«Il est nécessaire de travailler pour que cet immense bien que Dieu nous donne, ne se transforme pas en une arme — par exemple, en limitant l'arrivée de nourriture aux populations en conflit —; ou qu'il ne devienne pas un mécanisme de spéculation». C'est ce qu'a déclaré le Pape François aux membres de l'Asociación Agraria-Jóvenes Agricultores d'Espagne, reçus en audience dans la matinée du samedi 13 mai, dans la Bibliothèque privée.
Chers jeunes,
Je vous remercie de l'intérêt que vous avez porté à cette visite, de l'enthousiasme que vous manifestez pour votre travail à la campagne, pour le bétail et pour le service que vous voulez rendre à la société.
Comme dans tant d'aspects de la vie, l'écologisme n'est pas principalement construit par les rapports savants des spécialistes, ni par les nouvelles et les projets éducatifs qui atteignent le grand public par le biais des médias sociaux. Ceux-ci peuvent être nécessaires et bénéfiques, s'ils sont faits avec conscience, mais ils ne sont pas la priorité. Vous savez que l'Argentine est un pays principalement d'élevage et, bien que je sois de la ville, j'ai eu l'occasion de connaître cette réalité de la campagne. Cela m'a permis de réaliser que les premiers écologistes d'une région, d'un pays, d'un continent, ce sont vous, ceux qui sont sur le terrain, ceux qui sont «dedans»: les gens qui travaillent avec les animaux, avec les plantes, qui vivent au jour le jour et connaissent leurs problèmes et leurs succès. Je me souviens une fois, à la Faculté de théologie, qu'un des étudiants, né en ville, ayant vécu en ville, arrive et dit: «Une vache est en train de mourir», car derrière la faculté nous avions un champ et il y avait du bétail. «Une vache est en train de mourir et le responsable n'est pas là». C'était un samedi après-midi. Je suis allé voir la vache, et la pauvre vache était là en train d'accoucher, et celui qui était de la ville, qui avait mangé du béton depuis son enfance, n'avait aucune idée de comment distinguer une vache mourante d'une vache en train d'accoucher. J'ai alors réalisé qu'il y a une science qui ne s'acquiert qu'en vivant et par l'expérience.
Vous ne répétez pas un slogan appris, vous vivez en regardant le ciel et, de votre réveil à votre coucher, vous reconnaissez dans les gazouillis, les mugissements ou les hennissements la joie ou la peur, le désir ou la satisfaction de la nature qui vous entoure. C'est un honneur et, évidemment, une grande responsabilité.
Si vous y pensez bien, la vocation à laquelle Dieu vous a appelés, fait de vous des témoins de l'écologie intégrale dont le monde a besoin aujourd'hui. Une vocation primordiale car elle s'enracine dans les paroles de Dieu dans la Genèse quand il a appelé l'humanité à collaborer à l'œuvre de la création par son travail (cf. Gn 1, 28-31). Une vocation multidisciplinaire, qui conjugue le contact direct avec la terre, son soin et sa culture, et le service qu'elle rend à la société. Que vous demande donc Dieu dans ce travail, dans cette œuvre? Il vous demande de penser à ce champ comme à un don, comme quelque chose qui vous a été donné et que vous laisserez à vos enfants en héritage; de penser à la production comme un don que le Seigneur, par votre intermédiaire, et par le travail de tous, envoie à son peuple pour apaiser sa faim et sa soif. Une faim qui n'est pas seulement de pain, mais aussi de Dieu, mais qui, pour l'apaiser, n'a pas refusé de devenir nourriture, de devenir chair, atteignant ainsi le cœur de l'homme (cf. Mt 4, 3-4; Jn 6, 55-57).
De cette valeur fondamentale, pour laquelle je vous exprime ma gratitude, naît la responsabilité qui vous est confiée, à vous en premier lieu, mais aussi à tous ceux qui, d'une manière ou d'une autre, participent à la production, à la transformation et à la distribution alimentaire. Il est nécessaire de travailler pour que cet immense bien que Dieu nous donne, ne se transforme pas en une arme — par exemple, en limitant l'arrivée de nourriture aux populations en conflit —; ou qu'il ne devienne pas un mécanisme de spéculation, en manipulant le prix et la commercialisation des produits dans le seul but d'obtenir un plus grand bénéfice. C'est cela que nous devons dénoncer, ce qui doit nous faire mal au cœur, les animaux dont vous prenez soin avec tant de dévouement ne le méritent pas, les personnes pour qui vous travaillez avec enthousiasme ne le méritent pas, Dieu ne le mérite pas. Cela vous offense et cela vous offenserait.
Mais ne vous découragez pas, toute vocation comporte la croix, on assume l'effort de travailler dur, de ne pas avoir de jours fériés, de ne pas faire grève avec les animaux. Plus difficile encore est d'accepter l'incompréhension de ceux qui ne valorisent pas quelque chose d'aussi essentiel à la vie que la production de nourriture, ou qui préfèrent chercher des coupables au lieu de solutions. Je confie à la Sainte Vierge le travail que vous faites, pour que vous sentiez toujours Jésus proche, qui sur la croix a offert son sang, est devenu nourriture, est devenu vie pour nous la donner en abondance. Allez de l'avant et soyez des poètes de la terre. Merci.