Le Reportage
En les regardant aujourd’hui, à l’ombre du drapeau de la paix qui flotte devant l’église en bois de sapin, les sœurs clarisses de Lecce sont presque une icône. D’un choix de vie durable dans un contexte où la nécessité de sauvegarder l’environnement semble être mise entre parenthèses face à un développement agressif nourri de guerres et de violences. D’une vocation religieuse qui s’est laissée interroger par les questions que la vie lui a présentées, parfois sans trop d’égard, et précisément pour rester fidèle à ses racines, a su trouver une nouvelle déclinaison. D’une capacité toute féminine à s’abandonner aux chemins fantaisistes de la Providence, qui parmi ses favoris, peut se servir de bienfaiteurs généreux comme d’improbables nobles.
Le premier monastère entièrement écocompatible se trouve aux portes de Lecce, à trois kilomètres du baroque triomphant du centre historique. Il est composé de structures blanches et basses – les cellules des religieuses, une petite maison d’hôtes, un atelier, une salle capitulaire et deux petits salons de réception – qui convergent autour de l'église, rappelant par leur architecture les fermes typiques des environs, sur un terrain de neuf hectares, parmi de jeunes arbres et des allées marquées par des pierres blanches et des buissons de lavande.
Quatre religieuses y vivent, Celeste, Marilù, Ilenia e Romina, toutes âgées plus ou moins de cinquante ans, dont les vocations sont nées dans l’Eglise des Pouilles, au sein de l’Action catholique. Il y a vingt ans, elles n’auraient jamais imaginé se retrouver ici, dans ces milieux où la clôture est une porte ouverte sur la création et aussi un accueil pour les pèlerins qui y arrivent à la recherche d’un espace de silence et de prière.
L’histoire des sœurs de Sainte Claire est liée à l’installation des méthanoducs dans la zone où était situé le monastère. « Notre monastère est né au dix-septième siècle, à Soleto. Depuis, nous avons toujours eu des vocations. Jusqu’à il y a vingt ans, de nombreuses jeunes filles ont demandé à y entrer, dont certaines albanaises ». A la fin de l’an 2000, « le système de méthanisation a été installé le long du périmètre du monastère, à l’aide d’un marteau piqueur. En l’espace de quelques temps, des fissures sont apparues sur les murs ». Des religieuses qui étaient là depuis 60 ans, certaines âgées de 90 ans, sont contraintes, avec les plus jeunes, de plier bagage en toute hâte et de chercher « un endroit temporaire en quelques jours », dit Celeste, la responsable de la communauté. La phrase n’est pas choisie au hasard. C’est en effet l’une des expressions les plus célèbres utilisées par don Tonino Bello – « Je pense qu’il n’y a pas de meilleures formules pour définir la croix » - évêque saint, pouillais, qui sourit en photo sur les murs du monastère et que Celeste précisément a eu comme curé lorsqu’elle était enfant à Tricase.
Dans le parloir lumineux, où la chaleur extérieure est tempérée par les murs en bois, le récit se poursuit devant un délicieux jus de fraises et de citron, produit du petit jardin potager de la maison. « Après l’abandon précipité du monastère, nous avons d’abord été accueillies dans une maison d’exercices du diocèse d’Otrante. Puis les frères franciscains nous ont offert l’hospitalité dans un ancien couvent désaffecté, à San Simone, dans le diocèse de Nardò – Gallipoli. Mais nous avions la nostalgie de notre diocèse d’origine, où notre communauté était l’unique présence monastique ». Le lien avec la ville est profond : les martyrs d’Otrante, canonisés en 2013, ont été élevés aux honneurs des autels précisément grâce à la guérison miraculeuse d’une de leurs sœurs, gravement malade et pour laquelle, en 1980, lors d’une peregrinatio de l’urne des martyrs, la communauté a prié, obtenant la grâce. Ainsi, en 2018, six ans plus tard, les clarisses sont revenues dans leur diocèse d’origine à Otrante, dans un couvent des frères minimes. « Cela faisait déjà longtemps que nous pensions établir de petites présences dans d’autres lieux. En 2013, une première communauté était née à Scutari, avec quatre sœurs albanaises et trois italiennes. Nous cherchions un lieu pour une autre fondation dans les Pouilles. Nous n’avions pas pris en considération Lecce, parce que c’était toujours dans le Salento, et nous pensions aller dans le nord de la région. Mais à la fin, c’est précisément la ville de Lecce qui a offert toutes les conditions pour la réalisation du projet ». En 2010, l’évêque, Mgr Domenico Umberto D’Ambrosio, met à la disposition des clarisses une partie d’un palais du seizième siècle, dans le centre historique de la ville. « Un prêt à usage gratuit dans les locaux qui abritaient auparavant la Caritas diocésaine. Pour nous, cela a été un grand défi ». Sans espaces verts, dans les splendeurs du baroque et avec le va et vient des touristes, les religieuses qui s’y installent doivent repenser leur appel à une vie de prière et de silence au cœur de la vie nocturne de Lecce. Dans un quartier où coexistent, comme dans d’autres centres historiques, « les maisons de personnes très riches et les taudis de très pauvres gens de toute origine ». Le palais où vit la petite communauté se trouve derrière la cathédrale, dans la même rue où se trouvent les logements municipaux pour les familles en difficulté. « Dès notre arrivée, nous sommes devenues un point de référence. De nombreuses personnes pensaient que le service de la Caritas, qui entre temps, s’était transféré ailleurs, était revenu. Nous avons commencé à établir des relations avec les habitants du quartier ». L’une des pièces de la communauté sert à l’hospitalité, une autre sert de chapelle. « Il est certain que vivre notre journée monastique alors que dans les immeubles d’en face, les familles étendent leurs linges, se disputent, mangent… nous a aidées à incarner la prière ». Alex, Ivan, Mohamed et d’autres noms reviennent. Ce sont les situations que les religieuses ont confiées à la prière, comme deux jeunes ayant tenté le suicide, les alcooliques, les jeunes avec des problèmes de drogue. Ou les immigrés qu’elles ont aidées à retourner chez eux, de l’autre côté de la Méditerranée ; et à se mettre en contact avec les services des institutions. « De nombreuses personnes ont frappé à notre porte et nous avons ouvert, en essayant de ne pas dénaturer notre réalité de vie. Vivre dans la pauvreté avec les pauvres, sans un service social direct. C’est de l’expérience dans le centre historique que partent les racines de notre enracinement ici ». Une situation délicate qui se poursuit pendant six ans. Au cours desquels les religieuses cherchent en vain un autre type de logement, plus adapté à la forme de vie monastique. « Mais effectivement, il était très difficile de trouver un autre lieu en ville qui nous convenait ».
