Reportage
Au sud de l'Espagne, la foi continue à briller, malgré une époque de forte sécularisation, et elle le fait en particulier à travers l'activité des confraternités, des sanctuaires et à travers des manifestations de religiosité nées des gens simples. L’influence des confraternités et des pèlerinages est fondamentale pour diffuser et enraciner l'amour pour Marie dans cette terre, comme l'explique Álvaro Román, directeur de la Chaire de Mariologie de la Faculté Saint-Isidore de Séville. «Toute sa géographie est liée à la vénération mariale. En plus des grandes dévotions partagées depuis des siècles, comme la Virgen del Carmen ou celle du Rosaire, il en existe d'autres: la Divine Pasteure, qui naît à Séville en 1703 et se diffuse dans toute l'Espagne, en Italie et dans la région hispano-américaine; la Virgen de la Cabeza ad Andújar, El Rocío à Huelva et la Esperanza Macarena à Séville. Contrairement à d'autres lieux du monde catholique, la dévotion a ici pour effet que la foi continue à être forte, vivante et qu'elle promeut de nombreux projets sociaux et évangélisateurs», affirme Álvaro Román.
Ce n'est pas une simple pensée. «C'est une expression de la médiation de Marie. Non seulement les fidèles croient que la Vierge les accompagne, mais ils en font l'expérience. Le témoignage en sont les ex-voto», explique le professeur.
L'Esperanza Macarena est très importante en raison de l'impact qu'ont ses processions lors de la Semaine Sainte. «Sa dévotion remonte au XVIe siècle, quand elle naît dans le Collège de Saint-Basile à Séville», explique le prêtre. «C'est à partir de ce moment-là que commence la profonde relation de dévotion de la Esperanza avec le quartier de la Macarena; au point qu'au fil des siècles, la Vierge prend le nom du quartier, comme si Elle était l'une de ses habitants. Dans la deuxième moitié du XIXe siècle, avec le Romantisme, et au début du XXe siècle a lieu une explosion de dévotion qui la lie de manière indissoluble à la ville et après la Guerre civile, avec l'édification de la basilique et tout ce que comporte son couronnement populaire et ensuite canonique en 1964, cette dévotion se consolide et se diffuse également dans d'autres pays. C'est à Elle que sont reliées toutes les formes d'expression populaire, non seulement dans le quartier ou à Séville, mais également dans toute l'Andalousie: les toréros, la copla [forme poétique de chansons populaires], les saetas [chants religieux traditionnels]… Elle représente notre culture», conclut-il.
Le Frère majeur actuel, José Antonio Fernández, raconte que «chaque génération de macarenos a consacré le meilleur de son talent et de ses capacités à diffuser la dévotion à la Très Sainte Vierge de la Esperanza Macarena; on compte actuellement plus de 16.500 frères et des centaines de milliers de fidèles de la Vierge dans les cinq continents. Cette réalité nous permet de continuer à être une confraternité populaire de quartier, mais avec un rayonnement international. En outre, des milliers de personnes se rendent à la basilique pour rencontrer la Virgen de la Esperanza, ce qui fait de ce temple un centre de pèlerinage marial universel». La vie de la confraternité comporte une activité liturgique qui, en plus des cultes — le plus important étant la procession à l'aube du Vendredi Saint —, inclut la célébration de trois messes quotidiennes dans la Basilique; un plan intégral de formation en présence et en e-learning pour tous les frères, et une action sociale qui comprend 25 programmes d'assistance, qui s'occupe d'envion 3.800 cas annuels et qui a destiné plus de 2,75 millions d'euros à la charité au cours des 6 dernières années. Comme le souligne le Frère Fernández, «la confraternité de la Macarena a une vie intense, au cœur de laquelle se trouvent la Virgen de la Esperanza et la dévotion qu'elle suscite chez des milliers de personnes».
