Après avoir rencontré les victimes des violences dans l’est de la République démocratique du Congo, au siège de la représentation pontificale de Kinshasa, dans l’après-midi du mercredi 1er février, le Pape a reçu les représentants de diverses œuvres caritatives dans le pays, qui ont présenté leurs activités respectives. A cette occasion, le Pape a prononcé le discours suivant:
Chers frères et sœurs,
je vous salue affectueusement et vous remercie pour les chants, pour les témoignages et pour ce que vous m’avez raconté, mais surtout pour tout ce que vous faites! Dans ce pays où il y a beaucoup de violences qui résonnent comme le bruit sourd d’un arbre abattu, vous êtes la forêt qui pousse chaque jour en silence et qui rend l’air meilleur, respirable. Bien sûr, l’arbre qui tombe fait davantage de bruit, mais Dieu aime et cultive la générosité qui germe silencieusement et porte du fruit. Il pose son regard avec joie sur ceux qui servent les nécessiteux. C’est ainsi que le bien grandit, dans la simplicité des mains et des cœurs tendus vers les autres, dans le courage des petits pas pour s’approcher des plus faibles au nom de Jésus. Le proverbe cité par Cecilia est vrai: «Mille pas commencent toujours par un premier»!
Une chose m’a frappé: vous ne vous êtes pas contentés de me lister les problèmes sociaux, et vous n’avez pas énuméré beaucoup de données sur la pauvreté. Mais vous avez surtout parlé avec affection des pauvres. Vous avez parlé de vous-mêmes et de personnes que vous ne connaissiez pas auparavant et qui vous sont maintenant devenues familières: des noms et des visages. Merci pour ce regard qui sait reconnaître Jésus dans les plus petits de ses frères. Le Seigneur doit être cherché et aimé dans les pauvres et, en tant que chrétiens, nous devons faire attention lorsque nous nous détournons d’eux: car quelque chose ne va pas quand un croyant tient à distance les bien-aimés du Christ.
Alors que beaucoup de gens aujourd’hui les rejettent, vous, vous les embrassez; alors que le monde les exploite, vous, vous les promouvez. La promotion contre l’exploitation: voilà la forêt qui pousse, alors que la déforestation du rejet fait rage! Je voudrais donner de la voix à ce que vous faites, favoriser la croissance et l’espérance en République démocratique du Congo, et sur ce continent. Je suis venu ici animé par le désir de donner de la voix à ceux qui n’en ont pas. Comme j’aimerais que les médias accordent davantage de place à ce pays et à l’Afrique dans son ensemble! Que les peuples, les cultures, les souffrances et les espérances de ce jeune continent d’avenir soient connus! On découvrira d’immenses talents, des histoires de véritable grandeur humaine et chrétienne, des histoires nées dans un climat authentique qui sait respecter les plus petits, les personnes âgées et la création.
Il est beau de vous donner la parole ici, à la nonciature, parce que les représentations pontificales, les «maisons du Pape» disséminées dans le monde, sont et doivent être des amplificateurs de la promotion humaine, des pôles de charité à l’avant-garde de la diplomatie de la miséricorde, pour favoriser les aides concrètes et promouvoir les réseaux de coopération. Cela se fait déjà, sans bruit, dans de nombreuses parties du monde et ici depuis longtemps: cette maison est une présence proche depuis des décennies. Inaugurée il y a quatre-vingt-dix ans comme Délégation apostolique, elle fêtera dans quelques jours le soixantième anniversaire de son élévation au rang de nonciature.
