La mort de Benoît xvi; les critiques apparues dans certains livres récents, l’homosexualité qui «n’est pas un crime», la santé personnelle «bonne», malgré l’âge, les relations avec la Chine, le parcours synodal allemand, l’affaire des abus du jésuite Marko Rupnik. Les sujets abordés par le Pape François dans une nouvelle interview publiée mercredi 25 janvier par l'agence de presse américaine Associated Press (ap) sont nombreux et actuels. Il s'agit de la première interview du Souverain Pontife après la mort, le 31 décembre dernier, de son prédécesseur Joseph Ratzinger, dont il parle dans cet entretien avec la correspondante Nicole Winfield, rencontrée à la maison Sainte-Marthe.
Le Pape qualifie Benoît xvi de «gentilhomme» et confie qu'avec sa mort il a «perdu un père»: «Pour moi, il était une sécurité. En cas de doute, je demandais la voiture, j'allais au monastère et je demandais». Jorge Mario Bergoglio, à nouveau interrogé sur son éventuelle démission, déclare que s'il abandonnait un jour le ministère pétrinien, il serait «évêque émérite de Rome» et irait «vivre à la Casa del Clero [maison d’accueil pour ecclésiastiques, ndlr] à Rome». «L'expérience de Benoît, ajoute-t-il, donne déjà naissance à de nouveaux Papes qui démissionnent pour s'intégrer plus librement». François explique que son prédécesseur était encore lié à une certaine conception de la papauté: «En cela, il n'était pas entièrement libre, car il aurait pu vouloir retourner dans son Allemagne natale et y poursuivre ses études de théologie. Mais il a fait tout ce qu'il pouvait pour être aussi proche que possible. Et c'était un bon compromis, une bonne solution».
François réfléchit aussi sur son pontificat, qui franchira le cap des dix ans le 13 mars prochain. Au début, rappelle-t-il, la nouvelle d'un Pape sud-américain a été accueillie avec surprise par de nombreuses personnes à l'intérieur et à l'extérieur de l'Eglise, puis, dit-il, «elles ont commencé à voir mes défauts et elles ne les ont pas appréciés». Au sujet des critiques reçues dernièrement, à travers des livres ou des documents circulant entre cardinaux sous des pseudonymes, François déclare que pour lui comme pour tout le monde il serait toujours mieux de ne pas avoir de critiques «pour la tranquillité d'esprit»: «Elles sont comme de l'urticaire, elles sont un peu ennuyeuses, mais je les préfère, parce que cela signifie qu'il y a la liberté de parole». L'important toutefois est qu'elles soient dites «en face, car c'est ainsi que nous grandissons tous, n'est-ce pas?» C'est pire, selon le Pape, «s’il s’agit d’une action sournoise». Il ajoute avoir discuté personnellement avec certains des auteurs de ces critiques: «Certains d'entre eux sont venus ici et oui, j'en ai discuté. Normalement, comme on parle entre personnes matures. Je ne me suis pas disputé avec qui que ce soit, mais j'ai exprimé mon opinion et ils l'ont exprimée. Sinon, on crée une dictature de la distance, comme je l'appelle, où l'empereur est là et personne ne peut lui dire quoi que ce soit. Non, laissez-les dire parce que la compagnie, la critique, aide à grandir et à faire avancer les choses».
Dans cette interview, François est ensuite interrogé sur le thème de l'homosexualité, qui, affirme-t-il, «n'est pas un crime» mais une «condition humaine», et sur les droits de la communauté Lgbtq: «Nous sommes tous des enfants de Dieu et Dieu nous veut tels que nous sommes et avec la force que chacun de nous combat pour sa dignité. Etre homosexuels n'est pas un crime», déclare-t-il. Puis, comme souvent dans ses prédications ou dans ses interviews, mimant une conversation entre deux personnes, il dit que quelqu'un pourrait prétendre que «c'est un péché». «Faisons d'abord la distinction entre péché et crime», précise François. «C'est aussi un péché de manquer de charité les uns envers les autres». Et le Pape critique ainsi des lois, qu'il qualifie d'«injustes», qui criminalisent l'homosexualité: «Je pense qu'il y a plus de 50 pays qui ont une condamnation légale et parmi ceux-ci, je pense qu'environ dix, un peu plus ou moins, ont la peine de mort. Ils ne le mentionnent pas directement, mais ils disent “ceux qui ont des attitudes contre nature”». Le Saint-Père invite également à une approche différente les évêques qui font preuve de discrimination à l'encontre des personnes homosexuelles et de la communauté Lgbtq. A cet égard, le Souverain Pontife rappelle le Catéchisme de l'Eglise catholique, qui affirme «que les personnes ayant des tendances homosexuelles doivent être accueillies, et non marginalisées, accompagnées si on leur donne une place». Personne ne devrait faire l'objet de discrimination, insiste l'Evêque de Rome. Et cela ne concerne pas seulement l'homosexualité: «Même le plus grand meurtrier, le plus grand pécheur ne doit pas être discriminé. Chaque homme et chaque femme devrait avoir une fenêtre dans sa vie vers laquelle il puisse orienter son espérance et où il puisse voir la dignité de Dieu».
