· Cité du Vatican ·

Ecouter les pulsations antidote à la propagande

Papa Francesco - Ritiro Spirituale Leaders Sud Sudan e S.E. Justin Welby Arcivescovo di ...
26 janvier 2023

Parler avec le cœur. Après l’invitation de l’an dernier à écouter avec le cœur, le Pape François invite les communicateurs sociaux (et pour les chrétiens, annonciateurs de la Bonne Nouvelle, cela signifie qu’il invite tout le monde) à parler avec le cœur. Il est intéressant de noter avant tout l’ordre des actions, parce que l’on pourrait penser qu’un communicateur social est une personne qui parle surtout, et en revanche, cette «conversion» est nécessaire: d’abord écouter, puis parler. Et faire les deux choses de la même façon, avec le même style: avec le cœur. C’est le cœur qui écoute, pas les oreilles, pas la bouche, ce même cœur capable de voir selon la leçon de Benoît xvi dans Deus Caritas est: «Nous devons avoir peur non pas de proclamer la vérité, même si elle est parfois inconfortable, mais de le faire sans charité, sans cœur», affirme François au début de son Message. Parce que «le programme du chrétien — comme l’a écrit Benoît xvi — est “un cœur qui voit”. Un cœur qui, par ses pulsations, révèle la vérité de notre être et qui, pour cette raison, doit être écouté».

Pas seulement écouter l’autre, mais écouter aussi son propre cœur, ses pulsations. Parler avec le cœur signifie de façon paradoxale se taire en vue d’une écoute plus radicale, cela signifie faire silence. Si nous faisons silence, en effet, nous faisons de la place à l’autre et alors, nous sentons avant tout que notre corps a déjà un son, une voix: la pulsation du cœur. Cette voix, si intime à moi-même, est déjà la voix d’un autre. C’est de cette pulsation, de ce son du rythme cardiaque, que les experts pen-sent qu’est né l’art de la musique, et ensuite de la danse, deux «langages» primordiaux de l’homme, dont est ensuite née la poésie qui est avant tout rythme, chant. Comme le souligne le Pape, le cœur avec ses pulsations révèle beaucoup de la vérité de notre être. Il révèle avant tout notre désir et vers où le désir nous dirige. Si nous sommes calmes ou agités, tristes ou heureux, curieux ou ennuyés... tout cela passe par le cœur et jaillit du cœur avec une langue sincère, qui nous montre à nous-mêmes, ainsi qu’aux autres, qui nous sommes vraiment. Parler avec le cœur est donc être dans un rapport naturel, «détendu», avec son propre cœur, le laisser parler. Et cela conduit, observe le Pape «celui qui écoute à se mettre sur la même longueur d’onde, au point de pouvoir sentir dans son propre cœur les pulsations de l’autre». Il vient à l’esprit le vers de la poésie de la poétesse polonaise Wislawa Szymborska intitulé: Ecoute comme ton cœur me bat vite. Si nous laissons parler notre cœur, si nous l’écoutons, alors, conclut le Pape François, «le miracle de la rencontre peut se produire, qui nous amène à nous regarder les uns les autres avec compassion, accueillant avec respect les fragilités de chacun, plutôt que de juger par ouï-dire et de semer la discorde et les divisions».

Le Message est un trésor de réflexions et d’encouragements sur lequel il est opportun de réfléchir à nouveau. Aujourd’hui, à une première lecture, nous sommes frappés par cette référence à la «pulsation» et à la nécessité d’écouter son cœur. De cette écoute jaillit la «communication cordiale» que le Pape nous invite à réaliser: «Communiquer cordialement signifie que celui qui nous lit ou nous écoute est amené à saisir notre participation aux joies et aux craintes, aux espoirs et aux souffrances des femmes et des hommes de notre temps. Celui qui parle ainsi aime l’autre parce qu’il se soucie de lui et veille sur sa liberté, sans la violer». L’exemple biblique que le Message offre à l’attention du lecteur est celui d’Emmaüs dans lequel Jésus entre, avec délicatesse et sincérité, dans les conversations des hommes et réussit à embraser leur cœur. Précisément la Bible dans son ensemble nous fait comprendre ce qu’est ce «cœur» qui doit devenir l’organe principal de nos cinq sens: dans le langage biblique, en effet, on indique par «cœur» la globalité, l’ensemble de l’homme, le centre unificateur non seulement de l’activité spirituelle, mais de toutes les opérations dans la vie humaine. Celui qui parle avec le cœur ne veut pas «quelque chose» de l’autre à tout prix, mais il veut l’autre, c’est-à-dire qu’il veut du bien à l’autre auquel il se donne librement et totalement, parler avec le cœur ne peut se faire qu’à l’enseigne de la gratuité.

L’opposé de parler avec le cœur est faire de la propagande. Sur ce point, le Message est très clair, et touche la dramatique actualité des actions guerrières qui traversent le monde: «C’est pourquoi toute rhétorique belliqueuse doit être rejetée, de même que toute forme de propagande qui manipule la vérité, la défigurant à des fins idéologiques». Celui qui parle avec le cœur unit vérité et charité, et cela est répété de façon opportune à plusieurs reprises dans le Message, en faisant également référence à la figure du «doux communicateur» saint François de Sales, dont le 24 janvier est la fête, et ne manipule donc pas la vérité, mais la respecte. En revanche, celui qui fait de la propagande (tout comme celui qui fait de la publicité), n’a pas une approche libre et libératrice à l’égard de l’autre, mais idéologique, instrumentale; de toute la richesse de l’expérience humaine, le propagandiste n’isole qu’un concept, si besoin également en manipulant la vérité et en visant à un résultat, à un seul effet, qui a souvent un impact sur l’aspect émotif en excluant le reste des dimensions de l’être humain. Le cœur, cette globalité complexe et mystérieuse qu’est l’être humain, est disséqué et donc de fait tué. L’opposition propagande-poésie peut servir à la compréhension du Message d’aujourd’hui qui cite à dessein Manzoni et la page du dialogue, cœur à cœur, entre Lucia et l’Inconnu. Dans cette scène dramatique a lieu le paradoxe selon lequel c’est l’Inconnu qui a presque peur de Lucia et qui lui adresse des paroles d’encouragement, au point que la jeune femme lui répond que ses paroles lui avaient «soulagé le cœur». Parler au cœur produit l’effet de soulager le cœur. Dans l’homélie du Dimanche de la Parole, en nous invitant à placer toute notre vie «sous la Parole de Dieu», le Pape François a souligné un danger: «Qu’il ne nous arrive pas de professer un Dieu au cœur large et d’être une Eglise au cœur étroit». C’est ici que réside la différence entre la propagande et la poésie, dans cet élargissement ou rétrécissement. La parole de la propagande ou de la publicité produisent en effet un langage univoque, simplifiant, qui s’impose d’en-haut de façon affirmative, «monolithique». La parole de la poésie, en revanche, est équivoque parce qu’elle est libre: c’est une proposition qui est lancée à l’interlocuteur en l’interpellant dans son intégralité (tête, cœur, mains) et qui restitue la complexité, la «semi-obscurité» de la réalité, lui demandant de l’interpréter dans la plénitude de sa liberté. Parler avec le cœur signifie être créatifs comme les poètes. Et courageux, courir le risque. Même de l’incompréhension. C’est cela, et rien moins que cela, que nous demande le Pape François dans le Message pour la Journée mondiale des communications pour 2023. 

Andrea Monda