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A Cabo Verde trois religieuses aident les femmes victimes de la prostitution

La liberté retrouvée

 La liberté retrouvée  FRA-037
15 septembre 2022

Libérer les femmes des chaînes de toute forme d’esclavage, avec une attention spéciale aux victimes de la prostitution et de la traite dans des buts d’exploitation -sexuelle: telle est la mission menée par la Congrégation des Adoratrice servantes du Très-Saint Sacrement et de la Charité, fondée par Micaela Desmaisières y López Dicastillo y Olmeda — aujourd’hui vénérée comme sainte María Micaela — en 1856 à Madrid. La jeune Micaela, appartenant à la noblesse espagnole, après avoir connu à l’hôpital madrilène «Saint Jean de Dieu» une jeune femme victime de la prostitution, renonce à sa position sociale pour consacrer sa vie aux autres et ouvre en 1845 sa première maison d’accueil pour femmes exploitées. Suivant le charisme de leur fondatrice, elles sont actuellement présentes sur quatre continents avec 170 projets répartis dans vingt-cinq pays. Et même du petit archipel de Cabo Verde — raconte à notre journal sœur Simona Perini en paraphrasant le chapitre 3 de l’Exode — «est arrivé à nos oreilles» le cri de souffrance de nombreuses femmes prises au piège, pour survivre, dans les mailles de l’exploitation. «Comment pouvions-nous rester indifférentes à cet appel à l’aide? Voilà pourquoi», explique-t-elle, «il y a treize ans, certaines consœurs ont fondé la communauté adoratrice dans la ville de Mindelo, sur l’île de São Vicente». Les trois religieuses (l’italienne Simona et deux espagnoles) sont aujourd’hui encore en première ligne pour redonner une dignité et libérer les femmes victimes ou à risque de prostitution qui «vivent dans des conditions d’extrême pauvreté dans des baraques à la périphérie, généralement construites avec le métal recyclé des containers, sans lumière, ni eau, gaz ou services sanitaires. Un grand nombre d’entre elles sont des filles-mères, maltraitées ou abandonnées par leurs compagnons, contraintes à se prostituer pour pouvoir subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs familles».

La petite congrégation est devenue au cours des années une présence libre et libératrice pour les femmes en situation de vulnérabilité sur l’île. En 2016, elles ont lancé le programme social Kreditá na bo («Crois en toi» en langue créole locale), dont les objectifs principaux sont: libération, promotion personnelle, réinsertion socio-professionnelle des femmes et dénonciation des situations d’injustice. Le programme, qui s’appuie sur une équipe de professionnels de Cabo Verde, est constitué de plusieurs projets: centre d’écoute, activités de contact à bas seuil, intervention psychosociale auprès d’adolescentes en risque d’exclusion et de prostitution, et sensibilisation. «Le centre d’écoute — explique Simona Perini — est un espace consacré à l’accueil et à l’accompagnement éducatif, psychologique et juridique de femmes de toute nationalité, âgées de 18 à 40 ans (sauf exceptions), qui vivent à São Vicente ou sur d’autres îles». Les bénéficiaires ont la possibilité de participer à des cours de formation (alphabétisation, informatique, cuisine, couture). Tous les mois est en outre distribué un paquet alimentaire à certaines familles des bénéficiaires du programme. «Il s’agit toutefois d’une aide temporaire pour éviter de tomber dans l’assistentialisme», souligne la religieuse.

Le but de l’activité de contact de bas seuil est en revanche celui d’instaurer un rapport direct avec les victimes de la prostitution, pour favoriser la recherche d’alternatives dans l’édification d’une vie libre et digne. Il est fondamental, souligne sœur Simona, «de connaître en première personne la réalité sociale, économique et familiale de toutes les femmes qui utilisent notre service et qui décident de faire un bout de chemin avec nous. Des visites à domicile hebdomadaires sont prévues; les sœurs et les opératrices entrent donc dans les maisons, passent du temps avec les gens du quartier, en conversant ou en prenant un chà (thé). En se promenant dans les ruelles, elles observent et recueillent des informations, pour tracer un parcours ad hoc».

