RegardsDifférents
Je m'appelle Teresa, on m'a dit que tu voulais me parler et j'ai accepté. Je vais te dire qui je suis et pourquoi je suis ici. Je suis quelqu'un qui a été trompé, qui est en prison depuis quelques années pour cela et qui y restera encore deux ans.
Une femme est venue avant toi, d'une association, et m'a dit que nous sommes environ 2400 femmes en prison : nombreuses, très nombreuses, moins que les hommes. Seulement 4 % des détenus, comme si ce chiffre pouvait me consoler. Elle voulait dire que nous sommes de toute façon moins délinquantes et que cela nous aide à penser que nous pouvons nous en sortir. Mais je fais partie de ces 4 %. Et il y avait aussi Amira... on ne t'en a pas parlé ? Ici, on cache les mauvaises choses, même si au bout du compte nous le savons toutes. Amira n'était pas mon amie, on n'a pas d'amies en prison, et à cause de la langue, on ne réussissait pas à se parler. C'était une immigrée d'une trentaine d'années. Mais je l'avais connue et elle m'avait dit qu'elle n'allait pas bien. Elle se sentait faible, elle voulait une visite médicale, mais même cela n'est pas facile ici - eh bien, ce n'est pas facile non plus à l'extérieur. Nous pensons qu'ils ont mis trop de temps à faire des analyses, trop de temps pour lui dire qu'elle avait un cancer. Amira est morte. Le problème de la santé est grave, il faudrait plus de contrôles, même pour les maladies spécifiques aux femmes. Mais nous, les femmes détenues, - selon eux - nous sommes peu nombreuses, les sections pour femmes à l'intérieur des prisons pour hommes sont petites, donc cela n'en vaut pas la peine. Dans certaines prisons, ils disent qu'il y a trois, cinq femmes. Cela ne vaut pas la peine de dépenser de l'argent. Les hommes, en revanche, sont nombreux et ils sont mieux soignés. Pour eux, sont organisés des cours, on essaie de les intéresser au travail, en particulier à un métier qui leur servira à leur sortie. Dans la prison, on nous utilise pour le ménage ou comme aide-cuisinière, et la formation pour eux consiste à nous faire faire du crochet, du tricot, un cours d'esthétique, tout au plus. Qu'en faisons-nous quand nous sortons ? Il y a des étrangers comme Amira qui auraient besoin d'apprendre à lire et à écrire, mais parfois on ne peut même pas former des classes parce qu'il n'y a pas le nombre minimum.
Mais tu veux savoir pourquoi je suis ici... Quand je parle de moi, je sens la colère monter, je suis remplie de colère. Je me dispute avec tout le monde. Tu as pris un pris un risque toi aussi en me demandant si j'étais italienne. Que pensais-tu trouver ? Une noire ? Une Roumaine ? Nous sommes beaucoup d'Italiennes ici.
Je suis née à Naples et j'ai été une enfant heureuse. Mon père tenait un étal de légumes au marché et vendait parfois des cigarettes de contrebande, ma mère l'aidait, je ne manquais de rien. On me disait : « Toi, Teresa, tu auras une autre vie ». Et il en a été ainsi jusqu'à mes dix-huit ans. C'est alors que je l'ai rencontré, Bruno, et que j'ai commencé à me lier à lui. Je l'aimais bien parce qu'il allait vite sur sa mobylette dans les rues de Naples et moi assise derrière je me tenais bien à lui. Et puis il m'emmenait à la mer et les bateaux arrivaient... Il prenait des paquets, on les mettait dans le coffre du scooter et on rentrait à la maison, heureux. Il me disait qu'il était livreur pour un monsieur qui le payait bien. Je le vois me regarder...ingénue, crétine, oui, j’y ai cru.
Il m'a demandé si je pouvais garder certains de ces paquets à la maison ; il ne m'a pas dit ce qu'ils contenaient, mais j'ai compris. Mais qu'est-ce que cela pouvait me faire ? J'étais heureuse avec lui, nous étions désormais fiancés. Je n'attendais rien, mais un jour, en lui rendant un paquet que j'avais gardé dans l'armoire pendant plus d'une semaine, il m'a donné de l'argent. Ça a commencé comme ça... et ça a duré deux ans. J'étais heureuse, je gagnais bien et tout simplement parce que je gardais quelques colis à la maison. Une fois, il m'a donné un sac rempli d'argent. Je n'ai rien dit non plus.
