Il était parti faire la guerre,
pour apporter son aide à sa terre. [...]
Maintenant qu’il est mort la Patrie se -glorifie
D’un autre héros pour la mémoire
Mais celle qui l’aimait attendait le retour
D’un soldat vivant, d’un héros mort qu’en fera-t-elle
si à côté, dans le lit, ne lui reste que la -gloire
D’une médaille à la mémoire.
En 1966, Fabrizio De Andrè chantait sa triste Ballade du Héros. Ces vers rappellent beaucoup les paroles adressées par le Saint-Père aux directeurs des revues des jésuites en Europe sur l’importance de «transmettre le drame humain de la guerre... Le drame humain de ces cimetières, le drame humain des plages de Normandie ou d’Anzio, le drame humain d’une femme chez qui le facteur frappe à la porte et lui donne une lettre la remerciant d’avoir donné à la patrie un fils, qui est un héros de la patrie… Et ainsi elle reste seule. Réfléchir à cela aiderait beaucoup l’humanité et l’Eglise. Faites vos réflexions socio-politiques, mais ne négligez pas la réflexion humaine sur la guerre».
Le texte de cette conversation a suscité beaucoup de débats ces derniers jours, en particulier en raison de certains aspects liés au conflit en cours en Ukraine. Mais il s’agit d’un texte très profond et stimulant pour tout catholique et pour qui travaille dans la communication. Par exemple, le Pape nous a rappelé, à nous communicateurs, la nécessité de «communiquer de la manière la plus incarnée possible, personnellement, sans perdre la relation avec la réalité et les gens, le “face-à-face”. Par là, j’entends qu’il ne suffit pas de communiquer des idées. Vous devez communiquer des idées qui viennent de l’expérience. Pour moi, c’est très important. Les idées doivent venir de l’expérience».
«No ideas but in things» répétait le poète américain William C. Williams, c’est-à-dire «pas d’idée sinon dans les choses» pour renverser l’axiome du cogito cartésien: d’abord l’être, puis la pensée, et pas l’inverse. Il nous vient à l’esprit le prologue du film V pour Vendetta: «On nous dit de nous souvenir de l’idée et non de l’homme, parce qu’un homme peut échouer. Il peut être arrêté, il peut être exécuté et tomber dans l’oubli. Alors qu’après 400 ans, une idée peut encore changer le monde. Je connais d’expérience le pouvoir des idées. J'ai vu des hommes tuer en leur nom et mourir en les défendant... Mais on ne peut embrasser une idée. On ne peut la toucher ou la serrer contre soi. Les idées ne saignent pas, elles ne ressentent pas la douleur... et elles ne peuvent aimer. Et ce n’est pas une idée qui me manque, c’est un homme... Un homme que je ne me résoudrai jamais à oublier».
En somme, tout doit passer par l’expérience concrète de la vie, sur laquelle réfléchir ensuite. Cela vaut non seulement pour la communication (d’où, pour tout journaliste, le devoir de «consumer les semelles de ses chaussures» recommandé par le Pape), mais pour tout autre milieu, question et contexte. Il suffit de penser par exemple au thème de la réforme de l’Eglise ou au processus synodal. Non pas des schémas et des théorèmes tombés du ciel, mais précisément des processus qui viennent du bas, n’oubliant jamais le «face à face» et qui n’ignorent jamais le visage de cette femme, la dernière des derniers, qui «attendait le retour d’un soldat vivant», que chantait Fabrizio De Andrè il y a 56 ans, et aujourd’hui, le Pape François. (andrea monda)
Andrea Monda