Prendre le risque de «chercher à aller au-delà»: telle est la vocation du théologien énoncée par le Pape dans son discours adressé dans la matinée du jeudi 24 novembre, aux membres de la Commission théologique internationale, reçus en audience dans la salle du Consistoire. En rappelant l’activité de plus de cinquante ans de l’organisme institué au sein du dicastère pour la doctrine de la foi, François a souhaité une augmentation du «nombre de femmes» au sein de la Commission, «parce qu’elles ont une pensée différente des hommes et qu’elles font de la théologie quelque chose de plus profond, et également de plus “savoureux”».
Chers frères et sœurs, bonjour!
Je remercie le cardinal Ladaria pour ses aimables paroles et je vous exprime à tous ma gratitude pour la générosité, la compétence et la passion avec lesquelles vous avez assuré votre service en ce dixième quinquennat d’activité de la Commission théologique internationale.
Grâce aux outils dont nous disposons aujourd’hui, vous avez pu commencer vos travaux à distance, surmontant les difficultés encore dues à la pandémie. Et je me réjouis également de l’accueil que vous avez réservé aux propositions des trois thèmes à approfondir: le premier est l’actualité incontournable et toujours féconde de la foi christologique professée par le Concile de Nicée, à l’occasion du 1700e anniversaire de sa proclamation (325-2025); le deuxième est l’examen de certaines questions anthropologiques aujourd’hui émergentes et d’une importance cruciale pour le chemin de la famille humaine, à la lumière du plan divin du salut; et le troisième est l’approfondissement — aujourd’hui toujours plus urgent et décisif — de la théologie de la création dans une perspective trinitaire, à l’écoute du cri des pauvres et de la terre.
En affrontant ces thèmes, la Commission théologique internationale poursuit son service avec un engagement renouvelé. Vous êtes appelés à l’accomplir dans le sillage tracé par le Concile Vatican ii qui, soixante ans après son lancement, constitue la boussole sûre pour le chemin de l’Eglise, «sacrement, c’est-à-dire à la fois le signe et le moyen de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain» (Constitution dogmatique Lumen gentium, n. 1).
Je voudrais vous indiquer trois lignes directrices de marche en ce moment historique, un moment ardu et pourtant, pour un regard de foi, chargé de la promesse et de l’espérance qui jaillissent de la Pâque du Seigneur crucifié et ressuscité.
La première ligne directrice est celle de la fidélité créative à la Tradition. Il s’agit d’assumer avec foi et amour et de décliner avec rigueur et ouverture l’engagement à exercer le ministère de la théologie — à l’écoute de la Parole de Dieu, du sensus fidei du peuple de Dieu, du Magistère et des charismes, et dans le discernement des signes des temps — pour le progrès de la Tradition apostolique, sous l’assistance de l’Esprit Saint, comme l’enseigne la Constitution Dei Verbum (cf. n. 8). Benoît xvi décrit en effet la Tradition comme «le fleuve vivant dans lequel les origines sont toujours présentes» (Catéchèse, 26 avril 2006); de sorte qu’elle «irrigue diverses terres, alimente différentes géographies, en faisant germer le meilleur de cette terre, le meilleur de cette culture. De cette manière, l’Evangile continue à s’incarner dans tous les lieux du monde, de manière toujours nouvelle» (Constitution apostolique Veritatis gaudium, n. 4d).
La tradition, l’origine de la foi, qui grandit ou qui s’éteint. Parce que quelqu’un disait — je crois que c’était un musicien — que la tradition est la garantie de l’avenir et non une pièce de musée. C’est ce qui fait grandir l’Eglise de bas en haut, comme l’arbre: les racines. En revanche, un autre disait que le traditionalisme était la «foi morte des vivants»: lorsque tu t’enfermes. La tradition — je tiens à le souligner — nous fait avancer dans cette direction, de bas en haut, verticalement. Aujourd’hui, il y a un grand danger qui consiste à aller dans une autre direction, la «marche-arrièriste». Faire marche arrière. «On a toujours fait comme cela»: il vaut mieux faire marche arrière, c’est plus sûr, que d’avancer avec la tradition. Cette dimension horizontale, nous l’avons vu, a poussé certains mouvements, des mouvements ecclésiaux, à rester figés dans le temps, dans une marche en arrière. Ce sont les «marche-arriéristes». Je pense — pour faire une référence historique — à certains mouvements nés à la fin de Vatican i, cherchant à être fidèles à la tradition et qui, aujourd’hui, se développent ainsi au point d’ordonner des femmes, et d’autres choses, en dehors de cette direction verticale, dans laquelle la conscience morale grandit, la conscience de la foi grandit, avec cette belle règle de Vincent de Lérins: «ut annis consolidetur, dilatetur tempore, sublimetur aetate». C’est cela, la règle de la croissance. La «marche-arriérisme», au contraire, te conduit à dire qu’«on a toujours fait comme cela, il vaut mieux continuer ainsi», et ne te permet pas de grandir. Sur ce point, vous, les théologiens, réfléchissez un peu à la façon d’aider.
