la culture et l'éducation, Pascal croyait déjà en Dieu, mais cette nuit-là, il a reconnu dans le péché le symbole de l'absence de désir de Dieu. De cette expérience sont nés ses concepts d'orgueil et d'humilité et, surtout, la catégorie de “l'ordre du cœur” qui lui est particulièrement chère. Nous avons un témoignage personnel de la nuit du 23 novembre 1654, dans une lettre appelée mémorial, retrouvée après sa mort, cousue à l'intérieur de son manteau. Cette expérience a transformé sa vie et l'a conduit à se consacrer à la prière avec une confiance renouvelée, en faisant de sa foi chrétienne le centre absolu de son existence et en consacrant tous ses efforts à la réflexion philosophique et théologique sur l'homme et sur Dieu».

Même pour les non-croyants, Blaise Pascal reste une référence. Dans le monde scientifique, il est surtout connu pour ses contributions aux mathématiques: tant dans le domaine de la géométrie projective, cette branche de la géométrie qui a permis de passer de la géométrie analytique de Descartes à la géométrie algébrique du xx e siècle, que dans celui du calcul des probabilités, qu'il a développé en collaboration avec Pierre Fermat, jetant les bases de la théorie des probabilités à partir du calcul aléatoire. Pascal est également connu pour ses contributions dans le domaine des sciences appliquées et théoriques. Il a construit la première calculatrice mécanique — la Pascaline, ancêtre des calculatrices modernes —, conçu le premier système de transport public, inventé la seringue hydraulique, clarifié le concept de vide et de pression atmosphérique en s'inspirant des travaux d'Evangelista Torricelli, et influencé l'établissement de la méthode scientifique moderne.

Afin de célébrer le 400e anniversaire de la naissance du philosophe, scientifique et mystique (précisement le 19 juin), l'Institut Français-Centre Saint-Louis-de-France avait organisé une table ronde intitulée: «La grandeur de l'âme humaine», animée par Loup Besmond de Senneville, vaticaniste au journal La Croix. Parmi les intervenants, Jean de Saint-Cheron, de l'Institut catholique de Paris, Benedetta Papasogli, de la Libera Università Maria Santissima Assunta ( Lumsa ), Laurence Plazenet, directrice du Centre international Blaise Pascal de Clermont-Ferrand, et Tony Gheereart, professeur à l'université de Rouen. (silvia guidi)

Silvia Guidi