«J'aimerais aller en Ukraine; seulement, je dois attendre le moment de le faire, tu sais, parce que ce n'est pas facile de prendre une décision qui peut faire plus de mal que de bien au monde entier. Je dois chercher le bon moment». C’est la réponse que le Pape a confié à un enfant de ce pays déchiré par la guerre, lors de l'audience du samedi 4 juin aux participants à une initiative pour les enfants en difficulté promue par le «Parvis des Gentils». Il s'agissait de la huitième édition du «Train des enfants», mais à cette occasion, les quelque deux cents enfants sont arrivés au Vatican en autobus. Accompagnés du cardinal Gianfranco Ravasi, la plupart d'entre eux fréquentent le centre régional Sant'Alessio - Margherita di Savoia pour les aveugles, les malvoyants ou les personnes souffrant d'autres handicaps visuels, physiques ou cognitifs. Avec eux se trouvaient également des enfants mineurs ukrainiens fuyant le conflit. L'Evêque de Rome les a reçus dans la cour Saint Damase du palais apostolique, et a répondu à leurs questions établissant avec eux un dialogue dont nous publions ci-dessous la traduction.
Un jeune garçon : Pape François, je m’appelle Mattia Mordente, j'aimerais vous poser une question. Je sais que vous avez visité de nombreux pays à l'étranger, en particulier des pays pauvres, pour parler avec les chefs d'Etat et aussi pour prier pour ces pays, pour les améliorer. Mais selon vous, quel est le pays que vous avez visité qui s'est le plus amélioré grâce à vous?
Pape François: Je vais te dire une chose: chaque pays a sa particularité, et je me demande quelle est la particularité la plus riche d'un pays. Et sais-tu quelle est la particularité la plus riche d'un pays? Les personnes. Les personnes sont toujours des personnes, elles sont les mêmes jusqu’à un certain point, mais chaque personne est différente, elles sont distinctes, elles ont leur propre richesse, et ce qui m'impressionne, c'est de voir à quel point les différents peuples sont riches d'une richesse particulière pour ce pays. Ici aussi, avec vous: chacun de vous a sa propre richesse, la richesse de son âme. Parce que le cœur de chacun de nous, l'âme de chacun de nous n'est pas la même que l'autre, non! Il n'y a pas de cœurs égaux, d'âmes égales, chacun de nous a sa propre richesse. Et cela vaut aussi pour les pays. Dans les pays que je visite, j'ai toujours vu des richesses particulières: celle-ci d'une certaine manière, celle-ci d'une autre... C'est la beauté de la création. Et nous devons voir cela en chacun de nous. Si nous apprenons à voir les gens avec le cœur, à regarder avec le cœur, à ressentir avec le cœur, à penser avec le cœur, nous trouverons que cette richesse de chaque personne, qui sont différentes les unes des autres, est toujours belle et différente. Entendu?
Un Jeune garçon: Je m’appelle Edgar Murario, frère jumeau d'un autre enfant également présent ici. Je n'ai pas grand-chose à vous dire mais une seule question à vous poser: qu'est-ce que ça fait d'être Pape ?
Le Pape François: L'important, dans tout travail dans lequel la vie vous place, c'est que vous ne cessiez pas d'être vous-même, avec votre propre personnalité. Si une personne, pour entrer dans un lieu, ou si la vie l'a mis dans ce lieu, change de personnalité, c'est une personne artificielle, et en cela elle se perd. Il faut toujours ressentir les choses comme elles viennent, avec authenticité: il ne faut jamais, jamais déguiser ses sentiments. Alors, comment est-ce que je me sens en tant que Pape? En tant que personne, comme chacun de vous dans son métier, dans son travail. Parce que moi aussi je suis une personne comme vous, et si j'ai ce métier je dois essayer de l’accomplir de la manière la plus humble et selon ma personnalité, sans essayer de faire des choses qui sont étrangères à ce que je suis. Par exemple, je te demande: «Comment te sens-tu, toi ou ton frère jumeau, comment te sens-tu?» — «Je me sens comme cela». C'est important pour ne pas le perdre. Même lorsqu'une personne grandit et se retrouve ensuite avec cette charge, avec ce travail ou tel autre, n'oubliez pas que vous êtes cette personne, et ne perdez pas ce sentiment.
Pour répondre à ta question «comment est-ce que je me sens avec ce travail, avec ce service en tant que Pape?», j'essaie d'être moi-même, de ne pas prendre de positions artificielles. Je ne sais pas si cela peut te servir.
