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FEMMES EGLISE MONDE

L'histoire - 1
Abby Avelino : l'expérience de leadership du réseau de lutte contre la traite des êtres humains

Le modèle Talitha Kum

 Il modello Talitha Kum  DCM-001
07 janvier 2023

Elles ont grandi dans la conscience de leur leadership, mûrie par l'expérience, se souciant et partageant la vie de celles et ceux qui vivent en marge. Leaders contre la traite des êtres humains, un rôle dans l'Eglise que les religieuses de Talitha Kum, le réseau international contre la traite, ont consolidé au fil des ans, soutenues par les supérieures générales et reconnues par les évêques. Un chemin de conscience qu'elles ont parcouru ensemble. Mais que chacune et chacun a commencé à sa manière, en partant de petites choses.

Comme le morceau de vie qui vient à l'esprit de sœur Abby Avelino, coordinatrice internationale du réseau depuis le 1er septembre 2022, qui explique sans mâcher ses mots ce que signifie travailler sur sa conscience. « Le curé de ma paroisse tenait hors de celle-ci un certain nombre de personnes qui étaient dans le besoin. Je me suis décidée à aller lui parler : 'Père, vous dites certaines choses chaque dimanche dans vos homélies et ensuite dans la pratique... Il ne suffit pas de faire des temps d'adoration, de prier... il faut accueillir les gens’ ». Sœur Abby, 57 ans, est née aux Philippines et a grandi aux Etats-Unis. Avant de rejoindre les sœurs dominicaines de Maryknoll, elle a obtenu un diplôme d'ingénieur et a travaillé comme ingénieur en mécanique et en systèmes. De cette confrontation avec le curé, elle dit avoir appris que « parfois, nous ne nous battons pas assez pour ce que nous pensons être juste. Nous nous sentons impréparés, fragiles. C'est pourquoi nous devons beaucoup insister sur la formation ». Ce n'est pas un hasard si Talitha Kum organise des formations au leadership depuis 2017.

Sœur Avelino succède à sœur Gabriella Bottani, combonienne, qui a dirigé Talitha Kum depuis 2014 et supervisé sa croissance. Fondé il y a 15 ans au sein de l'Union internationale des supérieures générales (uisg), le réseau est un exemple intéressant de leadership féminin. Il rassemble aujourd'hui plus de 6.000 sœurs catholiques, des collaborateurs et des amis des cinq continents et encourage la collaboration entre les réseaux, guidés par des religieuses, organisées aux niveaux national, régional et continental, où chaque réalité conserve son identité unique et opère dans son propre pays ou région, tandis que la coordination internationale de l'uisg soutient le développement des compétences et la formation des réseaux et des membres. La force du réseau réside dans son engagement à la base, par le biais d'une stratégie ascendante (bottom-up), et dans son approche centrée sur la personne et la communauté, qui garantit la proximité avec les victimes et les survivants de la traite. « Notre modèle de leadership est participatif, car il y a une réelle collaboration et un partage des dons pour contribuer à l'efficacité de notre service : nous sommes des religieuses de différentes congrégations, et dans nos choix, nous voulons que la voix des sœurs mais aussi celle des personnes que nous accompagnons soit présente ».

C'est de cette prise de conscience qu'est né, l'année dernière, un appel intitulé « Appel à l'action » (Call to action), adressé aux sœurs, à l'Eglise catholique, aux chefs religieux d'autres traditions religieuses ou spirituelles, aux non-croyants, aux collaborateurs, aux amis et à toutes les personnes de bonne volonté qui partagent la vision d'un monde libéré de la traite et de l'exploitation des personnes.

L'engagement que la nouvelle coordinatrice a devant elle, dans la continuité du chemin tracé, consistera à favoriser la croissance de tous les réseaux, ainsi qu'à renforcer les partenariats de collaboration existants avec les organisations vaticanes et autres. « J'ai accueilli ce rôle de leader au sein de Talitha Kum, en adoptant son identité unique de réseau sans structures organisationnelles traditionnelles. En travaillant ensemble, nous partageons non seulement des dons et des disponibilités, mais aussi une direction commune. Je crois fermement que nous possédons chacun nos propres dons, à gérer avec une foi profonde en Dieu. Si nous croyons en notre leadership, nous pouvons nous responsabiliser et nous soutenir mutuellement, en recevant à notre tour soutien et force ».