Jusqu’à ce que, de façon inattendue, une série d’événements se superposent sans aucun lien rationnel entre eux, mais liés par une fascinante suggestion. « Un soir, deux personnes ont frappé à notre porte. Elles se sont présentées comme un couple : une femme polonaise et un italien, porteur de handicap, qui nous a dit appartenir à une famille noble. On leur avait volé leurs valises et tous leurs biens, et ils demandaient l’hospitalité ». Les religieuses acceptent leur récit sans poser de question, et tout en conversant, elles racontent leur rêve d’un monastère ailleurs, en contact avec la nature.
Quand, une semaine plus tard, ils s’en vont, sans dire un mot, ils laissent une gravure représentant des petites maisons de bois, pour leur souhaiter bonne chance, ainsi qu’un chèque important, don de la supposée mère de l’homme. Les religieuses ne se font pas d’illusion, vérifient et le chèque résulte sans provision. Aucune trace du couple. Deux jours plus tard, un ami, banquier à la retraite, « nous dit que deux sœurs de Lecce, riches, voulaient faire un don. De terrains et d’argent ». Le premier chèque des bienfaitrices, Dolores et Teresa Magliola, correspond à leur grande surprise plus ou moins à la somme de celui faux laissé par les deux pauvres. Les terrains sont à la périphérie de la ville, dans une zone de campagne, le long de la route adriatique qui conduit à Torre Chianca. Les religieuses pensent « à un projet en accord avec celui que le Seigneur nous demande : en repensant à l’essentialité des petites maisons de bois en Albanie, nous ressentions le besoin d’une habitation qui sauvegarde la maison commune ».
Elles s’adressent à un cabinet de Vérone conseillé par un frère franciscain missionnaire en Albanie, où les clarisses avaient vécu au début dans des préfabriqués en bois, dans le village de la paix de Scutari, créé dans les structures réalisées pour l’urgence au Kosovo. « C’était le lieu le plus franciscain dans lequel nous ayons habité ». De cette expérience est née l’idée du monastère actuel. « Nous voulions traduire notre forme de vie – prière, travail, fraternité, accueil – en une structure qui pouvait parler aux personnes d’aujourd’hui. En accord avec ce que nous dit le Pape François dans Laudato si’ ». Bois, panneaux solaires, solaire thermique, aucune installation à gaz, très peu de chauffage ou de climatisation.
En peu de temps, la structure est devenue un point de référence pour le diocèse. Les terrains autrefois arides accueillent aujourd’hui des caroubiers, des chênes, des cyprès, des peupliers, des pins, des robiniers, des albizias, des tilleuls et des arbustes méditerranéens, dont certains sont dédiés à des personnes décédées ou à des nouveau-nés, grâce également à la campagne « Offre-toi un arbre ».
Il y a aussi un verger de grenades, de coings et d’autres fruits, volontairement petit, car, disent les sœurs, « nous voulons sortir d’une mentalité qui exploite nécessairement les arbres, qui se concentre sur leur aspect productif et rentable, plutôt que sur la gratuité de la beauté et de la vitalité qu'ils donnent ». Et en attendant que leurs arbres grandissent, pour faire des confitures, les personnes du lieu apportent leurs fruits. Les amples espaces extérieurs se prêtent aux veillées les soirées d’août consacrées à sainte Claire, à la prière pour la paix, aux rencontres des groupes. Ou simplement pour profiter d’un peu de fraîcheur puis participer à la prière. Qui le désire peut acheter les confitures ou les liqueurs des religieuses, les produits artisanaux, surtout ceux en papier mâché, spécialité de la région. « C’est un lieu qui offre l’oxygène de la Parole et de la création », dit Céleste. Oui, parce que la clôture d’aujourd’hui a remplacé les grilles par des arbres et des buissons de lavande. Un espace vert à l’enseigne de la coexistence entre la personne et l’environnement, dans la tentative de rétablir l’harmonie de la création sur le morceau de terre reçu en don. Sainte Claire sourit, les traits légers et juvéniles, sur une aquarelle dans le parloir. Bleu ciel et solaire, comme les jeunes femmes portant le voile qui ont misé sur l’alliance avec la mère terre.
Vittoria Prisciandaro
Journaliste, revues San Paolo « Credere » et « Jesus »