Le jeune garçon : D'accord merci.
Une jeune fille : Bonjour, Saint-Père. Je m'appelle Nicole Malizia et j'ai une question à vous poser. Je voudrais savoir: quelles responsabilités sentez-vous avoir d'être Pape ou en tout cas la personne la plus importante au monde?
Le Pape François : Ce sentiment de responsabilité est quelque chose que nous devons tous ressentir, chacun de nous. Chacun de nous a sa propre personnalité et aussi sa propre responsabilité. Vous, maintenant, vous étudiez, vous avez votre responsabilité d'étudier, en tant qu'étudiant; vous avez également la responsabilité d'apporter certaines choses à la famille. Si nous pensons que chacun de nous a sa propre responsabilité, nous pensons que notre vie n'est pas pour nous mais pour les autres et aussi pour le service des autres, pour être proche des autres. J'en viens maintenant à ta question: comment est-ce que je me sens? Il est vrai que c'est parfois une responsabilité un peu lourde, parce que ça fait peur. Mais j'essaie de le ressentir de la manière la plus naturelle, car si le Seigneur me l'a demandé, c'est qu'il me donne la force de ne pas me tromper, de faire attention à ne pas me tromper. Je ressens ma responsabilité comme un service, comme vous sentirez la vôtre comme un service aux autres, à votre famille, et quand vous vous mariez, à votre famille, à tout le monde. Le service: la responsabilité de servir les autres, d'aider les autres; ne pas être au-dessus des autres, comme une personne qui commande, non, non. Etre comme l'un des autres qui, s'il a la charge de commander, le fait comme chacun de nous. As-tu compris?
La jeune fille : Oui, merci beaucoup.
Une autre jeune fille : Bonjour. Je m’appelle Caterina Lastorza. Je voulais vous demander: «Est-ce fatiguant d'être Pape?».
Le Pape François : Dans la vie, il y a toujours des moments de fatigue. Chaque travail, chaque travail que nous effectuons a toujours une part d'effort. Il est dur d'étudier, par exemple, c'est dur de faire tel travail, tel autre, tel autre, tel service... Et le Pape a aussi ses propres efforts à faire, n'est-ce pas? La route pour porter les difficultés doit être une route normale, comme tout le monde: chacun de nous porte ses propres difficultés; et résoudre les travaux d'une manière humaine, d'une manière normale. Mais si vous me demandez: est-ce plus fatigant que le travail d'un père et d'une mère? Non, non. Dieu donne à chacun de nous la force de porter ses propres travaux, et ce n'est pas un plus. Mais cela doit être fait avec honnêteté, sincérité et ardeur, car papa et maman vont de l’avant avec leur travail. As-tu compris?
La jeune fille : Oui, merci beaucoup.
Un jeune garçon : Bonjour, je m'appelle David Murario et je n'ai qu'une chose à vous demander: qu'est-ce que ça fait d'être autant en contact avec le Créateur de la Terre, c'est-à-dire Dieu?
Le Pape François : C'est une belle chose que tu demandes-là, tu sais?, car dans la vie il y a le danger d'oublier Dieu, et de ne pas être en contact. «Non, mais je gère tout seul et je fais des choses...». Et cette route est dangereuse! Toujours, une ou deux fois par jour, nous devons nous rappeler que le Seigneur est avec nous, que le Seigneur nous accompagne, que le Seigneur nous regarde. Et se sentir protégé par le Seigneur est important pour continuer à faire son travail avec sincérité et force. Le Seigneur te regarde aussi, te regarde et regarde ton petit frère. Le Seigneur est proche de chacun de nous et nous regarde, et avec ce sentiment du Seigneur proche, nous pouvons bien avancer. Mais la mauvaise chose, c'est quand nous ne voulons pas sentir le Seigneur proche, et notre préférence est de sentir ceci, ceci, cela proche, mais d'éloigner le Seigneur. Non. Le secret est de sentir le Seigneur proche. Et cela t’accompagne tout au long de ta vie.
Le jeune garçon : D'accord merci. Et je voulais aussi vous demander autre chose. Quand vous voyez des enfants avec des problèmes, des handicaps des sens, comment vous sentez-vous? Est-ce que vous les aidez et leur donnez des conseils, ou passez-vous votre chemin?
