Le lundi 25 juillet, le lendemain de son arrivée à Edmonton, le Saint-Père s’est rendu à Maskwacis, un territoire accueillant différentes réserves indiennes, au sud de la capitale de l’Alberta, où s’est déroulée la rencontre avec les peuples autochtones des First Nations, des Métis et des Inuits. A son arrivée, François a été accueilli par le curé de la paroisse et des anciens des peuples autochtones. Puis, le Pape s’est rendu au cimetière d’Ermineskin, où il s’est recueilli en prière. Il a ensuite salué des chefs autochtones canadiens présents, à proximité de cinq tipis — représentant les différentes nations autochtones — érigés sur les lieux de l’ancien pensionnat. Il s’est ensiute rendu au Bear Park Pow-Wow Grounds, où il a été accueilli par une délégation de chefs indigènes venus de tout le pays. C’est là qu’il a prononcé son premier discours, que nous publions ci-dessous:
Madame la gouverneure générale,
Monsieur le premier ministre,
chers peuples autochtones de Maskwacis et de cette terre canadienne,
chers frères et chères sœurs,
J’attendais ce moment pour être parmi vous. C’est d’ici, de ce lieu tristement évocateur, que je voudrais entamer ce qui habite mon âme: un pèlerinage pénitentiel. Je viens sur vos terres natales pour vous dire personnellement combien je suis affligé, pour implorer de Dieu pardon, guérison et réconciliation, pour vous manifester ma proximité, prier avec vous et pour vous.
Je me souviens des rencontres que j’ai eues à Rome il y a quatre mois. On m’avait remis deux paires de mocassins en gage, signe de la souffrance endurée par les enfants autochtones, surtout par ceux qui, malheureusement, ne revinrent jamais des écoles résidentielles à la maison. Il m’avait été demandé de rendre les mocassins une fois arrivé au Canada; je les ai apportés et je le ferai à la fin de ce discours, pour lequel je voudrais justement m’inspirer de ce symbole qui a ravivé en moi la douleur, l’indignation et la honte durant ces derniers mois. Le souvenir de ces enfants suscite une douleur et incite à agir afin que chaque enfant soit traité avec amour, honneur et respect. Mais ces mocassins nous parlent aussi d’un cheminement, d’un parcours que nous désirons parcourir ensemble. Marcher ensemble, prier ensemble, travailler ensemble, pour que les souffrances du passé cèdent la place à un avenir de justice, de guérison et de réconciliation.
C’est pourquoi la première étape de mon pèlerinage parmi vous se déroule dans cette région qui voit, depuis des temps immémoriaux, la présence des peuples autochtones. C’est un territoire qui nous parle, qui nous permet de faire mémoire.
Faire mémoire: frères et sœurs, vous avez vécu sur cette terre depuis des milliers d’années selon des modes de vie respectueux de la terre elle-même, héritée des générations passées et conservée pour les générations futures. Vous l’avez traitée comme un don du Créateur à partager avec les autres et à aimer en harmonie avec tout ce qui existe, dans une relation mutuelle de vie entre tous les êtres vivants. Vous avez ainsi appris à nourrir un sens de famille et de communauté, et vous avez développé des liens solides entre les générations, en honorant les personnes âgées et en prenant soin des plus petits. Que de bonnes coutumes et d’enseignements, centrés sur l’attention aux autres et sur l’amour de la vérité, sur le courage et le respect, l’humilité et l’honnêteté, sur la sagesse de la vie!
Mais, si tels ont été les premiers pas accomplis sur ces territoires, la mémoire nous ramène tristement aux suivants. L’endroit où nous sommes maintenant fait résonner en moi un cri de douleur, un cri étouffé qui m’a accompagné ces derniers mois. Je repense au drame subi par tant d’entre vous, par vos familles, par vos communautés; à ce que vous m’avez raconté sur les souffrances endurées dans les écoles résidentielles. Ce sont des traumatismes qui, d’une certaine manière, resurgissent chaque fois qu’ils sont rappelés et je me rends compte que même notre rencontre d’aujourd’hui peut réveiller des souvenirs et des blessures, et que beaucoup d’entre vous peuvent se trouver en difficulté au moment où je parle. Mais il est juste de le rappeler, car l’oubli conduit à l’indifférence et, comme on l’a dit, «le contraire de l’amour n’est pas la haine, c’est l’indifférence [...], le contraire de la vie n’est pas la mort, mais l’indifférence à la vie ou à la mort» (E. Wiesel ). Nous souvenir des expériences dévastatrices qui se sont déroulées dans les écoles résidentielles nous frappe, nous indigne et nous fait mal, mais cela est nécessaire.
Il est nécessaire de rappeler à quel point les politiques d’assimilation et d’affranchissement, comprenant également le système des écoles résidentielles, ont été dévastatrices pour les habitants de ces terres. Lorsque les colons européens y sont arrivés pour la première fois, il y avait cette grande opportunité de développer une rencontre fructueuse entre les cultures, les traditions et la spiritualité. Mais dans une large mesure, cela ne s’est pas produit. Et vos récits me reviennent à l’esprit : comment les politiques d’assimilation ont fini par marginaliser systématiquement les peuples autochtones; de même comment, à travers le système des écoles résidentielles, vos langues et vos cultures ont été dénigrées et supprimées; et comment les enfants ont subi des abus physiques et verbaux, psychologiques et spirituels; comment ils ont été éloignés de chez eux quand ils étaient petits et combien cela a marqué de manière indélébile la relation entre parents et enfants, grands-parents et petits-enfants.
