· Cité du Vatican ·

A la hauteur des enfants

 A la hauteur des enfants  FRA-002
12 janvier 2023

 

Wisława Szymborska avait raison quand elle déclamait que «le monde n’est jamais prêt à la naissance d’un enfant». Cela vaut toujours, et encore plus, si l’enfant qui naît est aussi le créateur de ce monde jamais prêt, si cet enfant qui pleure à cause du froid dans la grotte humide de Bethléem coïncide avec le Tout-Puissant parce que, comme le disait Jan Twardowski «La Toute Puissance peut tout/ et donc pleurer aussi/ Le Tout Puissant quand Il aime sait être le plus faible».

Nous citoyens du Vieux Continent (ou Continent Vieux?) sommes les moins prêts à la naissance de Jésus, et donc d’aucun enfant: nous n’arrivons pas à affronter toute cette complexité, la richesse de cette surprise, être pris à contre-pied par quelqu’un de semblable à nous mais plus petit, qui est donc dans le même temps plus fragile et dépendant, mais aussi plus fort que nous, qui naît nu et pauvre, et donc plus libre.

Pour les catholiques, le paradoxe de Noël, d’un Dieu qui pour refaire tout le parcours humain a préféré naître dans une caverne, est devenu plus lourd à supporter, sans doute parce que nous avons intellectualisé la foi, en perdant ce caractère physique qui est toutefois un aspect fondamental: le catholicisme est la religion la plus matérialiste selon la leçon de Romano Guardini. Nous sommes devenus véritablement les «sages et intelligents» auxquels le Seigneur a gardé cachées les choses «pour les révéler aux petits» (Mt 11, 25) et les petits connaissent les choses de Dieu, il suffit de s’arrêter un instant et de les regarder, avec attention, en essayant de se mettre à leur hauteur, qui nous dépasse.

Quiconque a vécu l’expérience d’éduquer des petits d’hommes (et nous tous, tôt ou tard, sommes appelés à vivre cette expérience parce que nous avons tous la responsabilité des générations successives à la nôtre) comprend la vérité des vers de Janusz -Korczack: «Vous dites: c'est fatigant de fréquenter les enfants. / Vous avez raison. Vous ajoutez: / parce qu'il faut se mettre à leur niveau, se baisser, / s'incliner, se courber, se faire petit. / Là, vous avez tort. / Ce n'est pas cela qui fatigue le plus. / C'est plutôt le fait d'être obligé de s'élever / jusqu'à la hauteur de leurs sentiments. / De s'étirer, de s'allonger, de se hisser sur la pointe des pieds. / Pour ne pas les blesser».

Nous avons perdu l’aspect physique de la foi et sans doute égaré le «dialecte» si cher à François, qui est le canal pour transmettre la foi. Dimanche 8 janvier au matin, dans l’homélie de la Messe pour le baptême de quelques enfants, le Pape a invité chacun à réfléchir «un peu au fait que ces enfants que vous amenez maintenant commencent à prendre un chemin, mais c'est à vous et aux parrains et marraines de les aider à aller de l’avant sur ce chemin. On nous apprend à prier, lorsque l’on est enfants: qu'ils apprennent à prier, comme des enfants, au moins à le faire avec leurs mains, avec des gestes... Qu'ils apprennent la prière, dès l'enfance, parce que la prière sera ce qui leur donnera de la force tout au long de leur vie: dans les bons moments, pour remercier Dieu, et dans les mauvais moments, pour trouver de la force. C'est la première chose que vous devez leur enseigner: à prier».

L’invitation du Pape met en marche l’imagination, fait venir à l’esprit l’image des enfants qui apprennent, parfois maladroitement, à répéter pour la première fois les prières, la plus belle image du monde, selon le poète Charles Péguy, ou, mieux, selon Dieu: c’est ainsi en effet que l’imagine Charles Péguy, ce génie français dont nous avons rappelé il y a quelques jours (dans l’édition italienne du journal) les cent cinquante ans de la naissance. Laissons alors place au célèbre passage de son poème Le mystère des Saints Innocents, qui n’a pas besoin d’autres commentaires.