Ce projet, qui touche actuellement 185 femmes, «naît aussi de la nécessité d’apporter des réponses concrètes à un nombre toujours plus élevé d’adolescentes marginalisées, qui risquent de tomber dans les mailles de la prostitution; dans l’espace qui leur est consacré, elles ont la possibilité d’acquérir des capacités nécessaires pour un développement harmonieux: soutien scolaire, formation de groupe sur les valeurs, soutien psychologique, éducatif et juridique. Un autre objectif important est de sensibiliser la société de Cabo Verde sur les questions liées au trafic et à l’exploitation sexuelle, en donnant des informations concernant l’assistance aux victimes et en favorisant une prise de conscience sur l’importance de leurs propres actions et omissions dans ce domaine, de façon à les rendre tous responsables.

Bien que Cabo Verde soit considéré depuis 2007 comme ayant un indice moyen de développement, l’archipel doit encore face face à la sécheresse et au fléau du chômage, surtout des jeunes et des femmes. 9,2 pour cent de la population vit dans une pauvreté extrême, selon l’agence des Nations unies pour les affaires humanitaires. «L’absence de perspectives risque de déboucher sur l’abus d’alcool, l’usage de substances psychoactives, la délinquance juvénile, et la mendicité. Au cours des dernières années, l’archipel a également été frappé par la prostitution alimentée par le tourisme sexuel et le drame de la prostitution infantile», avertit notre interlocutrice, en soulignant que travailler dans des domaines si délicats comporte des défis quotidiens: Aujourd’hui, notre défi le plus grand est de garantir un lieu sûr et d’accompagner, pour un bout de chemin, les adolescentes et les femmes les plus vulnérables. De nombreuses jeunes filles sont violées par leur beau-père et d’autres membres de leurs familles, d’autres courent le risque ou exercent déjà la prostitution. A cela s’ajoute le nombre croissant de cas de grossesse précoce, qui contraint de nombreuses jeunes mères à accepter des vexations pour avoir un toit pour elle et pour leur enfant à naître». La communauté a l’intention d’élargir son domaine d’action à d’autres îles. «Nous tenons en particulier — déclare-t-elle — à créer des maisons d’accueil pour les femmes victimes de la traite, de la prostitution, de la violence de genre et pour les adolescents vulnérables».

Grâce à une importante subvention espagnole, «nous réussissons entre temps à soutenir, au moyen du micro-crédit, le rêve de nombreuses femmes qui fréquentent nos cours de cuisine. Lorsqu’elles ont complété la formation également sur la gestion d’entreprise, chacune d’elle reçoit un kit. Les produits sont ensuite vendus comme street food».

L’histoire de Júlia (nom fictif) qui, comme l’affirme avec enthousiasme sœur Simona, «a cru en elle-même» est emblématique, et elle est ainsi devenue un germe d’espérance pour de nombreuses autres femmes: «Cette jeune femme, à travers le bouche à oreille, s’est adressée il y a des années à notre centre pour demander de l’aide; éprouvée par une vie passée à se prostituer, elle aspirait à trouver d’autres moyens de nourrir sa famille nombreuse et de sortir de sa condition de dénuement. Júlia vivait dans une petite maison en tôle et n’avait qu’un petit brasero dans la cour pour cuisiner. Nos opératrices lui ont proposé de fréquenter le cours de cuisine. Son désir de libération et son besoin de se confier à quelqu’un pour la soutenir étaient si forts qu’avant même d’avoir terminé le cours, elle commença à vendre des aliments qu’elle avait préparés. Aujourd’hui, avec un travail digne, elle a pu obtenir de meilleures conditions de logement et atteindre un niveau de vie plus serein». Cette histoire est la démonstration qu’ensemble, on peut inverser le cap en s’engageant sur un nouveau chemin vers la liberté.

#sistersproject

Alicia Lopes Araújo