Je vous remercie de m’avoir fait entrer au cœur de tout cela, d’avoir extrait les lourds fardeaux que vous portez en vous, d’avoir partagé avec moi ce souvenir poignant. Aujourd’hui, je suis ici, sur une terre qui porte, conjointement à une mémoire ancestrale, les cicatrices de blessures encore ouvertes. Je suis ici parce que la première étape de ce pèlerinage pénitentiel au milieu de vous est celle de renouveler la demande de pardon et de vous dire, de tout mon cœur, que je suis profondément affligé: je demande pardon pour la manière dont, malheureusement, de nombreux chrétiens ont soutenu la mentalité colonisatrice des puissances qui ont opprimé les peuples autochtones. Je suis affligé. Je demande pardon, en particulier, pour la manière dont de nombreux membres de l’Eglise et des communautés religieuses ont coopéré, même à travers l’indifférence, à ces projets de destruction culturelle et d’assimilation forcée des gouvernements de l’époque, qui ont abouti au système des écoles résidentielles.
Bien que la charité chrétienne ait été présente et qu’il y ait eu de nombreux cas exemplaires de dévouement envers les enfants, les conséquences générales des politiques liées aux écoles résidentielles ont été catastrophiques. Ce que la foi chrétienne nous dit, c’est qu’il s’agissait d’une erreur dévastatrice, incompatible avec l’Evangile de Jésus Christ. Il est douloureux de savoir que ce socle solide de valeurs, de langue et de culture, qui a donné à vos peuples un authentique sens d’identité, a été érodé, et que vous continuez à en subir les conséquences. Face à ce mal qui indigne, l’Eglise s’agenouille devant Dieu et implore le pardon des péchés de ses enfants (cf. Saint Jean-Paul ii, Bulle Incarnationis mysterium [29 novembre 1998], n. 11: AAS 91 [1999], p. 140). Je voudrais le répéter avec honte et clarté: je demande humblement pardon pour le mal commis par de nombreux chrétiens contre les peuples autochtones.
Chers frères et sœurs, bon nombre d’entre vous et de vos représentants ont affirmé que les excuses ne sont pas un point final. Je suis parfaitement d’accord: elles constituent seulement la première étape, le point de départ. J’ai moi aussi conscience que, «considérant le passé, ce que l’on peut faire pour demander pardon et réparation du dommage causé ne sera jamais suffisant» et que, «considérant l’avenir, rien ne doit être négligé pour promouvoir une culture capable non seulement de faire en sorte que de telles situations ne se reproduisent pas mais encore que celles-ci ne puissent trouver de terrains propices pour être dissimulées et perpétuées» (Lettre au Peuple de Dieu, 20 août 2018). Une partie importante de ce processus consiste à mener une sérieuse recherche sur la vérité du passé et à aider les survivants des écoles résidentielles à entreprendre des chemins de guérison pour les traumatismes subis.
Je prie et j’espère que les chrétiens et la société de cette terre grandiront dans leur capacité à accueillir et à respecter l’identité et l’expérience des peuples autochtones. J’espère que des moyens concrets seront trouvés pour les connaître et les apprécier, en apprenant à avancer tous ensemble. Pour ma part, je continuerai à encourager l’engagement de tous les catholiques à l’égard des peuples autochtones. Je l’ai fait à d’autres occasions et en divers lieux, par des rencontres, des appels et même par une exhortation apostolique. Je sais que tout cela demande du temps et de la patience: ce sont des processus qui doivent gagner nos cœurs. Ma présence ici et l’engagement des évêques canadiens témoignent de la volonté d’avancer sur cette voie.
Chers amis, ce pèlerinage s’étend sur quelques jours et touchera des lieux distants les uns des autres, toutefois il ne me permettra pas de donner suite à de nombreuses invitations ni de visiter des centres tels que Kamloops, Winnipeg, divers sites en Saskatchewan, au Yukon ou dans les Territoires du Nord-Ouest. Même si ce n’est pas possible, sachez que vous êtes tous dans mes pen-sées et mes prières. Sachez que je connais les souffrances, les traumatismes et les défis des peuples autochtones dans toutes les régions de ce pays. Mes paroles prononcées tout au long de ce voyage pénitentiel s’adressent à toutes les communautés et à tous les autochtones, que j’embrasse de tout cœur.
Pour cette première étape, j’ai voulu faire place à la mémoire. Aujourd’hui, je suis ici pour me souvenir du passé, pleurer avec vous, regarder la terre en silence et prier sur les tombes. Laissons le silence nous aider tous à intérioriser la douleur. Le silence. Et la prière: face au mal prions le Seigneur du bien et face à la mort prions le Dieu de la vie. Le Seigneur Jésus Christ a fait d’un tombeau, impasse de l’espérance, devant lequel tous les rêves s’étaient évanouis et où il n’était resté que pleurs, douleur et résignation, il a fait d’un tombeau le lieu de la renaissance, de la résurrection, d’où est partie une histoire de vie nouvelle et de réconciliation universelle. Nos efforts ne suffisent pas pour guérir et réconcilier, nous avons besoin de sa grâce: nous avons besoin de la sagesse douce et forte de l’Esprit, de la tendresse du Consolateur. Qu’Il comble les attentes de nos cœurs. Qu’Il nous prenne par la main. Qu’Il nous fasse marcher ensemble.