Pape François : Lorsque nous regardons une personne, nous ne devons jamais nous sentir supérieurs à cette personne. Par exemple, si je te regarde et que je pense aux conseils que je t'ai donné, ce n'est pas bon. Je dois d'abord t’écouter, d'abord t’entendre et ensuite te dire ce qui vient du cœur. Je t’ai regardé à côté de ton petit frère, ton jumeau; je t'ai regardé et j'ai vu comment tu t'étais déplacé et il m'est venu à l'esprit: «Ce jeune est bon. Quel conseil dois-je donner à un bon gars? Soyez humble et remerciez Dieu qui vous a donné cette force et cette compétence». Et quand je regarde les enfants, comme tu le dis, qui ont des limites, des handicaps, je pense que le Seigneur leur a donné d'autres choses, d'autres belles choses. Une des choses qui, je l'avoue, me touche au cœur quand je suis avec des personnes aveugles, souvent, souvent elles me disent: «Puis-je vous regarder?». Au début, je ne comprenais pas, mais ensuite j'ai dit: «Oui», et eux, avec leurs mains, ont touché mon visage et m'ont regardé. Qu'est-ce que je vois ici? La créativité: une personne qui a une limitation trouve toujours la force de dépasser cette limitation et c'est une créativité, une capacité à être créatif qui est un défi pour cet enfant. Et cela doit être loué. Et toi, qui n'as pas de limitation, essaie aussi d'être créatif: ne t'habitue pas à faire les choses, non, essaie d'être créatif, parce que la créativité c'est ce qui nous fait ressembler à Dieu.
Le jeune garçon: Oui merci.
Un jeune enfant ukrainien : Je m'appelle Sachar, je viens d'Ukraine. Je n'ai pas de question mais plutôt une requête: pouvez-vous venir en Ukraine pour sauver tous les enfants qui y souffrent actuellement?
Le Pape François : [Salut ukrainien] Je suis heureux que tu sois ici. Je pense beaucoup aux enfants en Ukraine, et pour cela j'ai envoyé des cardinaux pour aider là-bas et être proche de tout le monde, des enfants. Je voudrais aller en Ukraine. Je dois juste attendre le moment pour le faire, tu sais?, parce que ce n'est pas facile de prendre une décision qui peut faire plus de mal que de bien au monde entier. Je dois chercher le bon moment pour le faire. La semaine prochaine, je recevrai des représentants du gouvernement de l'Ukraine, qui viendront pour parler, également pour parler d’une éventuelle visite là-bas. Nous verrons comment vont les choses.
Le jeune garçon ukrainien : Merci.
Un jeune garçon : Pape François, je voudrais vous demander deux choses: vous êtes passionné de football, vous avez quatre frères; votre père était cheminot et votre mère était femme au foyer. Je voudrais vous demander une chose: comment était votre vie? Comment avez-vous vécu? Heureux?
Le Pape François : Oui. Tu as parlé de papa, de maman: papa travaillait, maman était femme au foyer, nous sommes cinq enfants. Et puis, quand on était enfants, on allait tous ensemble, avec papa et maman, au stade le dimanche pour regarder le match, parce qu'on aimait beaucoup le foot. Je jouais au football, mais tu sais, je n'étais pas bon et mes coéquipiers m'appelaient pata dura, c'est-à-dire jambe dure, parce que je n’y arrivais pas. Et c'est pour ça qu'ils m'ont demandé d'être gardien de but, parce que je n'avais pas besoin de bouger, et en tant que gardien de but j'ai plus ou moins réussi. Cela a été ma relation avec le sport dans la famille. Mes frères sont tous morts, sauf la dernière, qui est encore en vie; je suis l’aîné et la plus jeune vit encore. Ce sont de bons souvenirs de famille.
Une jeune fille : Saint-Père, priez pour moi, pour les enfants malades.
Le Pape François : C'est beau ce que ... Comment tu t'appelles, toi?
La jeune fille : Ludovica.
Le Pape François : Ce que Ludovica a dit est beau: «Priez pour moi». C'est quelque chose que nous devons demander les uns pour les autres, de prier les uns pour les autres. La prière. Parce que prier pour l'un de nous, c'est comme attirer le regard de Dieu sur nous. La prière, c'est attirer le regard de Dieu. Lorsque vous priez, Dieu vous regarde. Et ce que tu as demandé est une belle chose. Toi aussi tu dois prier pour les autres, tu sais? Vous priez pour moi et je prierai pour vous, et cette relation de demande de prières est une relation de fraternité, d'amitié, de deux ou trois personnes qui demandent à Dieu de les regarder. Prier, c'est attirer sur nous le regard de Dieu, et c'est beau. Allez de l’avant!