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FEMMES EGLISE MONDE

Témoignages
Le modèle monastique de six détenues d’une prison texane

Ora et labora
dans le couloir de la mort

 Ora et labora nel braccio della morte   DCM-005
06 mai 2023

Les disciples de Jésus dans l'Eglise primitive ont donné l'exemple de comment vivre en relation, avec un seul esprit et un seul cœur. La communauté chrétienne primitive se consacrait à suivre et à diffuser les enseignements de Jésus, et cela impliquait de vivre dans un édifice où ils priaient et vivaient en communauté - partageant tout, de la routine à la nourriture - mais aussi en relation. Ce n'était pas facile. Aujourd'hui, il est difficile de trouver ce modèle en dehors des communautés monastiques, et pourtant il prospère dans le lieu le plus inattendu, parmi six femmes vivant dans un couloir de la mort au Texas. Six femmes détenues.

Ces femmes se sont formellement engagées comme oblates des sœurs catholiques de Marie Etoile du Matin. Elles vivent selon un rythme monastique de prière personnelle, de travail, de repos et de prière communautaire. Leur travail est constitué d'activités pénitentiaires individuelles et collectives. Elles vivent dans une série de cellules de 4,3 x 1,8 mètres seulement, les unes à côté des autres, sans intimité et dans une proximité constante. Ces conditions, la confusion de la prison et le fait d'être obligées de rester ensemble 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 mettraient à l'épreuve même les personnes les plus patientes. Cependant, ces femmes relèvent ces défis en s'engageant quotidiennement à se réconcilier et à s'exprimer mutuellement leur gratitude. Elles profitent de la proximité dans laquelle elles sont confinées pour unir leurs voix dans la prière et dans des chants pleins d'émotion qui remplissent les couloirs de la prison alors qu'elles sont assises dans leurs cellules. Leur modèle de vie s'inspire de celui des moniales de Marie Etoile du Matin. Et ces religieuses, qui les visitent régulièrement et prient avec elles, refusent d'appeler ce lieu couloir de la mort, le qualifiant au contraire de « couloir de la lumière ».

Bien que les femmes ne représentent statistiquement que 7 à 10 % des 2,1 millions de personnes incarcérées aux Etats-Unis, leur incarcération a un impact considérable sur nos communautés. Les femmes sont généralement plus âgées lorsqu'elles sont incarcérées, et 60 à 80 % d'entre elles sont des mères qui contribuent encore activement à la subsistance de leur famille. C'est le cas de toutes les femmes qui se trouvent actuellement dans le couloir de la mort au Texas.

Entre 70 et 98 % des femmes incarcérées aux Etats-Unis ont été victimes d'agressions sexuelles ou de violences domestiques. Elles ont généralement subi des agressions sexuelles répétées depuis leur plus jeune âge, et nombre d'entre elles ont été victimes d'un proche. Comme ces crimes sont difficiles à prouver ou que les victimes ne sont pas crues, il n'y a souvent pas d'issue. De nombreuses femmes « s'auto-médicamentent » avec de l'alcool, des drogues ou d'autres substances afin d'endormir la douleur. Elles entrent souvent dans une spirale qui les conduit en prison.

« Comment fais-tu pour rester ici pendant vingt ans et te réveiller chaque matin avec joie ? », a demandé un gardien de prison à l'une des condamnées à mort. Sa réponse : « C'est Dieu ! ». Le caractère unique des femmes texanes dans le couloir de la mort est le fruit d'une pastorale transformatrice. Mais le chemin vers la foi a commencé par l'écoute et le reflet de l'image de Dieu en elles. Grâce aux soins pastoraux, elles ont été aimées inconditionnellement et n'ont jamais été abandonnées. Elles ont appris à devenir une communauté : prier les unes pour les autres, donner de l'espoir et du soutien, et se pardonner les unes les autres dans la vie quotidienne. Le groupe dans son ensemble croit fermement que Dieu a un plan pour chacune d'entre elles et que tout se passera selon les temps de Dieu.

