«Bon Samaritain», «fraternité», «maison commune». Et encore «migration», «sacrement» de tout le magistère. Le cardinal jésuite Michael Czerny, préfet du dicastère pour le service du développement humain intégral, résume en ces mots-clés les dix années du Pape François à la tête de l'Eglise universelle. Une Eglise qui, avec le Pape argentin, est devenue «plus inclusive envers les pauvres, les femmes, les déplacés et les marginalisés». Une Eglise également — dit le cardinal dans un entretien avec les médias du Vatican — «plus attentive à la création et ouverte au dialogue interreligieux, plus synodale, plus miséricordieuse et éloignée de la culture du cléricalisme».
Eminence, comment résumeriez-vous la décennie de François sur le trône de Pierre?
Je la résumerais en quelques mots: bon samaritain, fraternité, maison commune. Ce ne sont pas des priorités abstraites mais globales; ce sont des priorités pour les responsables, les croyants et les personnes de bonne volonté, pour tous ceux qui se soucient de la vie humaine et de l'avenir de la famille humaine.
Selon vous, comment se déroulera le pontificat à l'avenir? Quelles sont les questions et les défis sur lesquels le magistère du Pape François devra se pencher?
Je crois que, grâce aussi à la réforme de la Curie romaine, le besoin le plus urgent est un «saut de qualité» des Eglises locales. Il ne s'agit pas d'un programme politique a priori, mais plutôt d'une invitation à la vocation et à la mission d'accompagner les Eglises locales dans leurs priorités, dans leurs urgences.
C'est justement en regardant la réforme cristallisée dans Praedicate Evangelium que le dicastère pour le service du développement humain intégral que vous présidez s'est immédiatement adapté à la «nature missionnaire» de la Curie voulue par le Pape, en changeant sa structure interne. Quelles sont vos évolutions?
Notre mission principale est d'essayer de tout faire pour écouter les Eglises locales et tous ceux qui relèvent le défi du développement humain intégral. Nous nous tenons prêts pour comprendre comment aider, encourager, stimuler et même critiquer, bref, aider l'Eglise à grandir et à donner des réponses au monde d'aujourd'hui. La question doit être la suivante: quels sont les principaux sujets de préoccupation pour les Eglises locales? Les pauvres, la sauvegarde de la création, la santé, l'(in)sécurité, les migrations? Développons donc tout cela dans des relations mutuelles.
Ce monde est aujourd'hui blessé par la guerre, mais aussi par la migration. Il y a quelques jours, une tragédie a frappé le sud de l'Italie, causant la mort de plus de 70 personnes. Vous avez une longue expérience dans le domaine des migrations. Que pensez-vous de ce que beaucoup appellent «une tragédie annoncée»?
Ce n'était pas une tragédie annoncée, mais une tragédie dénoncée. Je pense qu'il est hypocrite de dire qu'il n'était pas possible de donner une réponse... Non, nous n'avons pas pu ou voulu anticiper. Dans l'Eglise, à commencer par le Pape François, beaucoup l'ont souligné mille fois: il n'y a pas de surprise dans ces événements, ce sont des choses attendues et très politiques. Et aussi très tristes.
Lors de l'angélus du 5 mars dernier, le Pape a lancé un appel très fort demandant d'arrêter les trafiquants. Est-ce là le problème?
Notamment. Je crois cependant que le problème sous-jacent est une confusion, une incohérence aussi dans la politique migratoire européenne. Cela d'une part. D'autre part, il y a les trafiquants qui sont rusés, entrepreneurs, et qui profitent de l'incohérence pour faire prospérer leurs affaires.
En parlant de migrations et en revenant sur le pontificat, l'un des moments les plus symboliques a été le voyage de juillet 2013 à Lampedusa. Depuis, le Pape n'a cessé d'attirer l'attention du monde sur cette question et sur ces personnes contraintes de quitter leur pays...
On peut dire que la question migratoire est «le sacrement» du magistère du Pape François. Il a essayé de communiquer à tous les fidèles et au-delà cette question, si concrète, si humaine et aussi si «sainte» dans le sens de sa très grande importance. A tous les habitants du monde, le Pape a fait comprendre à quel point la dignité de la vie humaine et la nécessité de répondre à notre prochain sont fondamentales. Il a rendu important le phénomène de la migration, il a rendu évidente la présence de Jésus, de la Sainte Famille, parmi ceux qui fuient. Il a ouvert à tous la possibilité de répondre — en tant que chrétiens et en tant qu'hommes — par son enseignement: accueillir, promouvoir, protéger et intégrer.
A votre avis, ces quatre indications du Pape, notamment à la lumière des récentes tragédies, ont-elles été comprises et accueillies?
Il est certain que tout le monde a compris ce que le Pape a dit, même les responsables de ces soi-disant tragédies qui sont plutôt un crime. Ce sont des résultats d'actions politiques. Il faut donc faire attention à ne pas mélanger les deux choses... Les paroles de François atteignent tout le monde, surtout les croyants, les personnes qui croient en Dieu, en la vie, en la fraternité, en la maison commune. Celles-là répondent aux paroles du Saint-Père et ne cèdent pas à un rejet cruel et inhumain de leur prochain.
Quel vœu souhaiteriez-vous adresser au Pape?
Plus qu'un vœu, c'est le désir profond qu'il reçoive encore la grâce et qu'il sache combien est infinie notre gratitude, la gratitude du monde entier pour ces dix années qui nous ont tous changés en mieux.
Salvatore Cernuzio