L’interview aborde ensuite longuement la question des abus du clergé, avec une référence immédiate à l'affaire concernant le prêtre jésuite Marko Rupnik, mosaïste célèbre, qui est aujourd'hui au cœur d’accusations d'abus sexuels, psychologiques et de conscience de la part de religieuses, qui auraient eu lieu il y a environ 30 ans en Slovénie puis, récemment, en Italie. Interrogé à ce sujet, François déclare: «Pour moi, ce fut une surprise, vraiment. Une personne, un artiste de ce niveau, pour moi ce fut une grande surprise et une blessure». Toute l'affaire a été traitée par la Compagnie de Jésus, tandis que l'instruction du procès a été confiée au responsable des affaires juridiques des dominicains, explique le Pape, assurant qu'il n'avait joué aucun rôle dans le traitement de l'affaire, mais qu'il n'était intervenu que sur le plan procédural «dans un petit procès qui est parvenu à la Congrégation de la foi dans le passé». François précise qu'il a donné des indications pour que les deux séries d'accusations soient traitées par le même tribunal qui avait examiné la première: «Que cela continue avec le tribunal normal... Sinon les voies de la procédure se divisent et tout s'embrouille». Quant au fait que le Vatican n'ait pas renoncé à la prescription dans ce cas, le Souverain Pontife convient qu'il est juste de renoncer «toujours» à la prescription dans les cas impliquant des mineurs et des «adultes vulnérables», et de maintenir en revanche les garanties légales traditionnelles dans les cas impliquant d'autres adultes, comme ce fut le cas pour Rupnik.
Le Pape évoque ensuite le travail de la Commission pour la protection des mineurs ainsi que le travail diplomatique effectué par le Saint-Siège. A cet égard, il aborde la question des relations avec la Chine et répète: «Nous devons cheminer patiemment». En ce qui concerne les ouvertures possibles, «nous prenons des mesures»: les autorités chinoises «sont parfois un peu fermées, parfois pas». «L'essentiel est que le dialogue ne soit pas interrompu», explique le Pape. A propos du cardinal Zen, évêque émérite de Hong Kong, qu'il a reçu au Vatican le 6 janvier, François dit qu'il est «fascinant»: à présent, explique-t-il, il exerce son travail pastoral en prison «et il est en prison toute la journée. Il est l'ami des gardiens communistes et des prisonniers. Tout le monde l'accueille bien. C'est un homme de grande sympathie». Le cardinal Zen est courageux, reconnaît-il, mais il a aussi «une âme tendre» et il a pleuré devant la statue de Notre-Dame de Sheshan qu'il a vue dans son appartement à Sainte-Marthe.
Concernant le chemin synodal allemand, qui met en avant des requêtes telles que l'abolition du célibat des prêtres, le sacerdoce féminin et d'autres réformes possibles de libéralisation, François avertit que cela risque de devenir «idéologique», de manière dommageable. Le dialogue est une bonne chose, mais «l'expérience allemande ne nous aide pas», déclare le Saint-Père, soulignant que le processus en Allemagne a jusqu'à présent été mené par «l'élite» et n'implique pas «l'ensemble du peuple de Dieu». «Le danger est que quelque chose de très, très idéologique entre en jeu. Lorsque l'idéologie s'immisce dans les processus ecclésiaux, le Saint-Esprit rentre chez lui, car l'idéologie l'emporte sur le Saint-Esprit».
Le Pape François est enfin interrogé sur sa santé, qu’il juge «bonne», compte tenu de ses 86 ans et malgré le fait que la diverticulite qui lui avait valu une opération du côlon en juillet 2021 soit «revenue»: «mais elle est sous contrôle», assure-t-il. Le Souverain Pontife parle aussi d'une petite fracture au genou due à une chute, guérie sans intervention chirurgicale: «Le genou, grâce à une bonne thérapie et à la magnétothérapie, le laser… l'os s'est soudé... Je marche déjà, je m'aide avec le déambulateur, mais je marche». Pour son âge, tout est «normal»: «Je peux aussi mourir demain, mais allez, tout est sous contrôle. Ma santé est bonne. Et je demande toujours la grâce, que le Seigneur me donne le sens de l'humour».
Salvatore Cernuzio