Le message de l'Evangile et de nos enseignements catholiques est de pratiquer le ministère de l'accompagnement, pour offrir une écoute active, un espace sûr pour la guérison et la croissance, et un soutien face aux émotions. Cet appel à offrir une expérience d'amour inconditionnel s'applique à tous nos frères et sœurs. Le besoin de ce ministère est grand, et les ministres sont peu nombreux.

Comment l'Eglise catholique aux Etats-Unis pourrait-elle retrouver son zèle missionnaire pour diffuser l'Evangile aux marginaux, comme le Pape François nous y a invités ? Des millions de détenus attendent de découvrir le visage du Christ. Le Texas a une population carcérale très importante, comme beaucoup d'autres Etats. Le diocèse de Galveston-Houston compte à lui seul 26 prisons d'Etat, 10 prisons de comté, 1 prison fédérale, 10 établissements pour mineurs et un centre de détention pour immigrés. Certaines prisons accueillent plus de 20.000 personnes. Les évêques et les ministres du culte s'efforcent de faire célébrer une messe par mois dans ces établissements, mais il n'y a pas assez de prêtres ou de ministres du culte laïcs pour assurer la pastorale de cette énorme population.  Les 122 établissements du Bureau fédéral des prisons ne comptent que 15 aumôniers catholiques. Comme on dit, « Houston, we have a problem ». « En tant que communauté humaine, prendre soin des prisonniers fait du bien à tous, car c'est à la manière dont on traite les derniers que l'on mesure la dignité et l'espérance d'une société » (Pape François, 6 novembre 2022). En tant qu'Eglise, nous sommes appelés à marcher avec nos frères et sœurs. Nous devons veiller à ne pas juger, diaboliser ou cataloguer les personnes en tant que victimes ou coupables. L'incarcération est un parcours complexe et, pour beaucoup, elle est enracinée dans des systèmes familiaux et communautaires qui ne laissent aucun choix. En tant que catholiques, nous sommes appelés à plaider en faveur d'un changement systémique afin de prévenir et de briser les cercles d'abus et offrir d'autres options concrètes. Les catholiques américains doivent également promouvoir la dignité de toute vie en abolissant la peine de mort, en mettant fin à l'emprisonnement à vie sans possibilité de libération conditionnelle pour les mineurs et en mettant un terme à l'isolement cellulaire de longue durée. Il s'agit de pratiques inhumaines, contraires au respect de la dignité de la vie. Les prisons humilient et dépouillent ceux qui y entrent.  Les prisonniers sont constamment traités comme s'ils n'étaient pas « humains ». « Le traitement que tu reçois à l'intérieur détermine ce que tu seras lorsque tu quitteras ce système », a déclaré l'une des femmes du couloir de la mort. Nous devrions réfléchir à ce que signifie le traitement carcéral pour les 95 % de personnes qui réintègrent la société après leur détention. Comme nous l'avons vu dans le couloir de la mort au Texas, il existe des options quant à la manière dont nous voulons remodeler même la personne la plus endurcie. La pastorale patiente et compatissante des femmes du couloir de la mort au Texas a porté de bons fruits, notamment le baptême (catholique) en prison de l'une d'entre elles. C'est le résultat de décennies de prière, d'amour inconditionnel et de patience de la part de ses sœurs du couloir de la mort. Il n'y a personne qui ne puisse être racheté.

Quel message les femmes veulent-elles transmettre au monde libre ? « Jésus est le chemin, la vérité et la vie. Nous avons été distraites par les enfants, le travail et la vie et n'avons pas fait de Dieu notre priorité. Nous avons choisi de nous éloigner de Dieu. Nous ne sommes pas des monstres. Nous avons fait de mauvais choix et nous serons attentives à ce que Dieu soit à la première place dans notre vie. Nous connaissons sa voix douce et tranquille qui nous donne la paix et la joie. Nous ne sommes pas condamnées, nous sommes aimées ».

Karen Clifton
Master of Divinity, coordinatrice exécutive et fondatrice de la Catholic Prison Ministries Coalition (CPMC), Washington