Frères et sœurs qui aimez ce pays et vous consacrez à son peuple, ce que vous faites est merveilleux mais n’est en rien facile. On pleure lorsque l’on entend des histoires, comme celles que vous m’avez racontées, de personnes souffrantes condamnées par l’indifférence générale à une vie errante, qui les conduit à vivre dans la rue, les exposant aux risques de violences physiques et d’abus sexuels, et même à l’accusation de sorcellerie, alors qu’elles n’ont besoin que d’amour et de soins. Tekadio, j’ai été touché par ce que tu nous as dit: à cause de la lèpre, tu te sens, encore aujourd’hui en 2023, «discriminé, regardé avec mépris et humilié», lorsque les gens, avec un mélange de honte, d’incompréhension et de peur, se dépêchent de nettoyer là même où ta seule ombre est passée. La pauvreté et le rejet offensent l’homme, ils en défigurent la dignité: ce sont comme des cendres qui éteignent le feu qu’il porte en lui. Oui, toute personne, dans la mesure où elle est créée à l’image de Dieu, resplendit d’un feu lumineux, mais seul l’amour retire la cendre qui la recouvre. Ce n’est qu’en rendant la dignité que l’on restaure l’humanité! J’ai été attristé d’entendre qu’ici aussi, comme dans de nombreuses régions du monde, les enfants et les personnes âgées sont mis au rebut. Plus que scandaleux cela porte préjudice à toute la société qui se construit, précisément, à partir de l’attention portée aux personnes âgées et aux enfants, aux racines et à l’avenir. Rappelons-nous: un développement véritablement humain ne peut se faire sans mémoire et sans avenir. Mémoire, apportée par les personnes âgées, avenir, apporté par les jeunes.
Frères et sœurs, aujourd’hui, avec vous et à travers vous, je voudrais partager avec les nombreux bienfaiteurs de ce grand pays deux interrogations. Tout d’abord, cela en vaut-il la peine? Vaut-il la peine de s’engager face à un océan de besoins qui ne cesse d’augmenter de façon dramatique? N’est-ce pas un effort vain, en plus d’être souvent décourageant? Ce qu’a dit Sœur Maria Celeste nous aide: «Malgré notre petitesse, le Seigneur crucifié désire nous avoir à ses côtés pour soutenir le drame du monde». C’est vrai, la charité nous met en harmonie avec Dieu, et Il nous surprend avec des prodiges inespérés qui se produisent à travers ceux qui aiment. Vos histoires sont riches d’événements merveilleux, connus du cœur de Dieu et impossibles aux seules forces humaines. Je pense à ce que tu nous as raconté, Pierre, quand tu as dit que dans le désert de l’impuissance et de l’indifférence, dans la mer de la souffrance, avec tes amis, tu as découvert que Dieu ne vous avait pas oublié, parce qu’il vous a envoyé des personnes qui ne se sont pas détournées en traversant la rue où vous étiez. Ainsi, sur leur visage, vous avez redécouvert celui de Jésus et vous voulez maintenant faire de même pour les autres. Le bien est ainsi, il se diffuse, il ne se laisse pas paralyser par la résignation et les statistiques, mais invite à donner aux autres ce que l’on a reçu gratuitement. Je reçois et je donne. Il faut que les jeunes en particulier voient cela: des visages qui surmontent l’indifférence en regardant les personnes dans les yeux; des mains qui ne prennent pas les armes et ne manipulent pas d’argent, mais qui se tendent vers ceux qui sont à terre et les relèvent dans leur dignité, leur dignité de fille et de fils de Dieu. Il n’est permis de regarder une personne de haut que dans un seul cas: pour l’aider à se relever. Sinon, on ne peut jamais regarder une personne de haut.
Cela en vaut donc la peine, et c’est un beau signe que les autorités, par le biais des récents accords avec la Conférence épiscopale, aient reconnu et valorisé le travail de tous ceux qui s’engagent dans le domaine social et caritatif. Cela ne signifie sûrement pas que l’on puisse systématiquement déléguer à des volontaires le soin des plus fragiles, ou encore l’engagement pour la santé et pour l’instruction. Ce sont les tâches prioritaires de ceux qui gouvernent, avec l’attention d’assurer les services de base, y compris à la population qui vit loin des grands centres urbains. En même temps, ceux qui croient au Christ ne doivent jamais ternir le témoignage de la charité, qui est un témoignage de Dieu, par la poursuite de privilèges, de prestige, de visibilité et de pouvoir. C’est une mauvaise chose, à ne jamais faire! Non, les moyens, les ressources et les bons résultats sont pour les pauvres, et ceux qui s’en occupent doivent toujours se rappeler que le pouvoir est un service, que la charité ne conduit pas à se reposer sur ses lauriers mais exige de la diligence et du concret. Dans cette perspective, parmi les nombreuses choses à faire, je voudrais souligner un défi qui concerne tout le monde et pas seulement ce pays. La cause la pauvreté n’est pas tant l’absence de biens et d’opportunités, mais leur inéquitable répartition. Les personnes aisées, surtout si elles sont chrétiennes, sont appelées à partager ce qu’elles possèdent avec ceux qui manquent du nécessaire, d’autant plus s’ils appartiennent au même peuple. Ce n’est pas une question de bonté, mais de justice. Ce n’est pas de la philanthropie, c’est de la foi; car, comme le dit l’Ecriture, «la foi sans les œuvres est morte» (Jc 2, 26).
