La Messe du 1er février à Kinshasa ne sera pas la première Messe célébrée par le Pape en rite zaïrois. Cela a déjà eu lieu le 1er décembre 2019, à l’occasion du vingt-cinquième anniversaire de la présence catholique congolaise à Rome. En réalité, le rite zaïrois n’est pas un rite à proprement parler. Il s’agit d’une adaptation du rite romain pour les diocèses de la République démocratique du Congo, approuvé par la Congrégation pour le culte divin le 30 avril 1988, quand le pays s’appelait encore Zaïre. L’objectif était d’incorporer la liturgie romaine dans la culture africaine, car les évêques s’étaient rendu compte que les fidèles ne se sentaient pas assez impliqués. Ain-si ont été introduits des éléments plus adaptés à la sensibilité africaine, notamment dans le but de favoriser une plus grande participation de la communauté à la liturgie. Il s’agit du fruit d’un long processus d’inculturation de la liturgie, commencé avec les pontificats de Paul vi et de Jean-Paul ii, jusqu’à arriver à celui du Pape François, qui apprécie beaucoup le caractère unique et la valeur d’agrégation de ce rite.
Les principales différences avec le rite romain ordinaire s’observent au début de la Messe et dans la liturgie de la Parole. Après la présentation des offrandes, il n’y a pas de différences significatives. L’un des moments les plus suggestifs est le chant du Gloria, qui peut durer jusqu’à plus d’un quart d’heure: toute la communauté, prêtre y compris, chante et danse. En général, l’Eglise du Congo ne célèbre jamais l’Eucharistie sans danse, parce que, comme l’affirme le message vidéo de bienvenue de la communauté congolaise adressé au Pape, «l’Eucharistie est la fête de la foi». C’est pourquoi il est très courant que les participants dansent également autour de l’autel, avec l’encensoir.
Avant l’Evangile, on récite le Credo. «Quand on croit», et qu’on le manifeste par cette prière, poursuit la vidéo de la communauté congolaise, «le dialogue avec le Seigneur peut continuer» à travers la lecture de sa Parole. Ce n’est qu’alors que le prêtre s’approche de la chaire, toujours en dansant, et accompagné par les lanciers (porteurs de lances) et par deux autres personnes qui portent les bougies.
Généralement, au Congo, on récite l’Evangile en lingala, l’une des quatre langues dans lesquelles est célébré le rite zaïrois, outre le kikongo, le swahili et le tshiluba. Après l’homélie, «étant donné que le Seigneur m’a parlé et que je lui ai ouvert mon cœur et que je veux me convertir, c’est le moment de demander pardon», conclut la vidéo.
La nécessité des Eglises centrafricaines d’employer dans la liturgie des musiques d’origine locale commença à se faire sentir avec une plus grande intensité dans les années 50. Ce fut alors que furent composées des Messes entières utilisant des instruments, des langues et des rythmes et mélodies locales. Ce répertoire obtint également une reconnaissance officielle avec le grand succès de la Missa Luba, composée en 1958 par le franciscain belge Guido Haazen. En 1959, le prêtre catholique Stephen B. G. Mbunga composa quant à lui une Messe Baba Yetu et en 1963, il publia sa thèse de doctorat Church Law and Bantu Music: Ecclesiastical Documents and Law on Sacred Music as Applied to Bantu Music, dans laquelle il soutenait et encourageait l’utilisation de la musique d’origine africaine dans la liturgie catholique, et définit également certaines directives que les compositeurs africains devaient suivre pour créer une musique adaptée. Ces initiatives faisaient partie d’un mouvement de renouveau général de la liturgie en Afrique, et s’inscrivaient dans un climat de décolonisation. Ces premières tentatives expérimentales d’utiliser des rythmes et des mélodies locales au sein de la liturgie trouvèrent une reconnaissance officielle de la part de l’Eglise dans l’une des quatre constitutions conciliaires du Concile Vatican ii, Sacrosantum Concilium, qui concernait la liturgie sacrée et qui fut rédigée en 1963. Adoptée avec 2158 voix en faveur et seulement 19 contraires, elle fut solennellement promulguée par le Pape Paul vi le 4 décembre de l’année suivante.
Parmi les fervents défenseurs de cette ouverture figurait le premier cardinal africain de l’histoire, nommé par le Pape Jean xxiii en 1960: le tanzanien Laurean Rugambwa. Au cours des travaux du Concile, il exprima ses opinions sur les nouvelles perspectives de la musique sacrée, en soulignant l’importance de composer une musique d’origine africaine et en proposant la création de commissions liturgiques composées d’experts de tout domaine, ayant pour mission d’approuver ou pas l’utilisation de certaines composition. Dans ce sens, le cas du rite de Zaïré peut être un pas ultérieur vers de nouveaux parcours et processus de discernement liturgique, dans lesquels les diverses spécificités de chaque communauté, insérées dans une culture, avec des langages et des symboles propres, peuvent être prises en considération sans altérer la nature du Missel romain, qui garantit la continuité avec la tradition antique et universelle de l’Eglise. Dans l’exhortation apostolique Evangelii gaudium, le Pape parle précisément de l’opportunité de rejoindre les diverses cultures dans leur langue. Et il exhorte à surmonter la rigidité d’une discipline qui «exclut et éloigne, pour une sensibilité pastorale qui accompagne et intègre», parce que «le christianisme ne dispose pas d’un unique modèle culturel». Selon le Pape François, grâce à ce missel, «la conférence épiscopale du Congo a forgé une personnalité propre en voulant prier Dieu, non pas par procuration ou par des mots empruntés à d’autres, mais en assumant toute la spécificité spirituelle et socio-culturelle du peuple congolais», comme il l’écrit dans le prologue du livre Le Pape François et le Missel romain pour les diocèses du Zaïre, traduction de l’ouvrage en italien publié par la Librairie éditrice vaticane et rédigé par sœur Rita Mboshu Kongo, des Filles de Marie Très Sainte Corédemptrice. «La liturgie doit toucher le cœur des membres de l’Eglise locale», ajoute le Pape dans ses lignes, et la communauté locale en sera sans aucun doute enthousiaste.