La deuxième ligne directrice concerne l’opportunité, afin de réaliser de manière pertinente et incisive l’œuvre d’approfondissement et d’inculturation de l’Evangile, de s’ouvrir avec prudence à l’apport des différentes disciplines grâce à la consultation d’experts, y compris non-catholiques, comme le prévoient les statuts de la Commission (cf. n. 10). Il s’agit — je l’ai souhaité dans la Constitution apostolique Veritatis gaudium — de tirer profit du «principe d’interdisciplinarité»: «non pas tant dans sa forme “faible” de simple multidisciplinarité, comme approche qui favorise une meilleure compréhension de plusieurs points de vue d’un objet d’étude, que plutôt dans sa forme “forte” de transdisciplinarité, c’est-à-dire comme disposition et fermentation de tous les savoirs dans l’espace de Lumière et de Vie, offert par la Sagesse qui émane de la Révélation de Dieu» (n. 4c).
La troisième ligne directrice, enfin, est celle de la collégialité. Elle acquiert une importance particulière et peut apporter une contribution spécifique dans le contexte du parcours synodal, auquel est convoqué tout le peuple de Dieu. C’est ce que souligne le document élaboré à ce sujet, dans le précédent quinquennat, sur La synodalité dans la vie et la mission de l’Eglise: «Comme c’est le cas pour toutes les vocations chrétiennes, le ministère du théologien est lui aussi personnel et en même temps communautaire et collégial. La synodalité ecclésiale engage donc les théologiens à faire de la théologie de manière synodale, en promouvant entre eux la capacité d’écouter, de dialoguer, de discerner et d’intégrer la multiplicité et la diversité des instances et des contributions» (n. 75).
Les théologiens doivent aller au-delà, chercher à aller au-delà. Mais je veux distinguer cela du catéchiste: le catéchiste doit donner la doctrine juste, la doctrine solide; pas les éventuelles nouveautés, dont certaines sont bonnes, mais ce qui est solide; le catéchiste transmet la doctrine solide. Le théologien se risque à aller au-delà, et ce sera le magistère qui l’arrêtera. Mais la vocation du théologien est toujours de se risquer à aller au-delà, parce qu’il cherche, et qu’il cherche à mieux expliciter la théologie. Mais ne jamais donner aux enfants ou aux adultes une catéchèse avec des doctrines nouvelles qui ne sont pas sûres. Cette distinction n’est pas de moi, mais de saint Ignace de Loyola qui, je crois, comprenait cela mieux que moi!
Je vous souhaite donc, dans cet esprit d’écoute mutuelle, de dialogue et de discernement communautaire, dans l’ouverture à la voix de l’Esprit Saint, un travail serein et fructueux. Les thèmes confiés à votre attention et à votre expertise revêtent une grande importance dans cette nouvelle étape de l’annonce de l’Evangile, que le Seigneur nous appelle à vivre en tant qu’Eglise au service de la fraternité universelle dans le Christ. En effet, ces questions nous invitent à assumer pleinement le regard du disciple qui, avec un étonnement toujours nouveau, reconnaît que le Christ, «dans la révélation même du mystère du Père et de son amour, manifeste pleinement l’homme à lui-même et lui découvre la sublimité de sa vocation» (Constitution pastorale Gaudium et spes, n. 22); et ainsi il nous enseigne que «la loi fondamentale de la perfection humaine, et donc de la transformation du monde, est le commandement nouveau de l’amour» (ibid., 38). Et j’ai employé le mot «étonnement». Je crois qu’il est important, peut-être pas tant pour les chercheurs, mais certainement pour les professeurs de théologie: se demander si les leçons de théologie provoquent un étonnement parmi ceux qui les suivent. C’est un beau critère, cela peut aider.
Chers frères et sœurs, je vous remercie pour votre précieux service, vraiment précieux. De tout cœur, je bénis chacun de vous et vos collaborateurs. Et je vous demande, s’il vous plaît, de prier pour moi.
Je crois qu’il serait sans doute important d’augmenter le nombre des femmes, non pas parce qu’elles sont à la mode, mais parce qu’elles ont une pensée différente des hommes et qu’elles font de la théologie quelque chose de plus profond, et également de plus «savoureux». Merci.