Voilà donc une deuxième question portant précisément sur le devoir et sur l’urgence du bien: comment le faire? Comment faire de la charité, quels critères suivre? Je voudrais vous proposer à ce sujet trois points simples. Ce sont des choses que les institutions caritatives opérant ici connaissent déjà, mais il est bon de les rappeler afin que le fait de servir Jésus dans les pauvres devienne un témoignage toujours plus fécond.
Tout d’abord, la charité appelle l’exemplarité. La charité n’est pas en effet seulement une chose que l’on fait, mais une expression de ce que l’on est. Elle est un mode de vie, elle consiste à vivre l’Evangile. Crédibilité et transparence sont donc nécessaires. Je pense à la gestion financière et administrative des projets, mais aussi à l’engagement à offrir des services appropriés et qualifiés. C’est précisément l’esprit qui caractérise tant d’œuvres ecclésiales dont ce pays bénéficie et qui ont marqué son histoire. Qu’il y ait toujours de l’exemplarité!
Deuxième point: la prévoyance, c’est-à-dire le fait de savoir regarder en avant. Il est essentiel que les initiatives et les bonnes œuvres, en plus de répondre aux besoins immédiats, soient viables et durables; pas simplement faites pour assister, mais mises en œuvre sur la base de ce qui peut réellement être fait et dans une perspective à long terme, afin qu’elles durent dans le temps et ne se terminent pas avec ceux qui les ont lancées. Dans ce pays, par exemple, le sol est incroyablement fécond, la terre extrêmement fertile. La générosité de ceux qui aident ne peut manquer d’épouser cette caractéristique en favorisant le développement de ceux qui peuplent cette terre, en leur apprenant à la cultiver, en donnant vie à des projets de développement qui mettent l’avenir entre leurs mains. Plutôt que de distribuer des biens dont il y aura toujours besoin, il est préférable de transmettre des connaissances et des outils qui rendent le développement autonome et durable. A ce sujet, je pense aussi à la grande contribution offerte par l’assistance sanitaire catholique qui, dans ce pays comme en de nombreux pays du monde, soulage et donne espérance à la population en allant à la rencontre de ceux qui souffrent, avec gratuité et sérieux, cherchant toujours, comme il se doit, à secourir avec des instruments modernes et appropriés.
Exemplarité, prévoyance et enfin — troisième élément — la connexion. Frères et sœurs, il est nécessaire de se mettre en réseau, non seulement virtuellement mais aussi concrètement, comme cela se passe dans ce pays avec la symphonie de la vie de la grande forêt et de sa végétation variée. Se mettre en réseau: travailler de plus en plus ensemble, être en synergie constante entre vous, en communion avec les Eglises locales et avec le territoire. Travailler en réseau: chacun avec son propre charisme mais ensemble, reliés, en partageant les urgences, les priorités, les besoins, sans fermetures ni auto-référentialité, prêts à travailler avec d’autres communautés chrétiennes et d’autres religions, et avec les nombreuses organisations humanitaires présentes. Tout cela pour le bien des pauvres. Se mettre en réseau avec tous.
Chers frères et sœurs, je vous laisse sur ces points et je vous remercie pour ce que vous avez laissé dans mon cœur aujourd’hui. Oui, merci beaucoup parce que vous avez touché mon cœur. Vous êtes précieux. Je vous bénis et vous demande, s’il vous plaît, de continuer à prier pour moi qui en ai besoin. Merci!