«Je ne connais rien d'aussi beau dans tout le monde, dit Dieu. Qu'un petit joufflu d'enfant, hardi comme un page, timide comme un ange, qui dit vingt fois bonjour, vingt fois bon-soir en sautant. Et en riant et en (se) jouant. Une fois ne lui suffit pas. Il s'en faut. Il n'y a pas de danger. Il leur en faut, de dire bonjour et bonsoir. Ils n'en ont jamais assez. C'est que pour eux la vingtième fois est comme la première. Ils comptent comme moi. C'est ainsi que je compte les heures. Et c'est pour cela que toute l'éternité et que tout le temps est (comme) un instant dans le creux de ma main.

Rien n'est beau comme un enfant qui s'endort en faisant sa prière, dit Dieu. Je vous le dis, rien n'est aussi beau dans le monde. Je n'ai jamais rien vu d'aussi beau dans le monde. Et pourtant j'en ai vu des beautés dans le monde. Et je m'y connais. Ma création regorge de beautés. Ma création regorge de merveilles. Il y en a tant qu'on ne sait pas où les mettre.

J'ai vu des millions et des millions d'astres rouler sous mes pieds comme les sables de la mer. J'ai vu des journées ardentes comme des flammes. Des jours d'été de juin, de juillet et d'août. J'ai vu des soirs d'hiver posés comme un manteau. J'ai vu des soirs d'été calmes et doux comme une tombée de paradis. Tout constellés d'étoiles. J'ai vu ces coteaux de la Meuse et ces églises qui sont mes propres maisons. Et Paris et Reims et Rouen et des cathédrales qui sont mes propres palais et mes propres châteaux. Si beaux que je les garderai dans le ciel.

 

J'ai vu la capitale du royaume et Rome capitale de chrétienté. J'ai entendu chanter la messe et les triomphantes vêpres. Et j'ai vu ces plaines et ces vallonnements de France. Qui sont plus beaux que tout. J'ai vu la profonde mer, et la forêt profonde, et le cœur profond de l'homme. J'ai vu des cœurs dévorés d'amour. Pendant des vies entières. Perdus de charité. Brûlant comme des flammes. J'ai vu des martyrs si animés de foi tenir comme un roc sur le chevalet sous les dents de fer.  (Comme un soldat qui tiendrait bon tout seul toute une vie. Par foi. Pour son général (apparemment) absent). J'ai vu des martyrs flamber comme des torches. Se préparant ainsi les palmes toujours vertes. Et j'ai vu perler sous les griffes de fer. Des gouttes de sang qui resplendissaient comme des diamants. Et j'ai vu perler des larmes d'amour qui dureront plus longtemps que les étoiles du ciel.

Et j'ai vu des regards de prière, des regards de tendresse, perdus de charité. Qui brilleront éternellement dans les nuits et les nuits. Et j'ai vu des vies tout entières de la naissance à la mort, du baptême au viatique, se dérouler comme un bel écheveau de laine.

Or je le dis, dit Dieu, je ne connais rien d'aussi beau dans tout le monde qu'un petit enfant qui s'endort en faisant sa prière sous l'aile de son ange gardien. Et qui rit aux anges en commençant de s'endormir. Et qui déjà mêle tout ça ensemble et qui n'y comprend plus rien. Et qui fourre les paroles du Notre Père à tort et à travers pêle-mêle dans les paroles du Je vous salue Marie. Pendant qu'un voile déjà descend sur ses paupières. Le voile de la nuit sur son regard et sur sa voix. J'ai vu les plus grands saints, dit Dieu.

Eh bien je vous le dis. Je n'ai jamais rien vu de si drôle et par conséquent je ne connais rien de si beau dans le monde que cet enfant qui s'endort en faisant sa prière (que ce petit être qui s'endort de confiance) et qui mélange son Notre Père avec son Je vous salue Marie. Rien n'est aussi beau et c'est même un point où la sainte Vierge est de mon avis. Là-dessus. Et je peux bien dire que c'est le seul point où nous soyons du même avis. Car généralement nous sommes d'un avis contraire. Parce qu'elle est pour la miséricorde. Et moi il faut bien que je sois pour la justice». 

Andrea Monda