Outre les dévotions liées à la Passion du Christ, la vénération de Marie à travers les titres de Gloire est très importante en Andalousie. La Virgen del Rocío, à Almonte, dans la province de Huelva, est universellement connue. Ses origines remontent à la fin du XIIIe siècle, quand le roi Alphonse X le Sage, en pleine reconquête chrétienne, ordonna de construire un ermitage et d'y placer une image de la Vierge qui, au début, prit le nom du lieu: Santa María de las Rocinas. Santiago Padilla, président de la confraternité-mère, explique qu'aujourd'hui El Rocío s'est consolidée comme une grande dévotion internationale. «La Virgen del Rocío est le canal à travers lequel de nombreuses personnes rencontrent le Christ, vivent leur foi et travaillent pour leurs frères dans les paroisses et dans les communautés d'origine. C'est une grande manifestation populaire de dévotion à la Virgen et au Divin Pastorcillo del Rocío».
Santiago Padilla rappelle plusieurs étapes historiques importantes: l’institution d'un culte permanent à travers la fondation d'une aumônerie à la fin du XVIe siècle, le couronnement canonique en 1919 et la visite du Pape Jean-Paul II en 1993. Les filiales de la confraternité sont déjà plus de 120 et, en 2000, une confraternité du Rocío a été fondée à Bruxelles, au cœur de l'Europe. Sa romería [son pèlerinage] constitue l'une des expressions de religiosité populaire les plus importantes du monde chrétien tout entier, et à la Pentecôte elle réunit plus d'un million de personnes autour de la Blanca Paloma, l'autre titre avec lequel on invoque la Virgen del Rocío. On connaît de nombreuses histoires d'intercession, comme celle vécue par le pédagogue originaire de Huelva, Manuel Siurot Rodríguez (1872-1940). «Siurot, dont la cause de béatification a été rouverte depuis peu dans le diocèse de Huelva, confia à la Vierge la guérison de sa fille unique, Antonia, atteinte d'une grave maladie et, miraculeusement, Elle lui sauva la vie», raconte Padilla.
La Virgen de la Cabeza di Andújar (Jaén) mérite elle aussi une attention particulière. La tradition raconte que cette petite sculpture en bois fut découverte en 1227 par un berger dans la Sierra Morena. Grâce à son témoignage, on construisit un ermitage pour conserver l'image médiévale, auprès de laquelle les habitants de Jaén se sont rendus au cours des siècles. «Grands parents et petits-enfants, de génération en génération, ont marché jusqu'au point le plus élevé de la Sierra Morena pour rencontrer Marie, la vénérer et demander son intercession auprès de son Fils», raconte Lola Ocaña, responsable des médias du diocèse. «Au cours de l'année, on célèbre deux grandes fêtes de la Virgen de la Cabeza: celle qui raconte sa rencontre avec le berger Juan de Rivas, appelée “la nuit de l'Apparition”, et sa « romería », considérée comme la plus ancienne d'Espagne et que Cervantes mentionne dans son œuvre, Les Travaux de Persille et Sigismonde. La dernière semaine d'avril, des milliers de pèlerins, romeros, se réunissent et se rendent à la basilique pour vénérer la Très Sainte Vierge. On y vit une expérience qui touche le cœur: celle des calzadas, des personnes qui parcourent la dernière partie du chemin dallé et très raide à genoux, pieds nus ou avec un enfant dans les bras, pour rendre grâce ou comme supplique», ajoute-t-elle. L’image originale fut cachée pendant la Guerre civile espagnole, mais ensuite elle ne fut plus retrouvée, c'est pourquoi à la fin du conflit on en réalisa une nouvelle. Le sanctuaire, gardé par les Trinitaires, est un lieu de pèlerinage, de conservation et de préservation de la Très Sainte Vierge de la Cabeza, Rose d’Or du Saint-Siège depuis 2009. Ce fut la dernière année où elle sortit du Sanctuaire de la Sierra Morena, en tant que grâce par concession pontificale, ce qui eut lieu à nouveau 2022.
Ce sont trois manières de vénérer la Vierge. Trois exemples du fait que, du point de vue sociologique, culturel et de la spiritualité, l’Andalousie ne peut pas être comprise sans la dévotion à Marie et qu'aujourd'hui encore elle continue à être fidèle au modèle de la Mère dans la Foi.
Ana Medina
Journaliste du diocèse de Malaga, écrivaine et poétesse