Nous publions ci-dessous le message que le cardinal-secrétaire d’Etat a envoyé, au nom du Pape, à l’évêque de Rimini, Mgr Francesco Lambiasi à l’occasion du début de l’édition 2022 du Meeting pour l’amitié entre les peuples, qui s’est déroulé du 20 au 25 août sur le thème: «Une passion pour l’homme».
Excellence,
Le Saint-Père vous salue de tout cœur et vous confie, par mon intermédiaire, ce message pour le prochain Meeting pour l’amitié entre les peuples intitulé «Une passion pour l’homme». En ce centenaire de la naissance du Serviteur de Dieu Mgr Luigi Giussani, les organisateurs désirent faire mémoire avec gratitude de son zèle apostolique, qui l’a poussé à rencontrer de nombreuses personnes et à porter à chacun la Bonne Nouvelle de Jésus Christ. Il dit en effet, dans son discours au Meeting de 1985: «Le christianisme n’est pas né pour fonder une religion, il est né comme passion pour l’homme. […] L’amour de l’homme, la vénération pour l’homme, la tendresse pour l’homme, la passion pour l’homme, l’estime absolue pour l’homme».
Il semble parfois que l’histoire ait tourné le dos à ce regard du Christ sur l’homme. Le Pape François l’a souligné en de nombreuses occasions: «La fragilité des temps où nous vivons, c’est aussi cela: croire qu’il n’existe aucune possibilité de rachat, une main qui t’aide à te relever, une étreinte qui te sauve, te pardonne, te soulage, t’inonde d’un amour infini, patient, indulgent, et te permet de reprendre la route» (Le nom de Dieu est miséricorde. Conversation avec Andrea Tornelli, Robert Laffont 2016). C’est l’aspect le plus difficile de l’expérience de tant de personnes qui ont vécu la solitude pendant la pandémie ou qui ont dû tout abandonner pour fuir la violence de la guerre. Voici alors que la parabole du bon Samaritain est aujourd’hui plus que jamais une parole-clé, parce qu’il est évident que, «au plus profond d’eux-mêmes, les hommes attendent que le Samaritain vienne à leur aide, qu’il se penche sur eux, qu’il verse de l’huile sur leurs blessures, qu’il prenne soin d’eux et les mette à l’abri. En dernière analyse, ils savent qu’ils ont besoin de la miséricorde de Dieu et de sa délicatesse […], d’un amour salvifique qui leur soit donné gratuitement» (Entretien avec Sa Sainteté le Pape émérite Benoît xvi, dans Per mezzo della fede, par Daniele Libanori, Cinisello Balsamo 2016, 129).
L’Evangile indique le bon Samaritain comme modèle d’une passion inconditionnelle pour chaque frère et sœur que l’on rencontre le long de son chemin; et c’est pourquoi il trouve une résonance profonde avec le thème du Meeting: «Prenons soin de la fragilité de chaque homme, de chaque femme, de chaque enfant et de chaque personne âgée, par cette attitude solidaire et attentive, l’attitude de proximité du bon Samaritain» (Encyclique Fratelli tutti, n. 79).
Il ne s’agit pas seulement de générosité, que certains ont davantage et d’autres moins. Ici, Jésus veut mettre sous nos yeux la racine profonde du geste du bon Samaritain. Le Pape François la décrit ainsi: «reconnaître le Christ lui-même dans chaque frère abandonné ou exclu (cf. Mt 25, 40.45). En réalité, la foi fonde la reconnaissance de l’autre sur des motivations inouïes, car celui qui croit peut parvenir à reconnaître que Dieu aime chaque être humain d’un amour infini et qu’“il lui confère ainsi une dignité infinie”. A cela s’ajoute le fait que nous croyons que le Christ a versé son sang pour tous et pour chacun, raison pour laquelle personne ne se trouve hors de son amour universel» (ibid., n. 85).
Ce mystère ne cesse de nous surprendre, comme en témoigna précisément don Giussani en présence de saint Jean-Paul ii, le 30 mai 1998: «“Qu’est-ce que l’homme pour que tu t’en souviennes, le fils de l’homme pour que tu en prennes soin?”. Aucune question ne m’a jamais autant frappé, dans ma vie, que celle-ci. Il n’y a eu qu’un Homme au monde qui pouvait me répondre, en me posant une nouvelle question: “Quel avantage l’homme aura-t-il à gagner le monde entier s’il se perd lui-même? Ou que pourra-t-il donner en échange de sa vie?» […] Seul le Christ prend entièrement à cœur mon humanité» (Engendrer des traces dans l’histoire du monde, ed. Parole et Silence 2011).
C’est cette passion du Christ pour le destin de chaque créature qui doit animer le regard du croyant sur quiconque: un amour gratuit, sans mesure et sans calculs. Mais — nous demandons-nous —, tout ceci ne pourrait-il pas apparaître comme une pieuse intention, au regard de ce que nous voyons se produire dans le monde d’aujourd’hui? Dans l’affrontement de tous contre tous, où les égoïsmes et les intérêts partisans semblent dicter l’agenda dans la vie des individus et des nations, comment est-il possible de regarder ceux qui sont à nos côtés comme un bien à respecter, préserver et sauvegarder? Comment est-il possible de combler la distance qui sépare les uns des autres? La pandémie et la guerre semblent avoir creusé le fossé, faisant reculer le chemin qui mène à une humanité plus unie et solidaire.
