Les Histoires
C'est la guerre en Bosnie qui a donné à Lisa Clark, interprète de conférences internationales, la mission de la paix. Elle raconte : « Je connaissais assez bien la Yougoslavie et je parlais un peu la langue. Dès les premières semaines du conflit, j'ai pris ma voiture et suis allée en Croatie, seule. Je suis revenue au bout de cinq ou six jours et je n'avais rien compris : la Yougoslavie est finie, disais-je, mais non, ils ne vont pas s'entretuer... Et au lieu de cela... Alors, quand Beati i Costruttori di Pace (Bienheureux les bâtisseurs de paix) a lancé les initiatives pour la Bosnie, j'ai commencé à m’engager. Ce pays tout entier qui pour moi était la Yougoslavie me tenait à cœur. Je n'oublie pas le 7 décembre 1992 : la marche de 500 personnes à Sarajevo, avec les évêques Luigi Bettazzi et don Tonino Bello, dans les dernières semaines de sa vie ».
Depuis, Lisa Clark, Américaine de Los Angeles installée à Florence, est engagée aux côtés des populations des territoires dévastés par les guerres, convaincue que « c'est du point de vue de ceux qui reçoivent les balles qu'il est le plus facile de comprendre comment s'engager contre la guerre, contre l'arrogance des plus forts et la négation des droits des faibles ».
Elle a vécu à Sarajevo assiégée (1993-1995), promouvant des réseaux de connexion et de solidarité dans la ville et entre les personnes séparées par les fronts.
Par la suite, dans d'autres régions de Bosnie et du Kosovo. Elle a participé à des missions d'observation des droits de l'homme et électoraux en Palestine, en Albanie et au Chiapas. Elle a coordonné la mission de la société civile lors des premières élections démocratiques en République démocratique du Congo et a accompagné des missions institutionnelles en Erythrée, en Ethiopie, en Somalie et au Kenya. Elle est vice-présidente de Beati i Costruttori di Pace, référente pour le désarmement nucléaire du Réseau italien pour la paix et le désarmement, représentante italienne de l'Ican-Campagne internationale pour l'abolition des armes nucléaires, pour laquelle elle a reçu le prix Nobel de la paix en 2017, et coprésidente du Bureau international de la paix, qui a reçu le prix Nobel en 1910.
Elle pose une prémisse, en parlant de la paix : « Je n’ai pas de préjudice quant au recours aux armes ou à la force militaire. Je suis scandalisée par le fait que nous ayons permis aux institutions des pays européens de souscrire à une notion qui vient de mon pays d'origine, les Etats-Unis : que seule la force militaire peut résoudre les situations. Je n'y souscris tout simplement pas ».
A propos de l'Ukraine, elle déclare également : « Je ne condamne pas comme un péché mortel l'envoi d'armes défensives, de roquettes qui abattent des avions ou des missiles ennemis ; je pense que c'est acceptable dans cette situation ». Mais elle ajoute : « Je trouve scandaleux qu’il manque tout le reste et que cela ait affecté le discours public. Je trouve bouleversant que l’on suive même en Italie, la voie : mais que doit-on faire contre ceux qui nous agressent ?! Bien sûr, on se défend, il n'y a aucun doute là-dessus... Cependant, il ne faut pas ignorer les signaux qui indiquent une volonté de résistance même avec des systèmes qui s'ouvrent au dialogue ».
Pour cette guerre, et toutes les autres, nous devons faire « ce que nous avons toujours fait : créer des réseaux d'amitié, construire des ponts et non des murs. C'est un parcours qui ne mène pas toujours rapidement à la solution que nous souhaiterions : la guerre est plus rapide, plus immédiate, que la construction de la paix. Seulement, une fois construite, la paix tient ».
Et si la paix ne tient pas ? Nous voyons des guerres qui ne finissent jamais. Lisa Clark est convaincue : « Rien ne tient quand on appelle la paix simplement la défaite militaire d'un camp. Pour moi, la situation actuelle en Bosnie n'est pas la paix. Le péché mortel de l'accord de Dayton de 1995 [qui a officiellement mis fin aux hostilités, ndlr] a été de reconnaître les conquêtes et les frontières dictées par les armes. Lorsque vous partez de l'idée que vous devez diviser une communauté, parce que la coexistence n'est pas une chose possible, alors la paix est également impossible, car la paix est la coexistence ».
C'est le problème des négociations. Comment sont-elles faites ? « Tout ne doit pas être décidé à la première rencontre - dit Lisa Clark ; et tout ne doit pas être décidé maintenant, tout de suite, immédiatement. Au contraire, il faut se donner du temps, impliquer toutes les parties, j'en ai fait l'expérience en République démocratique du Congo. Avoir des moyens d'approche est essentiel pour construire la paix. Entre la Russie et l'Ukraine, les échanges de prisonniers ont été des signaux, l'accord sur le blé était un signal. En anglais, nous les appelons confidence building measures, des mesures qui construisent la confiance. Mais l'essentiel, pour s'asseoir autour d’une table, c'est le cessez-le-feu ».
Lorsque l'Ican a reçu le prix Nobel de la paix, Lisa Clark a parlé d'une « victoire de la société civile : c'est nous qui pouvons obliger nos Etats à choisir ce qui est éthiquement et moralement acceptable et ce qui ne l'est pas ». Et ceci est la partie de la mission qui peut se dérouler chez soi : « Agir auprès de la population pour que chacun se rende compte, aie le désir de s'informer et ne se résigne pas à dire que la guerre est une chose terrible mais qu'elle a toujours existé... Mais il faut aussi être prudent. Mes amis congolais, par exemple, se reposent un peu sur le fait que tout dépend de la cupidité qui vient de l'extérieur, mais ce n'est pas exactement le cas : il y a beaucoup de corruption dans de nombreux pays ».
Federica Re David