Il en a été ainsi jusqu'à ce que les carabiniers arrivent et découvrent tout. Ils ne croyaient pas que je ne savais rien. Que je prenais ces paquets parce que Bruno me les donnait. Maintenant, nous sommes tous les deux en prison. Le même nombre d’années, tous les deux accusés de vol et de trafic de stupéfiants.
J'ai de la chance, me dit-on, car après des mois passés dans une aile de prison pour hommes, je suis sur le point d'être transférée dans une prison pour femmes, l'une des quatre qui existent actuellement : Trani, Pozzuoli, Rome-Rebibbia, Venise-Giudecca.
Dans une prison pour femmes, ils doivent s'occuper un peu de nous, les femmes. C'est ce que nous ont dit les travailleurs sociaux qui viennent parfois. Parce que les femmes, même en prison, ont quelques besoins différents. Un bidet, par exemple. Et des contrôles de santé spécifiques. Et puis là, s'il y a des travaux internes ou externes à faire, ils appellent l'une d'entre nous. Dans une prison mixte, on privilégie les hommes. Même une religieuse vient ici, et ceux qui croient en Dieu disent que cela leur fait du bien. Je ne suis pas athée, mais je ne peux pas non plus dire que je crois. J'ai fait baptême-communion-confirmation comme tout le monde, maintenant je n'ai plus la foi. Amira l’avait : elle n'a pas dit de quelle religion elle était, mais elle priait et moi, à part les sœurs, je n'ai jamais vu personne. On dit qu'en prison, s'il y a une liberté, c'est la liberté religieuse, mais...
Sais-tu qu’elle est ma seule chance ? Que je n'ai pas d'enfants. Bruno disait que nous nous marierions et que nous en aurions au moins deux : un garçon et une fille. Nous n'avons pas eu le temps et heureusement, sinon cet enfant aurait été emprisonné avec moi. Les enfants en prison... Quand Carmela est arrivée ici, elle en avait deux, d’un et trois ans. Oui, je sais, on dit qu'il y a peu d'enfants en prison, ici en Italie il y en a environ 25, mais pour moi c'est encore trop. Ces deux-là... Je m’en souviens encore. Ils ne voulaient pas qu'on s'approche d'eux. Ils étaient silencieux, les yeux dans le vide. Toujours attachés à leur mère. Et je me souviens qu'elle disait : mieux vaut être en prison avec moi que dehors sans personne. Bon choix. Aujourd'hui, apparemment, ils y ont réfléchi. Pour les mères emprisonnées, il existe des prisons différentes, sans gardiens, sans cellules. Pour moi, c'est toujours la prison.
On me dit qu'il faut le supporter parce que deux ans passent vite, que je suis jeune et que je peux reconstruire ma vie... Peut-être, mais je me dis souvent que ma mère a raison. Quand elle vient me voir, elle pleure et dit que je suis fichue maintenant. Qui voudra épouser une femme qui a été en prison ? Qui voudra avoir des enfants d’une délinquante ? Mes compagnes ici me disent la même chose : quand tu sors, tu ne peux que continuer à faire ce que tu as fait. Pour un homme, disent-ils, c'est différent : s'il purge sa peine et sort, il peut s'en sortir... Mais toi... Personne ne croira que tu aies changé. Que tu peux être une bonne mère et une bonne épouse. Tu es marquée. Bruno – je l'ai appris plus tard – était marié. Je suis donc ici parce que j’ai fait confiance à quelqu'un qui me disait qu'il m'aimait. Vous comprenez pourquoi je suis pleine de rage ?
Tout me met en colère, je déteste aussi tous ceux qui sont dans ma condition. Ici, tout le monde se réjouit des malheurs des autres. Sais-tu ce que m'a dit quelqu’un qui venait à peine d'entrer et que je ne connaissais même pas ? : « Qui s’est faite avoir une fois se fera avoir encore ». J’ai vu rouge... Je l'ai jetée par terre, heureusement qu’on m’a arrêtée. Sinon, j'aurais perdu la seule chose qui me donne quelques bons moments. Ils m'ont mis à la cuisine pour aider, et j'ai appris : on dit que je fais le minestrone mieux que personne. Bien sûr, j'ai appris à bien connaître les légumes qui se trouvaient sur l’étal de mon père. Travailler me fait du bien, la colère s'apaise, le goût du minestrone me rend heureuse... Si j'apprends à cuisiner, peut-être qu'en sortant je trouverai un travail... Un mari, des enfants ? Je ne sais pas, pour l’instant j'ai peur.
Ritanna Armeni