En bref, la leader a un rôle de coordination, qui s'exerce d'une manière différente par rapport à ce qui se passe traditionnellement dans la hiérarchie ecclésiastique : si la supérieure d'un Institut a un charisme visant à la gouvernance, les sœurs de Talitha Kum agissent comme un pont entre la structure traditionnelle et celle du réseau, dans le dialogue et la coresponsabilité, sans se superposer aux figures apicales des Congrégations. Il est important de reconnaître que ce leadership des femmes consacrées mûrit dans les réalités les plus marginales et vulnérables, devient un instrument de transformation de la société à partir des valeurs évangéliques. « Nous avons une expérience commune, nous dialoguons, c'est ce qui fait la différence. A Talitha Kum, en tant que coordinatrice de l'Asie, j'ai dû écouter, négocier, mettre sur la table les propositions des différents réseaux, puis chercher une médiation. Nous décidons ensemble, dans une Coordination où nous incluons aussi les figures non-apicales. En Asie, explique Abby, « Talitha Kum organise une réunion mensuelle entre les coordinatrices des 14 réseaux. Mon leadership s'est exercé lors de discussions avec mon équipe et les coordinatrices. Et là a été ma force, que je veux aussi voir se reproduire en Afrique, en Amérique latine, sur les autres continents. Et ici, à Rome ».

Un choix en phase avec la mission du réseau. « Notre prise en charge des victimes et des survivants de la traite des personnes est fondée sur la conviction que la dignité des opprimés et des exploités peut être restaurée grâce aux relations sororales et fraternelles », explique Abby. « Dans une relation d'égal à égal, les sœurs marchent ensemble avec les victimes sur le chemin de la guérison ».

Il s'agit d'une méthode partagée, entre les religieuses de différentes congrégations qui travaillent en réseau sur la question de la traite et qui se présentent à l'extérieur comme des réalités dotées d'une autorité propre au niveau ecclésial. Au Japon, par exemple, où Abby a travaillé, la conférence épiscopale a inclus le réseau parmi les organismes de la section migrations. Ainsi, tout en conservant son autonomie, Talitha Kum a la possibilité d'être présente dans des contextes institutionnels laïcs et de s'exprimer sur la question des droits et de la traite au nom de l'Eglise japonaise.

Sœur Abby se souvient des débuts de son ministère au Japon, à la paroisse Saint-Ignace de Tokyo. « Je ne connaissais pas la langue. Je comprenais parfaitement la détresse des dizaines de femmes étrangères qui venaient à l'église juste pour trouver un environnement accueillant ». Les histoires et les visages qui me viennent à l'esprit sont nombreux. « A Kawazaki, nous avons créé une ONG, car de nombreuses femmes philippines sont victimes de trafic vers le Japon. Elle s’appelle "Kalakasan", qui signifie "force" en tagalog. Nous avons également découvert des cas de trafic d'"enfants japonais philippins" (Japanese Filipino Children ;  jfc ).  Ce sont les enfants de femmes philippines et d'hommes japonais. Les mères ont été souvent victimes de la traite. Lorsque les enfants n'avaient que quelques mois, ils étaient confiés à leurs familles aux Philippines, car en raison du coût élevé de la vie, ils ne pourraient pas survivre au Japon. « C'est un phénomène très répandu. Ces enfants, une fois devenus adolescents, retournent au Japon, mais ils sont souvent exploités, maltraités, brimés. Ils ne savent pas qui ils sont, ils ne parlent pas la langue, ils ne sont pas intégrés. Nous avons essayé de les aider à trouver leur propre identité, à travers un programme qui implique également leurs mères ». Mais les jeunes sont aussi au centre des projets de lutte contre la traite, grâce à des interventions dans les écoles. « En écoutant leurs observations, en voyant leur passion, j'ai beaucoup appris », déclare Abby.

Travailler avec d'autres sœurs, étudier ensemble, permet de se donner de la force réciproquement. Et de résister même dans les situations les plus difficiles. « Nous avons devant nous un objectif précis, la lutte contre la traite, et en tant que femmes consacrées, nous avons quelque chose de spécifique à dire fruit d'une expérience de vie directe avec les victimes et celles et ceux qui ont vécu la violence de la traite. Nous pouvons faire la différence, ensemble, en réseau ». Un exemple de leadership partagé qui a beaucoup à dire à l'Eglise en chemin synodal. Une suggestion ? Abby l'exprime à partir de sa propre expérience : « Avant de réfléchir à la manière de résoudre un problème, lorsque vous avez une personne en face de vous, vous devez vous occuper de la relation, de la rencontre. Ecoutez, écoutez, écoutez”.

VITTORIA PRISCIANDARO
Journaliste Revues «Credere»  et «Jesus»