Musa est un enfant syrien de six ans. Il a été extrait de sous les décombres de l’immeuble où il vivait à Jindaris, dans la partie de la province d’Alep contrôlée par les rebelles, quatre jours après le tremblement de terre dévastateur. Je continue d’observer sa photo, transmise par l’une des agences qui, depuis la première heure, diffusent les images bouleversantes de cette immense tragédie. Un bandage lui couvre la tête blessée, à partir du front. En réalité, il a aussi la main droite bandée et, sur le visage, d’autres signes du désastre auquel il a échappé grâce au travail acharné des sauveteurs. Mais ce sont les yeux qui attirent mon attention. Je me demande ce qu’ils ont vu au cours de ces six ans, c’est-à-dire toute sa vie. Probablement uniquement la destruction et la mort.
Certes, Musa aura eu l’affection de sa famille, il aura joué, il aura ri avec ses petits camarades. Mais que lui restera-t-il, quand il sera grand, de ses six premières années vécues dans un pays dévasté depuis 12 ans par une guerre qui n’est pas encore terminée? Une enfance constamment sous les bombes, sans doute également comme personne déplacée avec ses proches dans un lieu très pauvre, sans aide à cause des sanctions internationales imposées au gouvernement de Bashar al-Assad. Et à présent, l’expérience terrible du tremblement de terre, et même celle encore plus terrifiante d’être resté prisonnier sous les décombres, dans le froid, sans nourriture ni eau, pendant pas moins de quatre jours.
Musa a perdu son petit frère et ses parents sont encore sous les décombres. Il est probablement le seul de sa famille à avoir survécu, comme du reste tant d’autres enfants qui ont échappé au séisme, mais qui sont à présent orphelins. Un drame dans le drame. Je me demande comment un enfant peut «survivre» à tout cela et ce qu’il gardera avec lui pour le reste de sa vie.
On dit qu’un malheur n’arrive jamais seul. Sagesse populaire. Mais les malheurs sont une chose, les guerres, les spéculations et l’indifférence en sont une autre. Et ils ont des responsables bien précis. Les yeux de Musa, son regard, démasquent les seigneurs de la guerre, des individus sans scrupules pour lesquels toutes les occasions sont bonnes pour gagner de l’argent; ils démasquent le pouvoir en place, qui ne se soucie pas du sort de son peuple, et qui est même prêt à en sacrifier la vie pour conserver le pouvoir; ils démasquent les spéculateurs et les corrompus, qui construisent leurs richesses sur les malheurs des autres, plutôt que des maisons antisismiques là où elles seraient indispensables.
Mais les yeux de Musa nous regardent nous aussi qui, bien qu’affectés par tant de souffrance, restons prisonniers dans une sorte de limbes qui ne nous permettent pas de dépasser l’émotion et la pitié du moment, les empêchant de se transformer en indignation, en dénonciation, en pressions qui puissent d’une certaine manière influer sur la réalité. Nous condamnant à l’accoutumance, voire à l’indifférence.
Dans quelques jours, il y aura un an que la guerre a éclaté en Ukraine, suite à une invasion russe injustifiée. Et il me revient à l’esprit une autre image: celle de Misha, cinq ans, blessé par une bombe à Nikolaev le 26 mars 2022, avec son regard accusateur. Deux autres yeux qui nous regardent et nous interrogent.
La Syrie, l’Ukraine, mais aussi le Yémen, la République démocratique du Congo, le Soudan du Sud et une liste trop longue d’autres pays dans lesquels on combat et qui nous parle d’un monde en guerre. Que fait-on réellement pour arrêter tout cela? Que faisons-nous? (gaetano vallini)
Gaetano Vallini