Parmi les blessures infligées par la guerre, certaines sont également invisibles. Mais pas pour autant moins douloureuses, et parfois, elles ne cicatrisent jamais. Le samedi 3 décembre, François a reçu dans un climat particulièrement festif un groupe de porteurs de handicap. C’était une journée d’orage à Rome.
Peu avant l’audience avec le Pape, un violent coup de tonnerre a fait vibrer les fenêtres. Un bruit «normal» pour une journée de pluie battante, mais qui a terrorisé jusqu’aux larmes trois jeunes porteuses de handicap ukrainiennes qui faisaient partie du groupe. Pour elles — depuis le 24 février dernier — ce n’est plus un bruit «normal». C’est le bruit de la guerre, de la destruction. Et peu importe si à présent elles sont à des milliers de kilomètres des lieux pris pour cibles par les bombardements russes, parce que ce bruit reste à l’intérieur. Et sans doute la peur qui l’accompagne restera-t-elle pour toujours avec elles. Au début du pontificat — en août 2013 — François éleva un appel pressant afin que cesse «le fracas des armes». Il utilisa précisément ces paroles. Dans ce cas, il demandait la fin d’une autre guerre terrible, celle en Syrie, mais cet appel douloureux afin que se taisent les armes, afin qu’elles ne fassent plus de bruit, le Pape l’a répété et continue de le répéter inlassablement pour chaque conflit dans le monde. Un appel devenu si souvent prière. Et jusqu’aux larmes, comme cela a été le cas le jour de l’Immaculée.
Dans les heures qui ont suivi le début de la guerre en Ukraine, de nombreuses personnes commentaient qu’il était inimaginable de penser entendre à nouveau le son des sirènes anti-aériennes dans une capitale européenne après la deuxième guerre mondiale. Ce son que nous, citoyens du Vieux Continent, voulions relégué aux livres d’histoire, à la mémoire collective. Et qui, en revanche, a recommencé de façon tragique à ponctuer la vie, et même la survie, de millions de personnes en Ukraine. A cet égard, ce qu’a confié une femme ukrainienne à un bénévole d’Emergency, après avoir été accueillie en Italie, est significatif: «Pour nous, nous habituer aux bruits de la guerre a été vraiment dur. Même si ces grondements ont disparu, aujourd’hui encore, lorsque nous entendons un son semblable, nous continuons de sursauter. Désormais, le silence est quelque chose de précieux».
Le bruit de la guerre, un bruit de fond de mort. Qu’il y ait un réflexe destructeur et diabolique dans le fracas des armes est quelque chose dont l’homme a fait l’expérience tragique de génération en génération, même si le bruit des épées est différent de celui des bombes. «Le bruit — dit le diable dans Tactique du diable de C.S. Lewis — c’est... notre seule défense contre les scrupules idiots... et les désirs irréalisables. Nous finirons par remplir tout l’univers de bruit». Voilà la racine luciférienne de la guerre. Celui qui la fait, a averti le Pape, «s’en remet à la logique diabolique et perverse des armes». Une logique qui veut augmenter le volume du bruit pour envahir le silence et effacer tout son. Pour éliminer toute parole, qui ne peut exister sans silence. Le bruit là où l’on entendant les voix d’enfants à l’école, le bruit qui fait taire les rires des enfants dans la rue et qui réduit au silence même les bruits de la nature. «Je suis si fatiguée des explosions — a dit Yeva, une enfant ukrainienne — je voudrais entendre le son de la paix». Il faut faire de la place à ce son. Et le faire vite, avant de remplir tout l’univers de bruit.
Alessandro Gisotti