Mais nous savons que la route de la fraternité n’est pas tracée dans les nuages: elle traverse les nombreux déserts spirituels présents dans nos sociétés. «Dans le désert, disait le Pape Benoît xvi, on redécouvre la valeur de ce qui est essentiel pour vivre; ainsi dans le monde contemporain les signes de la soif de Dieu, du sens ultime de la vie, sont innombrables bien que souvent exprimés de façon implicite ou négative. Et dans le désert il faut surtout des personnes de foi qui, par l’exemple de leur vie, montrent le chemin vers la Terre promise et ainsi tiennent en éveil l’espérance» (Homélie de la Messe d’ouverture de l’Année de la foi, 11 octobre 2012). Le Pape François ne se lasse pas d’indiquer la route qui traverse le désert en apportant la vie: «Notre engagement ne consiste pas exclusivement en des actions ou des programmes de promotion et d’assistance; ce que l’Esprit suscite n’est pas un débordement d’activisme, mais avant tout une attention à l’autre qu’il considère comme un avec lui. Cette attention aimante est le début d’une véritable préoccupation pour sa personne, à partir de laquelle je désire chercher effectivement son bien» (Exhort. ap. Evangelii gaudium, n. 199).
Retrouver cette conscience est déterminant. Une personne ne peut faire seule le chemin de la découverte de soi; la rencontre avec l’autre est essentielle. En ce sens, le Bon Samaritain nous indique que notre existence est intimement liée à celle des autres et que la relation avec l’autre est une condition pour devenir pleinement nous-mêmes et porter du fruit. En nous donnant la vie, Dieu s’est en quelque sorte donné lui-même à nous afin qu’à notre tour, nous nous donnions aux autres: «Un être humain est fait de telle façon qu’il ne se réalise, ne se développe ni ne peut atteindre sa plénitude que par le don désintéressé de lui-même» (Fratelli tutti, n. 87). Don Giussani ajoutait que la charité est un don de soi «ému». En effet, il est émouvant de penser que Dieu, le Tout-puissant, s’est penché sur notre rien, qu’il a eu pitié de nous et nous a aimés personnellement d’un amour éternel.
Quel est le fruit de celui qui, imitant Jésus, fait don de lui-même? «L’amitié sociale inclusive et une fraternité ouverte à tous» (ibid., n. 94). Une étreinte qui abat les murs et va à la rencontre de l’autre, consciente de la valeur de chaque personne concrète, quelle que soit la situation dans laquelle elle se trouve. Un amour de l’autre pour ce qu’il est: une créature de Dieu, faite à son image et à sa ressemblance, et donc dotée d’une dignité intangible, dont personne ne peut disposer ou, pire, abuser.
C’est cette amitié sociale que, en tant que croyants, nous sommes invités à alimenter par notre témoignage: «La communauté évangélisatrice, par ses œuvres et ses gestes, se met dans la vie quotidienne des autres, elle raccourcit les distances, elle s’abaisse jusqu’à l’humiliation si c’est nécessaire, et assume la vie humaine, touchant la chair souffrante du Christ dans le peuple» (Evangelii gaudium, n. 24). Comme les hommes et les femmes de notre temps ont besoin de rencontrer des personnes qui ne donnent pas de leçons de leur balcon, mais qui descendent dans la rue pour partager la fatigue quotidienne de la vie, soutenues par une espérance digne de confiance!
Le Pape François appelle avec insistance les chrétiens à cette tâche historique, pour le bien de tous, dans la certitude que la source de la dignité de chaque être humain et la possibilité d’une fraternité universelle est l’Evangile de Jésus incarné dans la vie de la communauté chrétienne: «Si la musique de l’Evangile cesse de vibrer dans nos entrailles, nous aurons perdu la joie qui jaillit de la compassion, la tendresse qui naît de la confiance, la capacité de la réconciliation qui trouve sa source dans le fait de se savoir toujours pardonnés et envoyés. Si la musique de l’Evangile cesse de retentir dans nos maisons, sur nos places, sur nos lieux de travail, dans la politique et dans l’économie, nous aurons éteint la mélodie qui nous pousse à lutter pour la dignité de tout homme et de toute femme» (Discours lors de la rencontre œcuménique, Riga - Lettonie, 24 septembre 2018).
Le Saint-Père espère que les organisateurs et les participants au Meeting 2022 accueilleront cet appel avec un cœur joyeux et disponible, en continuant de collaborer avec l’Eglise universelle sur la route de l’amitié entre les peuples, en répandant dans le monde la passion pour l’homme. Et en confiant cette intention à l’intercession de la Très Sainte Vierge Marie, il envoie de tout cœur sa bénédiction apostolique.
En vous adressant à mon tour mes meilleurs vœux pour que le Meeting réponde pleinement à vos attentes, je vous prie d’agréer l’expression de mes sentiments distingués.
Pietro cardinal ParolinSecrétaire d’Etat