Il y a un mot que le Pape François utilise avec parcimonie, parce qu’il en connaît la valeur et la préserve, dans un monde comme celui d’aujourd’hui, qui con-sume souvent les mots en en abusant et en les vidant de leur sens; un mot qui, bien qu’étant rarement prononcé, se cache, avec discrétion, à l’intérieur et au-dessous, comme une source souterraine de nombreux gestes et discours pontificaux et ce mot est humilité. Une vertu à sa façon «insaisissable», au point qu’elle n’apparaît pas dans les listes classiques, une vertu ambiguë, difficile à comprendre et facile à mal comprendre, quelque peu insaisissable et paradoxale, car c’est précisément quand on pense l’avoir, qu’on l’a perdue. On a envie de donner raison au jésuite François Varillon qui, dans l’incipit de son essai L’humilité de Dieu, affirme que «Dieu seul est humble. L’homme ne l’est pas, sinon dans la mesure où il reconnaît son impuissance à l’être», le «succès» de l’humilité coïncide avec son échec.
Au cours des jours de la Semaine sainte, l’humilité, cette vertu, est apparue parce que c’est par excellence «le temps du paradoxe». Dimanche dernier, nous avons rappelé l’entrée de Jésus à Jérusalem, une entrée dans le même temps «triomphale» et à dos d’âne. Le matin du Jeudi saint, dans la longue homélie adressée aux prêtres au cours de la Messe chrismale, le Pape François a souligné que le prêtre doit posséder un parfum qui n’est pas le sien, mais celui de l’Esprit, et pour cela nous devons l’accueillir «non pas à partir de l’enthousiasme de nos rêves, mais à partir de la fragilité de notre réalité. C’est une onction qui fait la vérité en profondeur, qui permet à l’Esprit d’oindre nos faiblesses, nos travaux, nos pauvretés intérieures. Alors l’onction embaume à nouveau: de son parfum et non du nôtre. Et le chemin pour ce pas de maturité est d’admettre la vérité de sa propre faiblesse».
Saint Paul vi possède une définition efficace: l’humilité est vérité; c’est-à-dire qu’elle passe à travers la reconnaissance de ses limites, du fait que l’homme est fait de boue, de terre (en latin humus, d’où humanitas e humilitas). Toujours dans l’homélie du Jeudi saint, le Pape a parlé précisément de l’«Esprit de vérité» dont parle l’Evangile de Jean qui «nous pousse à regarder en nous-mêmes jusqu’au fond et à nous demander: mon épanouissement dépend-il de mes capacités, du rôle que j’obtiens, des compliments que je reçois, de la carrière que je poursuis, des supérieurs ou des collaborateurs, ou du confort que je peux me garantir, ou de l’onction qui parfume ma vie?».
Le 10 janvier 1942, le père Primo Mazzolari, dans une lettre écrite à son amie écrivaine Gabriella Neri, se déclare tranquille et explique: «Voilà la raison de ma tranquillité: ce n’est pas moi qui ai écrit l’Evangile. Je ne fais que le répéter». Répéteurs de l’Evangile, telle est la mission et le sens de l’existence des prêtres et en général des chrétiens.
L’alternative est celle de ne pas servir l’Evangile, mais de s’en servir pour ses propres fins, pour exercer un pouvoir et cette option fait disparaître toute la portée innovatrice qui consiste précisément à être répéteurs. Un an plus tard, précisément en avril il y a 80 ans, dans une autre lettre adressée à un ami franciscain, Primo Mazzolari affirme que «le saint est toujours un ferment d’opérations merveilleuses et peut être transposé — lui, pas son œuvre — en tout temps et avec les mêmes fruits de salut. Je ne sais pas si l’on peut en dire de même pour les manières que nous utilisons pour l’imiter ou le poursuivre, car il peut arriver qu’au lieu de nous engager avec le Christ en suivant son exemple, nous essayions de tirer des normes de ses œuvres, en tombant inévitablement dans le schéma spirituel, qui, s’il peut nous donner l’illusion d’avoir, n’est que très rarement la nouveauté et ne nous rend pas nouveaux».
Le chrétien est un homme nouveau, il est lui-même cette nouveauté qui, comme un «ferment», un enzyme, stimule et sollicite le monde, l’agite et lui donne du goût comme le sel; mais s’il réduit cette nouveauté à une doctrine, à une loi ou aux résultats de ses propres œuvres, on perd tout, la foi devient un «schéma spirituel» à posséder et appliquer de façon rigide au lieu de l’incarner et de la vivre. La doctrine, la loi, la gloire pour ses propres actions sont des choses que nous, hommes, faisons descendre avec orgueil d’en haut; l’humilité est donc, une fois de plus, le juste antidote à toutes ces dégénérescences.
Et elle est également la voie pour la fraternité et donc pour la paix. Le monde est «en morceaux», brisé et et semble impuissant à trouver des réponses qui ne soient pas celles des armes, de la force. La crise qui traverse la dimension politique de l’Occident est toujours plus évidente et grave et il est donc aussi nécessaire qu’urgent de revenir à la politique avec un p majuscule; mais, et cela peut sembler singulier, pour obtenir cela, il faut précisément de l’humilité, cette vertu minuscule. Certains pensent que politique et humilité ne sont pas conciliables mais c’est précisément l’inverse, seules les personnes humbles ont la liberté et le courage d’oser avec créativité de parcourir des voies inexplorées. La sagesse de Paul vi et de ses paroles prononcées aux membres de l’assemblée générale de l’onu le 4 octobre 1965 est une fois de plus précieuse: «Non pas que vous soyez égaux, mais ici vous vous faites égaux. Et il se peut que, pour plusieurs d'entre vous, ce soit un acte de grande vertu: permettez que Nous vous le disions, Nous, le représentant d'une religion qui opère le salut par l'humilité de son divin Fondateur. Impossible d'être frère si l'on n'est humble. Car c'est l'orgueil, si inévitable qu'il puisse paraître, qui provoque les tensions et les luttes du prestige, de la prédominance, du colonialisme, de l'égoïsme: c'est lui qui brise la fraternité».
Voilà donc le don pour lequel prier en cette Pâque afin qu’elle soit véritablement sainte et génératrice de paix: que ce soit une Pâque à l’enseigne de l’humilité. (andrea monda)
Andrea Monda